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j’habite, j’ai rencontré récemment un docteur
et après un échange de quelques mots decourtoisie, je lui ai demandé si elle avait entendu parler
de mon dernier livre paru dans la série
«Les cahiers d’El Jadida» et qui, justement, concernait ses confrères médecins.
Comme elle n’en savait rien, je lui en ai rappelé le titre «Médecines et médecins à El Jadida, de la période portugaise aux lendemains de l’Indépendance». Cet ouvrage a de plus été préfacé par le docteur Mustapha Akhmisse, ancien secrétaire général du ministère de la Santé. Précisons que j’avais bien formulé ma question en ne demandant pas si elle avait lu le livre car je m’en doutais fort bien mais, simplement, si elle en avait entendu parler. L’intéressée m’a rapidement répondu par la négative.
Je ne fus nullement surpris par sa réponse d’autant que ce n’est un secret pour personne : toutes les études réalisées au Maroc ont révélé que la lecture est le dernier souci de nos nationaux. Menée par le Haut-commissariat au plan, l’enquête sur l’emploi du temps des Marocains a bien montré que nos concitoyens consacrent 44% de leur journée au temps physiologique (sommeil, repas et soins personnels), 2 heures devant la télé, autant au café mais seulement 2 minutes de lecture par jour.
Ceci m’amène à me poser cette question : pourquoi le Marocain, qu’il soit médecin, ingénieur, professeur ou banquier, ne lit-il pas ? Notons que l’Européen ou l’Américain, par exemple, lit beaucoup plus et consacre à la lecture plusieurs heures par jour. Comment peut-on concevoir qu’un médecin, un ingénieur, un professeur ou un banquier ne lise pas ? Toute la différence est là. C’est sans doute la différence entre une civilisation et une autre, entre un système d’enseignement et un autre, entre une société en voie de développement et une autre à la pointe du développement. Quiconque ignore le bénéfice culturel qu’apporte la lecture ignorera toujours l’épanouissement personnel qui nait de la fréquentation des bons auteurs. Qui oserait prétendre être cultivé en proclamant qu’il n’a jamais ouvert un livre ? Aurions-nous oublié les paroles d’Aïcha Ech-Chenna (in Le Monde du 17 octobre 1997) : «La plume, c’est comme la flamme qui éclaire : ça aide les gens à voir comment ils vivent et ça les pousse à se demander comment améliorer les choses».
La situation de la culture au Maroc n’est pas facile. L’écrivain marocain en pâtit. Il joue un rôle de premier plan dans la diffusion du savoir mais il évolue, hélas, sans soutien et sans appui. Les mêmes difficultés touchent les éditeurs et les libraires. Ces dernières années d’ailleurs, dans les deux grandes villes des finances et de la culture : Casablanca et Rabat, plusieurs librairies ont fermé alors que d’autres peinent à retrouver leur équilibre financier.
Disons-le franchement : si un cadre qu’il soit administrateur, médecin, ingénieur, banquier, assureur ou professeur n’a pas le souci de lire « pour frotter et limer sa cervelle contre celle d’autrui » ainsi que le conseillait déjà l’écrivain français Michel de Montaigne dans ses Essais, c’est qu’il ne possède pas réellement la mentalité d’un cadre ; il en a certes le diplôme mais il n’en a pas la valeur ajoutée que donne cette culture que chacun se doit d’approfondir tout au long de sa vie. Si ce cadre ne se documente pas par l’acquisition de livres et de revues, comment pourrait-il espérer évoluer et être bénéfique pour sa société ? Comment pourrait-il communiquer efficacement et positivement avec ses semblables ? D’autant plus que, dans la Fonction publique par exemple, les cadres bénéficient d’une indemnité mensuelle d’encadrement ou de recherche pour les universitaires qui fait partie des composantes de leur salaire. Le problème n’a donc jamais été d’ordre matériel.
Sur le même registre, chacun de nous connaît dans son entourage certaines personnes qui squattent les cafés pour parler à tort et à travers du climat tropical, du football africain, de la crise syrienne, de l’hégémonie américaine et qui finissent par critiquer tout le monde sans jamais daigner revoir leur comportement de « moulin à paroles » et sans jamais songer à parler moins mais à lire davantage. Ce serait certainement le meilleur moyen de meubler leur esprit et la meilleure façon d’acquérir une vue plus saine et plus nuancée du monde contemporain.
Si j’ai posé ma question à ce docteur, c’est que j’avais la conviction profonde que mon livre, paru il y a quelques mois, devait intéresser, en premier chef, les professionnels de santé. A mon sens, ce livre ne pouvait que leur être utile, d’une manière ou d’une autre, puisqu’il se focalise sur le milieu où ces personnes exercent leur activité. Pour ma part, c’était autant de savoir à partager que d’échanges à prévoir.
Devant le désintérêt de cette femme sur l’histoire de la santé publique et de la médecine à El Jadida, j’ai abrégé la discussion tout en lui indiquant que le livre était disponible en vitrine dans deux librairies de la ville, qu’il a été signalé par la presse marocaine en arabe et en français, qu’il était annoncé sur les sites Internet locaux, que certains de ses collègues l’avaient lu et que finalement l’Amicale des médecins et des pharmaciens d’El Jadida en avait été officiellement informée par courrier déposé.
Je voudrais finir ce texte par ce témoignage de mon préfacier le docteur Mustapha Akhmisse, président de l’Association marocaine d’histoire de la médecine et ancien secrétaire général du ministère de la Santé : «L’auteur a consenti de grands efforts pour mener à bien son investigation pour laquelle les sources relatives à la période lusitanienne sont rares et les archives sanitaires laissées par la France ont été perdues. C’est avec courage et persévérance qu’il a pu réunir une impressionnante documentation qui a fait appel aux écrits arabe et français ainsi qu’à des témoignages d’anciens acteurs de la santé à Mazagan».
* Ecrivain