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D’abord le peach. Deux amis, Karim et Adil, paumés et à la lisière de la vie, vivent de petites combines pour s’en sortir. Karim essaie de s’en sortir, ne veut pas ressembler à son père qui, après avoir pendant 30 ans écaillé du poisson dans l’usine d’El Hajj, est muré dans le silence et une maladie neurologique. Signe distinctif : Karim est toujours en costume noir, cravate et chemise blanche et une cigarette à la bouche, tendance Bogart
Adil, lui, ne supporte plus que sa mère soit battue par son beau-père alcoolique. Il ne rêve que de partir à Malmö, une ville de Suède. Un lointain oncle aurait fait fortune là-bas, « en plus les Suédoises sont, dit-on, des bombes » Il doit lui en coûter 6 « brikates » pour décrocher et visa et contrat de travail. Les jours de déprime et de grisaille, quand son beau-père a de nouveau battu sa mère, c'est-à-dire tous les jours, il regarde à la dérobée une carte postale de Malmö que son oncle lui aurait envoyée. Le rêve est entretenu autant que l’espoir dans une Casablanca chaotique, magnifiquement filmée par Noureddine Lakhmari qui donne ici une belle leçon de cinéma-vérité.
Pour tous les personnages du film à la dérive – enfants de la rue vendeurs de cigarettes, SDF alcooliques, soudeurs échappés de Mad Max, tenancière de cabaret fatiguée d’avoir trop vécu, trop fumé, trop bu- Casablanca, la maison blanche, n’est plus que CasaNegra, aussi noire que leur quotidien, que la fumée des bus, que les ordures qui n’en finissent pas de s’amonceler sous les fenêtres, que ces rêves déçus qui ne se réalisent décidément jamais. « Arrête de rêver en couleurs, Casablanca n’est pas Casablanca, c’est Casa Negra, c’est comme si tu étais condamné à ne plus rêver, condamné à accepter ton destin ».
Alors Adil regarde sa carte postale vieillie qu’il porte en permanence dans sa poche, pour ne pas craquer, dire que le départ est tout proche, et que demain, à Malmö, la vie sera bien meilleure.
Un film générationnel
qui parle aux jeunes
Un mois après sa sortie dans les salles de cinéma au Maroc, et après avoir remporté deux prix au Festival international du film de Dubaï et autant au dernier Festival du film marocain de Tanger, ce long-métrage d’une durée de 124mn que produit l’agence Sigma est en train de cartonner. Noureddine Lakhmari, le réalisateur qui signe également le scénario, a fait le choix de faire un film qui bouscule, dérange, en tout cas ne laisse pas indifférent. Karim et Adil, les deux anti-héros, parlent comme dans la vraie vie. C’est-à-dire ce dialectal marocain fait d’insultes, d’expressions improbables, de mots gros comme ça où l’humour noir et l’ironie du désespoir ne sont jamais loin et dont la jeunesse marocaine a fait une marque de fabrique. La vulgarité n’est ici qu’un prétexte pour aller au plus profond d’une jeunesse à la marge de la ville et de la vie.
Lakhmari a donné toute la mesure de son talent dans la direction des acteurs. Physique de jeune premier, Anas El Baz, diplômé du Cours Florent à Paris, est irréprochable dans l’interprétation de Karim et rappelle Hyppolite Girardot dans « Un monde sans pitié », du Français Eric Rochant, sorti en 1989. Adil est campé par Omar Lotfi qui fait ses premiers pas au cinéma. Quant à Mohamed Benbrahim, époustouflant dans le rôle de Zrireq -probablement en référence à la couleur des billets de 200 dh- il a remporté le prix du meilleur second rôle au Festival du film marocain de Tanger.
« Casa Negra » est un film générationnel, probablement culte pour une jeunesse que l’on n’écoute pas et à qui on ne parle pas. La classe politique marocaine serait bien inspirée d’aller le voir. La jeunesse de ce pays est loin de ressembler aux discours politiques. La jeunesse, la vraie, celle des quartiers populaires et de la périphéries, celle des loosers et des pas- de -chance est dans Casa Negra, la ville noire filmée par Noureddine Lakhmari.
“Casa Negra” est actuellement dans les salles, à Rabat, Casablanca et Marrakech.