Le spectre de la stagnation plane sur l’économie nationale : L’Etat appelé à la rescousse

En a-t-il la volonté et les moyens ?


Hassan Bentaleb
Vendredi 5 Octobre 2018

Trois années de vaches maigres ! C’est ce que nous promet la Banque mondiale (BM). En fait, cette institution prévoit dans son dernier rapport semestriel sur la conjoncture économique dans la région MENA, une croissance du PIB à 2,9% l’année prochaine contre 3,2% pour l’année en cours et à 3,5% en 2020. L'institution de Bretton Woods note que l'économie marocaine reste fortement tributaire de la production agricole, tout en étant vulnérable aux risques du changement climatique.
Destiné à livrer les perspectives à l'horizon 2020 en termes de croissance, de solde budgétaire et de solde du compte courant de la balance des paiements, le rapport de la BM a indiqué, en outre, que  le déficit courant devrait s'améliorer sous l'effet de la croissance soutenue des exportations, des recettes touristiques et des envois de fonds, qui compenseront l’augmentation des importations énergétiques. "Cette amélioration est également liée à l’environnement mondial, en particulier à la vigoureuse reprise en Europe et à la forte croissance des exportations des secteurs à forte valeur ajoutée", ajoute la Banque mondiale.
Hicham Attouch, professeur d’économie à la Faculté de droit-Souissi à Rabat, estime que les prévisions de la BM n’ont rien de nouveau puisqu’elles s’inscrivent dans la même perspective que celle prévue par le HCP et le CESE.  « Ce dernier a précisé dans son analyse qu’à part quelques améliorations statistiques, la croissance du PIB n’a pas induit d’effets sociaux et elle est restée le parent pauvre de la dynamique de l’économie marocaine », nous a-t-il expliqué. Et de poursuivre : « La dynamique impulsée  par les  grands projets a atteint ses limites puisque ces projets sont arrivés à maturité. Ceci d’autant plus qu’on n’a pas découvert de nouvelles pistes pour booster la croissance. Même le projet de loi de Finances 2019 ne trouve pas de réponse à cette morosité économique qui transparaît déjà à travers les discours officiels ».  
Notre source soutient que l’économie marocaine a changé de cap depuis 2015 avec l’essoufflement de  la demande intérieure et qu’elle s’est orientée vers la demande extérieure (Afrique et développement des marchés extérieurs). « Le hic, c’est que cette politique n’est pas fructueuse sur le long terme puisqu’elle crée des richesses pour les entreprises et les acteurs engagés et non pas pour les citoyens marocains puisque la dynamique de croissance ne se fait pas sur le territoire national et ne se traduit pas par la création de postes d’emploi. En d’autres termes, ce sont les multinationales et les grandes entreprises qui sont les bénéficiaires des investissements à l’étranger et non pas les entreprises locales ou les PME », nous a-t-elle précisé.  Et d’ajouter : « Il faut s’attendre à une stagnation qui risque de durer trois ans s’il n’y a pas de politique volontariste de l’Etat. Aujourd’hui, rien n’augure qu’il y a prospection de nouvelles pistes  à même de donner un nouveau souffle au taux de croissance (économie du savoir à titre d’exemple ou autre) alors que la démographie et les besoins en termes de postes de travail augmentent et que l’emploi et les services sociaux seront les premières victimes de cette baisse du taux de croissance ».
Hicham Attouch précise, néanmoins, que le taux de croissance du PIB est un concept trompeur et qu’il faut s’arrêter sur la définition qu’on lui donne. « Prenez le cas de l’Afrique, il est vrai qu’elle a réalisé des taux de croissance importants mais souvent on n’évoque pas à partir de quels niveaux les pays africains ont décollé. Un taux de croissance doit être mesuré par rapport à la situation initiale », a-t-souligné. Et de conclure : «Le contient a réalisé ces taux car il était fort peu développé auparavant. De plus, il faut s’interroger sur la valeur ajoutée réalisée par ces taux. Est ce qu’il suffit de construire des bâtiments ou de produire quelques sandwichs pour dire que le taux de croissance est élevé?».
Une évaluation que partage la Commission de l'Union africaine et le Centre de développement de l’OCDE qui ont démontré dans un rapport rendu public en  juillet dernier et intitulé « Dynamiques du développement en Afrique 2018 : Croissance, emploi et inégalités», la persistance des inégalités et de la pénurie des emplois de qualité sur le continent noir malgré une croissance solide au cours de ces deux dernières décennies.
En effet, le document soutient que la croissance économique du continent n'a pas vraiment changé la situation en matière d’inégalités et d’emplois de qualité. « Entre 2000 et 2016, l'Afrique a enregistré une forte dynamique de croissance (taux de croissance annuel moyen de 4,6 %). C'est un rythme plus élevé que l'Amérique latine et les Caraïbes (2,8%) mais moins important que l'Asie (7,2%)», indique le rapport ajoutant que «la croissance des années 2000 n'a pas créé assez d'emplois et la qualité des emplois est encore insuffisante. A ce rythme, 66 % des emplois seront précaires en 2022, un taux bien supérieur à l'objectif des 41 % pour 2023 » et « la croissance africaine ne génère pas autant d'améliorations du bien-être qu'ailleurs dans le reste du monde ».
Concrètement, selon les auteurs du rapport, le continent africain a triplé son PIB depuis 2000 et son commerce avec les pays émergents dont la Chine et l'Inde est passé de 276 milliards de dollars à 806 milliards de dollars en 2016 (51% des exportations et 46% des importations). Pendant ce temps, les emplois de qualité ont malheureusement stagné à 34% (le continent compte actuellement 282 millions de travailleurs vulnérables). En outre, le niveau de pauvreté extrême a chuté de 45% en 1990 à 35% en 2013, mais la population en pauvreté extrême est passée durant la même période de 280 millions à 395 millions de personnes.


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