Les migrants exposés à la barbarie des refoulements algériens

Chaque jour, Alger condamne des centaines de femmes et d’enfants à une mort silencieuse


Mehdi Ouassat
Samedi 18 Janvier 2025

Les migrants exposés   à la barbarie des   refoulements algériens
Aux confins du Sahara algérien, là où les dunes s’étendent à perte de vue, où le désert étouffe toute trace de vie, se joue un drame humain qui échappe aux projecteurs du monde. Chaque jour, des centaines de migrants, déracinés par la misère ou la guerre, sont poussés hors des frontières algériennes vers un horizon cruel et incertain. Ces hommes, ces femmes et ces enfants, déjà meurtris par des périples éprouvants, se voient contraints d’affronter la plus implacable des épreuves : l’abandon dans le désert à une mort presque certaine.

Sous couvert de sécurité nationale et de lutte contre l’immigration irrégulière, l’Algérie orchestre une politique de refoulement massif, dépourvue de la moindre considération pour la dignité humaine et nourrie par la peur de l’autre et le repli sur soi. Ce drame silencieux, pourtant largement documenté par des ONG comme Alarme Phone Sahara (APS) et Human Rights Watch, est l’un des plus grands scandales humanitaires de notre époque.

Selon l’ONG nigérienne APS, pas moins de 31.404 migrants ont été expulsés d’Algérie vers le Niger en l’espace d’une année (2024). Rien que sur les huit premiers mois, 20.000 refoulements ont été enregistrés. Ces chiffres, aussi effrayants soient-ils, peinent à refléter l’ampleur du drame. Derrière eux se cachent des méthodes brutales et déshumanisantes.

Le récit des survivants aux méthodes algériennes dresse un tableau sombre. Raflés sans distinction dans les rues, parfois même à leur domicile ou sur leur lieu de travail, les migrants sont dépouillés de leurs maigres possessions puis entassés dans des camions, dans des conditions qui rappellent les pages les plus sombres de l’histoire. Sans respect pour leur dignité ni considération pour leur santé, ils sont ensuite acheminés vers des zones désertiques, avant d’être abandonnés à leur sort à plusieurs kilomètres de la frontière nigérienne. Privés d’eau, de nourriture ou de toute assistance, ils doivent affronter un environnement hostile où la survie relève du miracle. Selon plusieurs observateurs, il ne s’agit pas seulement d’un abandon mais d’une mise en danger délibérée, une politique qui bafoue les lois internationales et piétine les droits les plus fondamentaux de l’humanité.

Malgré l’urgence de la situation, le régime algérien persiste dans une posture de défiance et d’indifférence. Il ne se contente pas de fermer ses portes aux plus vulnérables, il les pousse activement dans l’enfer du désert. En avril 2024, les autorités nigériennes ont convoqué l’ambassadeur algérien à Niamey pour exiger des explications sur ces refoulements, qualifiés par plusieurs ONG de "crimes humanitaires". Mais cette interpellation, comme tant d’autres avant elle, est restée sans réponse. En juin, un rapport accablant des Nations unies a mis directement en lumière la responsabilité de l’Algérie dans cette crise humanitaire.

Mais là encore, le régime algérien se mure dans une posture défensive, justifiant ses actions par la lutte contre les migrations irrégulières. Pourtant, cette justification ne résiste pas à l’examen des faits. Comment légitimer l’abandon de familles entières, d’enfants  et même de femmes enceintes dans l’une des régions les plus hostiles de la planète ? Loin d’être une simple mesure administrative, les refoulements orchestrés par Alger sont un acte de cruauté épouvantable.
Derrière cette gestion autoritaire se cache un enjeu géopolitique complexe.

L’Algérie, située au carrefour des routes migratoires reliant l’Afrique subsaharienne à l’Europe, se retrouve au cœur des dynamiques migratoires mondiales. Mais plutôt que d’assumer son rôle dans cette crise globale, Alger adopte une stratégie d’externalisation brutale, rejetant la responsabilité sur ses voisins, notamment le Niger, pour qui l’impact est colossal. Le pays, déjà fragilisé par le terrorisme et la pauvreté, doit gérer un afflux constant de migrants expulsés, souvent dans des conditions sanitaires et logistiques catastrophiques.

Assamakka, principal poste frontalier, est devenu un no man’s land où la survie est un combat quotidien.  Des milliers de personnes, sans abri ni ressources, attendent dans des camps de fortune, dépourvus d’infrastructures adéquates. Les organisations humanitaires tentent d’apporter une aide, mais les moyens manquent face à l’ampleur de la tâche.

La communauté internationale, bien qu’indignée en apparence, reste largement complice par son inaction. Les pays européens, principaux destinataires des flux migratoires, délèguent leur "problème" à des régimes autoritaires comme celui d’Alger, fermant les yeux sur les méthodes utilisées pour endiguer les migrations. Cette externalisation des frontières est une trahison des principes que prétendent défendre les démocraties occidentales.

Dans ce contexte, les voix des ONG et des défenseurs des droits humains résonnent comme un cri dans le désert. Ils appellent à une action urgente et concertée pour mettre fin à ces pratiques inhumaines mais leurs condamnations, bien que nombreuses, restent sans effet face à l’entêtement du régime algérien qui se sert de ces expulsions pour alimenter un discours nationaliste, visant à renforcer l’idée d’un contrôle sécuritaire strict dans un contexte politique marqué par des contestations populaires récurrentes.

La communauté internationale ne peut se permettre de détourner les yeux. Au-delà des condamnations, c’est une remise en question fondamentale des politiques migratoires qui s’impose. Les flux migratoires ne peuvent être réduits à une problématique sécuritaire. Ils doivent être abordés avec humanité, en tenant compte des causes profondes qui poussent des millions de personnes à fuir leur terre : pauvreté, conflits, changement climatique. L’Algérie, elle, en tant que signataire des principales conventions internationales sur les droits des migrants, doit répondre de ses actes.

L’abandon des migrants, qui espéraient trouver refuge, justice et dignité, en plein désert dans des conditions inhumaines est une tache indélébile sur la conscience collective. Chaque migrant abandonné, chaque enfant privé de ses droits les plus élémentaires est un rappel brutal de notre échec collectif à protéger les plus vulnérables. Ces hommes, ces femmes et ces enfants, réduits au silence par les sables du Sahara, sont pourtant les témoins d’une réalité que nous ne pouvons ignorer. Si le monde choisit de détourner les yeux, il ne s’agira pas seulement d’un échec politique mais d’une faillite morale. L’histoire jugera sévèrement cette indifférence.

Mehdi Ouassat


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