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le Prix 2M pour la création littéraire
en 2012 avec «Le tapis rouge»,
ouvrage incisif racontant différentes tranches de vie à Taroudant.
Il revient aujourd’hui avec
un deuxième roman intitulé
«Ainsi parlait Shéhérazade»,
paru aux éditions Marsam.
Si « Les Mille et Une Nuits » s’inscrivent dans cette fantasmagorie orientaliste épinglée par Fatima Mernissi, le roman « Ainsi parlait Shéhérazade » de Mohamed Ouissaden évoque davantage une mélancolie romantique, dans un monde où règnent la confusion des sentiments, les errances identitaires et le trouble des passions. En lisant cette belle histoire, qui évoque les rapports complexes entre trois personnages, nous avons beaucoup pensé au « Ravissement de Lol V. Stein » de Marguerite Duras. Il y a une fragilité intrinsèque des personnages, une façon de se retrouver arraché, ravi à soi-même lors de la passion amoureuse, qui nous a beaucoup plu. L’une des scènes clé du roman de Mohamed Ouissaden se déroule d’ailleurs lors d’un bal, où quelqu’un sera marqué à jamais par le chagrin.
Le texte commence par la description minutieuse d’une femme à sa fenêtre : « Et comme le ciel ne voulait pas pleuvoir, elle versait elle-même la pluie de larmes d’un dépit amoureux. Elle préférait demeurer seule dans le grand silence de la nuit noire pour s’épancher. Et c’était toujours en présence de la lune qu’elle voulait tout raconter, d’un air douloureux ». Rabab est une jeune enseignante de trente-cinq ans, amoureuse de Frédéric lui-même professeur de philosophie. Il voit Rabab comme une fille « multiculturelle » et sa beauté le submerge : « Elle avait sur son visage effilé, en dessous de l’œil droit, un grain naturel de beauté. Et elle en rajoutait témérairement un autre, factice, sur l’aile gauche de la narine. Elle devenait encore plus belle quand ses cheveux d’ébène se jetaient sur ses hanches, d’un léger mouvement onduleux ». Toutefois, en regardant le soleil se coucher sur son balcon, Rabab songe à la dispute qu’ils ont eue. Elle se remémore un événement analogue. Pauline, son amie de collège, qui a été giflée par son amant quand on lui a fait croire qu’elle l’avait trahi pour un autre homme. Elle vit quelque chose de semblable. Et cela la désole. L’amour nous rend somnambule, léthargique. Rabab a rencontré Frédéric lors d’une conférence intitulée « Les effets de l’identité sur l’humanité ». D’emblée le désir avait été là. Ils avaient échangé des regards chargés d’amour. Aujourd’hui, il n’en reste que le souvenir. Les yeux plongés dans l’horizon crépusculaire, Rabab songe au pessimisme de Schopenhauer : « Ce chien d’amour la mordit, voilà comment et ce n’était jusque-là que le début du cheminement vers un paradis sans chemin. Mais dans cette impossibilité, elle trouva une sorte de plaisir, cette chose inexpliquée qui lui venait au cœur, quand ces semblants de tonnerres hideux disparaissaient pour revenir la troubler aussitôt. L’amour qui œuvrait en elle était plein de tout sauf d’assurance ».
Ce soir-là, Frédéric est également chez lui, seul. Il repense à leur dispute. Ils avaient été invités à un bal par Sarah, une de leurs étudiantes. Ce soir-là, elle prenait un plaisir envoûtant à regarder les corps amoureux s’étreindre sur la piste de danse. A un moment, un bel homme s’est penché sur l’épaule de Rabab. Celle-ci s’est abandonnée à lui, a été ravie à elle-même l’espace de quelques instants : « Elle s’offrait à deux choses : la danse et le souvenir. Ni Frédéric qui la regardait, accablé, ni le bel homme qui la ressassait, ne pouvaient remuer en elle une fibre émotionnelle. Elle était comme sortie d’elle-même quand Frédéric lui demanda, avec un remuement de tête, de s’éloigner de l’intrus pour venir danser avec lui ». Frédéric a été blessé par ce qu’il se représente être une danse « obscène ». Il a giflé Rabab et a quitté la soirée. Dans son appartement, il cherche refuge sur Facebook. Il regarde défiler les post, les messages, comme anesthésié par ce trop plein de communication. Sur le groupe « Récits et Comment@ire » qu’il a créé, il voit apparaître le commentaire sibyllin d’une dénommée « Shéhérazade ». Celle-ci affirme qu’elle est arrivée à répondre aux questions qu’il a posées : « Qui es-tu ? D’où es-tu ? En qui crois-tu ? Comment es-tu ? Que veux-tu ? ». Frédéric est impatient de lire ses réponses. La mystérieuse inconnue lui adresse cinq contes qui déconstruisent la violence intrinsèque des questionnements. Au « Qui es-tu ? » adressé par Frédéric, Shéhérazade répond par la dématérialisation de l’être, l’anéantissement de la forme du corps et du nom, et invite le regard à être pénétré par les sentiments plutôt que par la raison identificatrice. Il en est de même pour les interrogations sur la provenance : « La question « D’où es-tu ? » est dangereuse : elle relève de la réductrice identité, mon Shahrayar ! Agressive est la question « D’où es-tu ? », tout comme « Qui tu es ? », elle nous amène à valoriser l’identité qui, dans la plupart des cas, nous tue, ou au moins nous engloutit, même doucement, comme une carapace engloutit la chair d’une tortue ». Plus Frédéric lit les contes racontés par la voix écrite de Shéhérazade, plus il tombe amoureux de cette inconnue. Qui se cache derrière ces mots envoûtants ? L’amour ne serait finalement qu’une belle histoire littéraire ? Et vice versa.
* Enseignant chercheur CRESC/EGE Rabat
(Cercle de littérature
contemporaine)