En effet, de tous les cinéastes marocains, Hassan Benjelloun est le plus prolifique aussi bien au niveau de la quantité que de la diversité des thèmes traités.
Cette fois-ci, le thème choisi, comme les autres d’ailleurs, est d’une actualité brûlante. Plusieurs organes de presse ont fait état récemment de l’exploitation mafieuse dont font les frais des Marocaines qui s’exilent pour travailler, mais qui se retrouvent dans les filets de la traite des blanches. Ce qui est d’autant plus étonnant, c’est que ces filles ne sont pas des clandestines, mais des immigrées légales qu’on détourne en cours de route. Cela est valable dans les pays du Golfe et du Moyen-Orient, certes, mais c’est courant, également, en Europe, c’est-à-dire dans le berceau des droits de l’Homme. Et même si les organisations de défense des droits humains en Europe dénoncent ces pratiques, il ‘n’existe malheureusement pas de répondant dans les pays concernés. C’est donc là où il faut intervenir et c’est là où le cinéma doit agir.
« En Europe, les journaux, la télévision, la radio, les Etats, les organisations humanitaires et les ONG, tentent de jeter la lumière sur ce fléau et d’y faire face, tandis que dans nos pays du Sud, où la pauvreté fait rage, nos Etats ne veulent rien savoir et n’essayent même pas de reconnaître l’existence de ce problème et de réduire l’exode des victimes potentielles », souligne Hassan Benjelloun avec beaucoup d’amertume.
En s’attaquant à ce problème épineux ce réalisateur a fait preuve d’un grand courage ; non que le thème figure parmi les tabous mais il a été courageux pour avoir levé le voile sur un problème que tout le monde connaît mais que personne, les cercles officiels s’entend, ne dénonce. Le film dénonce donc cette hypocrisie sociale et dit haut ce que beaucoup de gens pensent bas.
Ce n’est pas étonnant de la part d’un militant de la pellicule, d’un personnage qui choisit le cinéma à la place d’une carrière de pharmacien pourtant beaucoup plus sûre.
On doit également à Hassan Benjelloun un sens de la mesure et de l’équilibre que beaucoup de cinéastes n’en ont pas. Car même si « Les oubliés de l’Histoire » parle de prostituées, malgré elles, et que l’on s’attend donc à des scènes chaudes, il n’en est rien. Le réalisateur a fait preuve d’une grande intelligence en procédant par scènes suggestives qui font passer l’idée sans heurt ni fausse pudeur. N’est-ce pas cela le cinéma?
« On a filmé avec une caméra audacieuse et pudique en même temps. De temps en temps, on donne des images crues d’une réalité abominable pour que le spectateur sente qu’il participe à une tentative commune et se sente concerné », dit-il à cet égard.
Réalisme, néoréalisme, les deux à la fois, avec, cependant, une intrusion presque quasi-invisible dans les profondeurs des personnages. D’ailleurs, à ce niveau-là, la distribution est très réussi puisqu’elle réunit une brochette d’acteurs de talents tels Amine Ennaji qui a eu le prix du meilleur rôle masculin lors du dernier Festival national du cinéma à Tanger, Mériem Ajadou, Amal Setta, Youssef Joundy, Abderrahim Menyari et Asmaa Khamlichi, entre autres. Asmaâ Khamlichi qui a campé un rôle aussi compliqué que composé, a une fois de plus, étalé son grand talent et démontré qu’elle a plusieurs cordes à son arc.
« Les oubliés de l’Histoire » raconte le destin de trois filles marocaines qui sont prises dans les filets de la mafia. Amal, Nawal et Yamna vont se rendre compte à leurs dépens que l’eldorado européen n’en est pas un, que les gens de mauvaise volonté existent partout et que la recherche du bien-être peut parfois déboucher sur de très mauvaises surprises, voire mettre en danger l’existence même d’une personne.
Alors il est temps, comme l’a si bien montré Hassan Benjelloun, de réagir et de mettre fin à ce crime contre l’humanité dont sont victimes celles qui sont, en fin de compte, nos filles, nos sœurs, bref nos compatriotes. En attendant, rendons hommage à Hassan Benjelloun pour cette excellente œuvre cinématographique qui renferme tous les ingrédients de la réussite et où tout a été respecté : la lumière et le son, surtout, sont d’une grande qualité.
Un film à voir absolument.