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D’autres victimes
Cependant, notre pays n’est pas le seul à endurer les restrictions sur les visas, l’Algérie et la Turquie paient également un lourd tribut. Selon des médias algériens, les taux de refus constatés dépassent d’une semaine à l’autre les 85 voire les 90%. Ces refus, qui touchent en premier lieu les familles des dirigeants militaires ou civils ainsi que les personnalités politiques du régime en place, ne concernent pas uniquement les ambassades de France et d’Espagne. Plusieurs autres grands pays européens ont eux aussi renforcé les restrictions imposées aux ressortissants algériens concernant les conditions de délivrance des visas Schengen. Tel est le cas de l’Allemagne, de l’Autriche, des Pays-Bas, de la Belgique, de la Pologne, de la Suisse et de la Hongrie.
«Ces mesures ont été imposées comme étant des «sanctions» qui ne disent pas réellement leur nom contre le régime algérien dont la politique hostile à l’égard des intérêts européens et de plusieurs pays membres de l’Union européenne comme l’Espagne a commencé à inquiéter au plus haut point les pays occidentaux», a indiqué le site maghreb-intelligence qui précise que seule l’Italie délivre mais au compte-gouttes des visas au profit des dirigeants algériens et leurs familles. Mais il s’agit, souligne le site, de visas «uniformes», de court séjour à validité territorialement limitée (VTL) à un seul territoire «pour des motifs humanitaires ou d’intérêt national ou en raison d’obligations internationales». Ce qui ne permet pas aux voyageurs algériens de fouler le sol français ou de pénétrer dans les autres pays de l’Union européenne.
De son côté, la Turquie se considère comme victime de ces politiques de restriction d’octroi de visa Schengen. Selon un rapport turc déposé auprès de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), Ankara révèle que les refus d’attribution de visas Schengen ont triplé entre 2014 et 2020, précisant que si 4% des demandes de visa Schengen étaient rejetées en 2014, ce chiffre a été multiplié par trois, passant à 12,7%, en 2020, la Turquie étant le pays qui émet le plus grand nombre de demandes de visas Schengen proportionnellement à sa population.
En outre, ledit rapport pointe la lourdeur de la procédure, avec une longue liste de documentation demandée, pas toujours "nécessaire", ainsi que des frais de demande de visa "trop élevés". En effet, en fonction du pays et du type de visa demandé, les frais sont compris entre 60 et 90 euros. En ce qui concerne la liste de documents à soumettre, certains pays en exigent près de trente, parmi lesquels figurent ceux relatifs aux informations bancaires, aux titres de propriété, au lieu du travail, aux assurances, aux billets d’avion, à la réservation d’hébergement, etc. Par ailleurs, le rapport mentionne le manque de clarté quant aux possibilités de recours en cas de refus d’octroi de visa.
Carotte et bâton
Pour Said Machak, enseignant-chercheur à l'Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès, le visa a toujours posé problème puisqu’il n’a jamais été accessible pour tout le monde. «Il a toujours été conditionné par des exigences difficiles à remplir et des restrictions compliquées à franchir», nous a-t-il expliqué. Et de poursuivre : «D’autant que le visa a toujours été un moyen de pression brandi par les pays européens dont les responsables n’hésitent pas, parfois, à faire sortir cette carte de renforcement du contrôle sur les visas, de réduction de leur nombre ou de durcissement des conditions d’octroi. Bref, il s’agit d’une carte utilisée pour servir un agenda européen et des intérêts politiques et géostratégiques».
Selon notre interlocuteur, les conditions d’octroi de visas édictées par les pays du Nord reflètent, en effet, les contradictions du discours de ces pays sur la migration.
«En fait, derrière le discours nordiste humaniste appelant à davantage de mobilité et de protection des droits fondamentaux, il y a une réalité faite de brimade, de restrictions et de sécurisation des frontières», a-t-il noté. Et d’ajouter : «Ce qui va à l’encontre de leur engagement dans le cadre du Pacte de Marrakech dont l’un des 23 objectifs est de faire en sorte que les filières de migration régulière soient accessibles et plus souples».
Liberté de circulation et principe de souveraineté
Pourtant, une question demeure : ces pays ont-ils le droit de restreindre l’accès à leur territoire ? «Cette question renvoie à une vraie contradiction entre, d’un côté, la liberté de circulation qui donne le droit pour tout individu de se déplacer librement dans un pays, de quitter celui-ci et d'y revenir. Elle est garantie par l'article 13 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme depuis 1948. Toutefois, cette liberté n'est pas absolue et fait l'objet de restrictions. Et de l’autre, il y a le principe de la souveraineté de l’Etat qui n’est pas non plus un principe absolu puisqu’il est conditionné par les lois et les conventions internationales», a souligné Said Machak. Et de conclure: «Souvent, il y a abus et exagération de la part des Etats dans l’utilisation de ce principe de souveraineté et la loi qui permet aux personnes déboutées de faire recours devant la justice. Une action que peu de gens tentent. En effet, ils sont mal informés concernant les procédures de recours et ne sont pas sensibilisés concernant cette question. D’ailleurs, les expériences mondiales en la matière sont très rares. Et même s’il y a recours, un résultat positif n’est pas garanti puisque la justice est souvent politisée quant à ce genre d’affaires».
Hassan Bentaleb