Le risque est gros

Les nombreux dysfonctionnements du système de la santé publique impacteraient-ils la généralisation de la protection sociale ?


Hassan Bentaleb
Dimanche 24 Avril 2022

Le risque est gros
Les rapports se suivent et se ressemblent sur les défaillances du secteur de la santé publique. Ainsi, après la publication du rapport de la Cour des comptes, le CNDH parvient aux mêmes conclusions : notre système de santé publique va mal voire très mal malgré les promesses et les annonces faites au cours de la pandémie de Covid-19.

En effet, rien ne semble mettre fin à la pénurie de personnel médical et paramédical, à la faiblesse des ressources budgétaires, à la mauvaise gouvernance des infrastructures, à la  mauvaise répartition des médecins et la liste des maux et dysfonctionnements du secteur est longue.

Autrement dit, la situation demeure identique, et ce sur tous les plans (financement, ressources humaines, gouvernance…). Et le dernier rapport thématique sur "L'effectivité du droit à la santé" présenté vendredi dernier à Rabat par le Conseil national des droits de l'Homme (CNDH) ne fait que réaffirmer cette réalité. 
 
Les difficultés sont toujours les mêmes

Selon ledit rapport, et bien que le financement de la santé soit considéré comme une pierre angulaire du droit effectif à la santé, le budget du ministère de la Santé oscille toujours entre 6 et 7% du budget général au lieu des 12% recommandés par l'Organisation mondiale de la santé ou en comparaison avec d'autres pays (10,7% en Algérie, 12,4% en Jordanie et 13,6% en Tunisie). Les dépenses de santé restent également inférieures à 6% du PIB alors que la moyenne mondiale est de 10%. A noter, cependant, que les dépenses de santé sont financées principalement par les familles (63,3% dont 50,7% d’une manière directe, 24,4 % via des ressources fiscales et 22,4% via les cotisations de la sécurité sociale).

Quant aux dépenses totales de santé par habitant, elles s’élèvent à 161 dollars contre 471 dollars en moyenne pour les pays à revenu intermédiaire supérieur ou des pays comme la Jordanie (250 dollars) ou la Tunisie (340 dollars).

L'OCDE estime que le Maroc devrait augmenter, d'ici 2030, le niveau des dépenses de santé de 5,2 points de pourcentage du PIB, pour atteindre 8,2% de ce dernier, soit 107 milliards de dirhams, dont 77 milliards du budget public.

Quant aux ressources humaines, la pénurie majeure concerne le nombre de cadres de santé, puisque le Maroc a besoin de 32.000 médecins supplémentaires par rapport aux 23.000 qui  travaillent actuellement, selon les normes de base de l'Organisation mondiale de la santé. Il a également besoin de plus de 65.000 professionnels de santé et l’on s'attend à ce que ces besoins en ressources humaines augmentent rapidement à l'avenir.

Une situation des plus complexes puisque les statistiques estiment que contre lesdits 23.000 médecins, on dénombre entre 10.000 et 14.000 médecins marocains exerçant à l’étranger, notamment dans les pays européens. Cela fait que près d'un médecin marocain sur trois exerce à l'étranger.

La répartition inégale des médecins sur le territoire national pose toujours problème. En effet, plus de la moitié des médecins travaillent dans l'axe El Jadida, Casablanca, Rabat-Kénitra. En outre, les deux tiers des professionnels de santé sont en poste dans quatre régions du Royaume, tandis que le tiers restant est réparti entre les huit autres régions, avec une mauvaise distribution de ces cadres au sein des mêmes régions, et entre les zones urbaines et rurales.

S’agissant de la gouvernance des infrastructures de santé, ledit rapport a indiqué que le taux d'occupation des hôpitaux publics est de 62% et celui de séjour moyen est de 4 jours. Tout en précisant que la faiblesse des ressources humaines et la mauvaise gestion du personnel impactent fortement les structures et les équipements qui sont soit à l'arrêt soit sous tension.
Il a également démontré que le taux d'interventions chirurgicales par chirurgien ne dépasse pas 166 par an, à raison de moins d'une intervention chirurgicale par jour ouvrable pour chaque chirurgien du secteur public et la moitié de chaque journée de travail pour chaque médecin spécialiste au Maroc. Quant au nombre de consultations spécialisées pour chaque médecin spécialiste, il s'élève à 789 consultations annuelles, avec une moyenne de trois consultations.
 
Du déjà-vu :

Pour Mohammed Ouardi, secrétaire général du Syndicat national de la santé publique, la situation du secteur reste inchangeable. Pis, il estime qu’elle s’est beaucoup détériorée ces derniers temps. Et il se demande, à ce propos, à quoi servent ces tonnes de rapports, d’études et de rencontres sur le secteur de la santé si la situation demeure la même chaque année. « Le vrai problème du secteur, ce sont les lobbies qui s’opposent à toute réforme radicale puisque cela menace leurs intérêts », nous a-t-il confié. Et de poursuivre : « La question de la santé ne concerne pas uniquement le ministère de la Santé, le CNDH ou autre. C’est un problème gouvernemental par excellence. Elle doit représenter avec celle de l’éducation nationale les priorités de l’agenda gouvernemental. La crise peut toucher n’importe quel secteur, mais ces deux secteurs doivent être épargnés et protégés puisqu’il s’agit de deux systèmes stratégiques pour la nation ».

Et si la situation est tellement catastrophique, comment le chantier de généralisation de la protection sociale pourrait-il avoir des chances de réussir ? « Rien ne laisse prévoir la réussite de ce chantier, pourtant si important pour nos concitoyens, particulièrement les plus pauvres et vulnérables. En fait, le rythme empressé  d’avancement de ce chantier et l’absence d’une vision claire augurent de mauvais résultats alors qu’il s’agit d’un projet Royal qu’il faut réussir », nous-a-t-il répondu. Et d’expliquer : « L’Exécutif a opté pour l’empressement et l’opacité dans ce dossier. Même nous en tant que syndicat dans le domaine de la santé, nous n’avons pas assez d’informations sur les tenants et aboutissants de ce chantier. Nous n’avons droit qu’à des fragments de réponses ».

Pour notre interlocuteur, la réussite de ce projet exige la lenteur, la transparence et l’implication de tous (partis politiques, syndicats, société civile…). « Des conditions qui n’existent pas aujourd’hui », martèle-t-il. Et de conclure : « Il faut également que ce projet soit purement marocain. C'est-à-dire conçu avec des idées marocaines par des cadres marocains et proposant un programme marocain qui correspond au contexte du Royaume. Nous ne voulons pas des idées ou modèles importés. Nous avons les compétences qu’il faut. Il reste à les bien utiliser ».

Hassan Bentaleb


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