Le silence radio d’une majorité quasi-muette

Une myriade de questions dans l’hémicycle désespérément sans réponse


Mehdi Ouassat
Mardi 4 Février 2025

Le silence radio d’une majorité quasi-muette
Dans une démocratie moderne, la réactivité de l’exécutif face aux questions des représentants du peuple constitue un baromètre essentiel de la transparence et de la bonne gouvernance. Pourtant, une étude récente menée par l’Association «Tafra», en partenariat avec l’Union européenne, jette une lumière crue sur une réalité préoccupante: au Maroc, plusieurs ministères brillent davantage par leur silence que par leur diligence lorsqu’il s’agit de répondre aux interrogations des parlementaires.

Le constat dressé par le rapport est sans appel. Certains ministères affichent des taux de réponse dramatiquement bas, à l’image du ministère du Tourisme, de l’Artisanat, de l’Economie sociale et solidaire, qui n’a répondu qu’à 5% des 127 questions qui lui ont été posées. Ce silence quasi-absolu n’est pas un cas isolé. Le ministère de l’Aménagement du territoire national et de l’Urbanisme n’a pris la peine de répondre qu’à 6% des interrogations des députés, et toujours hors délai.

Mais la situation devient encore plus inquiétante lorsqu’on regarde du côté du chef du gouvernement et du secrétariat général du gouvernement, ils n’ont tout simplement répondu à aucune des questions qui leur ont été adressées lors de la sixième session de la législature actuelle. Ce mutisme interroge : est-il le fruit d’un désintérêt pour l’exercice parlementaire ou d’une volonté délibérée d’esquiver certains débats ?

En contraste, quelques ministères se démarquent par un taux de réponse plus élevé. Le ministère des Habous et des Affaires islamiques arrive en tête avec 65% de réponses, suivi de près par le ministère de la Justice (60%) et celui de l’Éducation nationale (57%). Le ministère de l’Intérieur affiche, quant à lui, une réactivité de 50%.

Le rapport souligne également un écart entre l’opposition et la majorité en termes d’initiatives parlementaires. Les députés de l’opposition posent presque deux fois plus de questions que ceux de la majorité, bien que les taux de réponse restent bas et similaires des deux côtés, n’excédant pas 33%, en tout.

Au-delà du simple taux de réponse, le document de «Tafra» met en évidence un autre problème majeur : le non-respect des délais imposés par le règlement interne de la Chambre des représentants. Celui-ci stipule un délai de 20 jours pour fournir une réponse aux interrogations parlementaires. Or, les ministères prennent bien souvent des semaines, voire des mois, pour répondre.

Ainsi, le ministère de l’Education nationale a mis en moyenne 44 jours pour traiter 57% des questions reçues, tandis que le ministère des Habous et des Affaires islamiques, pourtant le plus réactif, a pris en moyenne 91 jours pour répondre aux 65% des questions qui lui ont été soumises. Une lenteur administrative qui soulève des questions sur l’efficacité des processus internes du gouvernement et sur la considération accordée aux préoccupations soulevées par les élus du peuple.

Ce rapport met en évidence une problématique majeure qui dépasse la simple question de la réactivité ministérielle : celle de la responsabilité politique. Dans une démocratie représentative, les ministres et le chef du gouvernement sont tenus de rendre des comptes aux parlementaires, qui, à leur tour, sont les porte-voix des citoyens. Un gouvernement qui tarde à répondre, ou pire, qui ignore les interpellations du Parlement, affaiblit l’un des principes fondamentaux du fonctionnement démocratique : la reddition des comptes.

Le risque est double. D’une part, ce manque de transparence alimente un sentiment de défiance vis-à-vis des institutions. Si les députés eux-mêmes peinent à obtenir des réponses aux préoccupations des citoyens, comment espérer que la population ait foi en l’efficacité du système politique? D’autre part, une telle inertie fragilise le travail parlementaire, en privant les élus d’informations essentielles pour orienter le débat public et proposer des réformes adaptées aux réalités du pays.

Loin d’être un simple problème technique, cette situation révèle un défi structurel qui appelle des réformes urgentes. Premièrement, il semble essentiel d’instaurer des mécanismes contraignants pour garantir le respect des délais de réponse. Pourquoi ne pas envisager des sanctions pour les ministères qui, de manière répétée, ne répondent pas dans les temps ?

Deuxièmement, la digitalisation des procédures pourrait constituer une solution pour accélérer la circulation des informations et fluidifier les échanges entre le gouvernement et le Parlement. Une plateforme transparente permettant de suivre en temps réel l’état des questions et des réponses pourrait inciter les ministères à respecter leurs obligations.
Enfin, cette étude souligne une nécessité fondamentale : renforcer la culture de la reddition des comptes au sein de l’exécutif. Car au-delà des chiffres, ce que révèle cette enquête, c’est une certaine conception du pouvoir, où le dialogue avec les élus de la nation semble encore perçu comme une contrainte plutôt qu’un devoir démocratique.

Il appartient désormais aux parlementaires de faire entendre leur voix et d’exiger des réformes pour que la transparence et l’efficacité gouvernementale ne soient plus de simples principes théoriques, mais bien des réalités concrètes. Car une démocratie ne se mesure pas seulement aux discours de ses dirigeants, mais aussi à leur capacité à écouter et à répondre à ceux qui les interpellent.

Mehdi Ouassat


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