Les Marocains du monde au centre de toutes les sollicitudes

Nouvelles générations, nouveaux profils et des attentes qui se renouvellent sans cesse


Hassan Bentaleb
Jeudi 10 Août 2017

Connus durant les années 1960 et 70 sous l’appellation de Travailleurs marocains à l’étranger (TME) et  Ressortissants marocains à l’étranger (RME) puis Marocains résidant à l’étranger (MRE) au cours des années 1980, ils s’appellent désormais Marocains du monde, voire citoyens marocains à l’étranger. Ils sont mis aujourd’hui à l’honneur dans toutes les provinces et préfectures du Royaume à l’occasion de la Journée nationale du migrant. Qui sont-ils? Comment ont-ils évolué? Quels sont leurs caractéristiques sociologiques, leurs problèmes et quel sera leur avenir ?
Ce sont plus de 4,5 millions de Marocains qui résident aujourd’hui à l’étranger contre 1,7 million en 1998 et  3,3 millions en 2003, soit presque 13% de la population du Royaume. Ils sont établis dans plus de 100 pays, avec une grande concentration en Europe. Notamment en France, Espagne, Italie, Belgique, Pays-Bas et Allemagne. On recense ainsi 749.274 Marocains en Espagne, selon les décomptes effectués en 2015 par l'Institut national de la statistique espagnol (INE) soit 5,9% de la population étrangère installée dans le pays et 930.000 Marocains en France, selon des chiffres de l’Office de la migration internationale des Nations unies. L'Italie figure en troisième position avec 430.000 Marocains suivie par les Pays-Bas (170.000) et l’Allemagne (70.000).
Selon plusieurs experts marocains en migration, les Marocains continuent à migrer malgré les restrictions mises en place par les pays européens.  Un flux nourri essentiellement par le regroupement familial, les étudiants et,  accessoirement par des entrées irrégulières. Mais cette croissance apparente dissimule une baisse régulière et continue des effectifs des Marocains dans les pays d’accueil. C’est le cas par exemple en France où le nombre de Marocains est passé de 504.111 en 1999 à 436.846 en 2008, soit une perte d’environ 13,3% en dix ans.  Un paradoxe que deux raisons expliquent. D’abord, il y a les opérations de naturalisation qui ont permis l’acquisition de la nationalité des pays d’accueil. Ensuite, il y a la définition de l’immigré qui, dans certains pays, n’englobe pas les étrangers nés dans les pays d’accueil.  Un phénomène largement observé surtout dans les pays européens où la migration est en majorité familiale, précise l’ouvrage collectif: «Marocains de l’extérieur», publié par la Fondation Hassan II en 2013.
Cette communauté marocaine vivant à l’étranger se caractérise aujourd’hui par une différenciation, pour ne pas dire opposition, de plus en plus nette entre les différentes générations sur le plan identitaire et sur celui des comportements religieux, culturels et politiques. L’âge de près de 70% de ces MRE ne dépasse pas 45 ans, dont 20% sont nés à l’étranger. Mieux, de nouvelles générations émergent. Elles ne sont pas uniquement constituées des descendants des primo-migrants nés sur place.  Il s’agit de jeunes étudiants qui ont décidé de rester dans les pays d’accueil ou des jeunes qui font partie de ce que l’on appelle 2ème, 3ème et 4ème générations et qui ont, en raison de la crise de 2008, migré vers des pays peu touchés par cette crise.
Pour ces nouvelles générations, les pays d’immigration ne sont plus des «pays d’accueil» comme pour leurs parents, mais des terres natales et des espaces d’exercice de la citoyenneté. Les jeunes Marocains ou descendants de Marocains se sentent plus chez eux et s’engagent fortement dans les débats sur les questions qui affectent leur vie quotidienne, alors que l’ancienne génération pensait toujours sa présence dans les pays européens comme temporaire, et qu’elle était considérée comme n’ayant pas fait beaucoup  d’efforts d’adaptation culturelle pour s’intégrer dans les pays d’accueil. Ainsi, les rédacteurs de «Marocains de l’extérieur » estiment-ils que le profil de l’immigré marocain de la première génération n’est plus le seul en présence. D’autres profils ont surgi, à savoir ceux des hommes d’affaires,  des jeunes cadres et des femmes seules. A noter que les chemins de ces nouveaux profils ne croisent pas ceux des anciens, car les deux groupes se tournent le dos, évoluent de façon séparée et ne fréquentent pas les mêmes lieux.
Pourtant, qu’on soit d’une génération ou de l’autre, les problèmes, les besoins et les attentes des Marocains du monde demeurent les mêmes.  De l’Espagne à la Belgique en passant par les Pays-Bas, l’Italie et l’Arabie Saoudite, … la vie des MRE est loin d’être un long fleuve tranquille. Exclusion, xénophobie, islamophobie, pauvreté, chômage… semblent le lot quotidien de beaucoup de  membres de cette communauté.
Jamal Najjari, un jeune Marocain installé en Italie  depuis bon nombre d’années en sait quelque chose. D’après lui, les 449.058 Marocains d’Italie (dont 45.9% de femmes) souffrent, en premier lieu, du manque de volonté des autorités italiennes d’intégrer les migrants comme c’est le cas dans d’autres pays européens. « La politique d'intégration des étrangers ne fonctionne pas en Italie notamment les politiques spécifiques aux populations migrantes, à savoir  les politiques d'acquisition de la nationalité et des droits. Aujourd’hui,  les Marocains qui représentent la deuxième communauté hors de l’UE font l’objet de critiques et d’attaques», nous a-t-il précisé. Et de poursuivre : « Les premières victimes de cette politique restent les enfants nés en Italie de parents non Italiens et qui se retrouvent dans un dangereux entre-deux. En fait, la législation nationale italienne est basée sur le principe du droit du sang et non sur celui du sol ».
Les MRE d’Italie endurent également, selon notre source, le manque de communication avec les services consulaires, la rigidité des procédures administratives et juridiques et la faible présence des représentations diplomatiques malgré l’existence de cinq consulats fixes et d’autres mobiles mais cela demeure insuffisant vu le nombre de migrants marocains et leur répartition non équilibrée sur le territoire italien.
Les 90.000 Marocains résidant en Belgique ne sont pas mieux lotis selon Lahcen Hammouch, directeur de la radio-télévision Almouwatine à Bruxelles.  Selon lui, ces derniers sont aujourd’hui victimes de l’exclusion, de la précarité et du  chômage. « Nombreux sont les MRE qui ont des difficultés à trouver du travail. Le taux de chômage au sein de la communauté est assez important et atteint un seuil inquiétant avec l’arrivée sur le marché de l’emploi de la main-d’oeuvre d’Europe de l’Est », nous a-t-il indiqué. Et d’ajouter : « Les dernières attentes de Paris et de Bruxelles ont également compliqué la situation de ces Marocains qui souffrent aujourd’hui de plus en plus de la montée de la xénophobie et du  racisme ».
Les autres Marocains du monde ne sont pas en reste. C’est le cas pour les MRE installés en Arabie Saoudite  dont une grande partie réside à Djeddah et Riyad et qui se sentent abandonnés à leur propre sort. Ils estiment être  exclus de toutes les activités et programmes destinés aux Marocains du monde. Notamment les colonies de vacances,  les rencontres  culturelles et sociales (absence de conférences, d’expositions, de spectacles et de débats concernant le Maroc). Mais, il n’y a pas que l’exclusion qui pose problème. La question de l’identité s’impose aussi  avec acuité. Particulièrement parmi les nouvelles générations de MRE. Les Marocains d’Arabie Saoudite souffrent d’un manque d’écoles pour leurs enfants. Ces derniers poursuivent leurs études dans des écoles privées qui  coûtent entre 50.000 et 60.000 DH par an et, parfois,  120.000 DH. Les cours et les manuels en usage  dans ces écoles privées sont souvent libanais. La culture, l’histoire, la géographie du Maroc n’y figurent pas. Un problème d’identité dont souffrent aussi les MRE des Pays-Bas qui  vivent dans l’indifférence et l’exclusion et dont les 3ème et 4ème  générations ont aujourd’hui des problèmes d’identité et semblent être en rupture totale avec leur pays d’origine. Beaucoup d’entre eux  ne disposent pas de passeports marocains.
Les 850.000 Marocains résidant en Espagne, notamment en  Catalogne et en Andalousie ne sont pas mieux lotis. La crise économique de 2008 dont les effets se font encore ressentir les a beaucoup touchés. Notamment ceux qui travaillent dans l’agriculture et les chantiers de construction. Elle a même poussé plusieurs MRE à partir vers d’autres cieux dont la France et la Belgique.
Face à cette réalité morose, les attentes des MRE n’en finissent pas. Pour Jamal Najjari, les MRE demandent que l’Etat marocain accorde plus d’intérêt et de priorité aux jeunes et enfants notamment de deuxième et troisième génération en soutenant et en offrant plus de programmes d’enseignement des langues officielles marocaines, de programmes culturels, de colonies des vacances, des visites au Maroc. Ces Marocains exigent également que la question de la religion bénéficie de plus d’attention. Notamment  avec l’envoi d’imams et de prédicateurs qualifiés. Même souhait de la part de  Lahcen Hammouch qui estime que les MRE ont besoin d’encadrement et de politique cohérente et intégrée. « Il y a tellement d’institutions dédiées aux MRE mais elles  fonctionnent de manière dispersée et irrationnelle. Ces dernières ne jouent également pas de rôle de coordination  et de médiation. On note également l’absence d’espaces de débat et de discussion entre les MRE. Plusieurs  associations existantes  n’ont d’autre objectif que d’amasser des fonds publics  marocains et de tirer profit de l’absence de contrôle», nous a-t-il précisé.
La question des procédures administratives et juridiques au niveau des consulats ainsi qu’au niveau des points d’accueil à l’intérieur du Maroc se pose  avec acuité. En effet, il y a une demande urgente de la part de la communauté marocaine à l’étranger de voir s’améliorer les services administratifs.

Une architecture institutionnelle mouvante

Au départ, la question des MRE relevait du Bureau de l’émigration du ministère du Travail (chargé d’appliquer les conventions bilatérales et d’examiner les dossiers des candidats au départ), du ministère de l’Intérieur (chargé de délivrer les passeports), du ministère de la Santé publique (chargé d’assurer une sélection des candidats au départ conforme à critères sanitaires) et du ministère des Finances (chargé de la collecte de l’épargne).
A la fin des années 1980 et au début des années 1990, de nombreuses institutions chargées de l’émigration ont vu le jour.
Selon le rapport intitulé « Politique d’attraction des ressortissants résidant à l’étranger : Maroc, Algérie, Liban », publié en 2013 par l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen, leur émergence résulte du changement des formes migratoires et de l’évolution de la perception de l’émigration. La nécessité de mettre en place des institutions qui permettent au Maroc de maintenir un lien avec les émigrés et leurs enfants s’est imposée. Le ministère chargé des Affaires de la communauté marocaine résidant à l’étranger a été créé en 1990. L’objectif recherché visait à mettre en place une gestion cohérente adaptée au caractère pluridimensionnel de l’émigration. Le décret n°2.91.98 du 13 juin 1993 a défini les attributions et l’organisation de ce  département. En coordination avec d’autres institutions, le ministère chargé des Affaires de la communauté marocaine résidant à l’étranger a été chargé de promouvoir l’action sociale, économique et culturelle en direction des MRE, d’assurer le suivi des migrations, de contribuer aux négociations relatives à l’émigration avec les pays de destination et de mettre en place des mesures qui facilitent la réintégration des MRE de retour au pays.  Ce département a eu vocation de devenir l’interlocuteur privilégié des MRE.
Pourtant, il a peiné à s’imposer sur l’arène institutionnelle puisque de multiples instances ont été également chargées du dossier de l’émigration.
Quant au ministère des Affaires étrangères, qui considère que les MRE relèvent de son domaine de compétence, il a été hostile à ce nouveau département et n’a pas souhaité voir ses services consulaires critiqués. Dès février 1995, le ministère chargé des Affaires de la communauté marocaine perd son autonomie vis-à-vis du ministère des Affaires étrangères en devenant un simple  sous-secrétariat d’Etat. Ses sept années d’existence sont caractérisées par une grande instabilité.
Lors du remaniement ministériel d’août 1997, un décret a mis fin à ce ministère et transféré ses compétences à celui des Affaires étrangères. Ce décret n’a pas  suivi la procédure légale d’abrogation et n’a pas été publié dans le Bulletin officiel. En novembre 2002, le Premier ministre, Driss Jettou, remet en place un ministère chargé des MRE. Ce ministère n’est pas délégué auprès du Premier ministre, mais auprès du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération. Le gouvernement formé en octobre 2007 par Abbas El Fassi compte dans ses rangs un ministère délégué auprès du Premier ministre chargé des MRE. Puisque le décret n°2.91.98 relatif à la création de ce ministère en juin 1993 n’avait pas été officiellement abrogé, il y est fait référence. La mise en place d’un ministère, autonome, chargé de l’émigration, a représenté un grand pas pour la politique marocaine d’émigration. Pourtant, des faiblesses institutionnelles persistent. Le plan d’action 2008-2012 pour la promotion des citoyens marocains à l’étranger, concocté par le ministère, met en exergue certains de ces manquements. Notamment l’absence de coordination et de coopération entre les différentes instances œuvrant dans le domaine de l’émigration et la faiblesse des fonds.
En 2013, ce département a connu une nouvelle organisation et l’élargissement de sa mission. Il n’est plus chargé uniquement des questions des MRE mais aussi des affaires de la migration. Pour ce faire, le décret organisant la commission interministérielle a été révisé et publié le 30 mars 2015.
Sur le plan institutionnel, les structures du ministère ont été réorganisées aux niveaux central et décentralisé, par décret n°2.14.192 du 4 avril 2014. L’objectif de cette réorganisation est de s’adapter aux nouvelles attentes des MRE et aux nouvelles missions du ministère impliquant les affaires de la migration, ainsi que d’assurer la proximité des services fournis aux MRE lors de leur séjour au Maroc et aux migrants au Maroc, à travers la création des services extérieurs du ministère, sous la dénomination de «Maisons des MRE et des Affaires de la migration», par décision n° 14.4359 du 1er décembre 2014. Dans ce sens, trois Maisons des Marocains résidant à l’étranger et des Affaires de la migration ont été mises en place à Beni Mellal, Nador, et Tiznit, dans l’attente que d’autres soient  créées  dans certaines régions du Royaume, afin d’accueillir, orienter et assurer un service de proximité aux MRE au niveau régional.
 


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