Le privé se laisserait tenter par le recrutement de personnel médical et paramédical étranger

C’est au niveau du public que le manque se fait sentir le plus


Hassan Bentaleb
Lundi 10 Février 2025

L’information diffusée ce week-end a fait grand bruit : le Maroc aurait entrepris le recrutement de 800 infirmières égyptiennes avec des salaires atteignant 1.000 dollars par mois, assortis de 200 dollars pour l’hébergement. Cette annonce faite par le ministre égyptien de l’Emploi, Mohamed Gibran, concerne des postes offerts par le groupe marocain «Akdital». Cependant, 48 heures plus tard, ce dernier a démenti ces affirmations, indiquant n’avoir signé aucun accord pour recruter des infirmiers étrangers tout en réitérant sa priorité pour les compétences marocaines. Ce démenti, tout en laissant la porte ouverte à un éventuel recours aux talents étrangers, a suscité de nombreuses questions.
 
Une situation floue et des questions légitimes
 
En effet, l’annonce du ministre égyptien est troublante à plusieurs égards. Pourquoi un haut responsable aurait-il pris l’initiative de publier des informations aussi précises – nombre de postes, salaires et spécialités recherchées – si aucun accord n’avait été signé? Cela soulève plusieurs hypothèses. Y-a-t-il eu une incompréhension ou un malentendu dans les négociations ? Autrement dit, le ministre égyptien aurait-il anticipé un accord en cours sans attendre sa conclusion officielle? Ou s’agit-il d’une stratégie de communication calculée ? En d’autres termes, l’annonce aurait-elle été faite pour attirer l’attention sur l’expertise égyptienne en soins infirmiers, dans un contexte de forte demande internationale ?

Autres questions et non des moindres : pourquoi ces infirmières égyptiennes choisissent-elles le Maroc pour travailler alors que plusieurs pays du Nord ont besoin de dizaines de milliers de médecins, d'infirmières et d'autres personnels médicaux, car leurs populations vieillissent et développent de plus en plus de problèmes de santé ? Dans le même temps, les professionnels de santé démissionnent ou partent à la retraite, et l'intérêt pour les carrières d'infirmières s'amenuise. Le recrutement d’infirmières égyptiennes représente-t-il une opportunité pour le secteur de la santé national ?
Et enfin, malgré la qualité de la formation des infirmiers marocains, pourquoi le pays peine-t-il à combler ses besoins ?
 
La pénurie chronique de personnel soignant au Maroc
 
En attendant des clarifications de la part des deux parties, pour dissiper les ambiguïtés et éviter les malentendus, cette polémique reflète un problème bien plus profond : la grave pénurie de personnel infirmier au Maroc. Selon l’Organisation démocratique de la santé (ODS), le pays compte seulement 9 infirmiers pour 10.000 habitants, loin derrière la norme de l’OMS, qui recommande 60 infirmiers pour 10.000 habitants. Un déficit structurel alarmant puisque le pays aurait besoin de 64.774 infirmiers et techniciens de santé pour le combler. Selon le ministère de la Santé, le pays ne dispose que de 32.689 professionnels paramédicaux, dont plus de 80% travaillent dans le secteur public.

A rappeler que la densité globale des agents de santé est passée de 1,51 agent pour 1.000 habitants en 2011 à 1,64 en 2020, une progression insuffisante face à la croissance démographique.

 Les professionnels de santé marocains dénoncent régulièrement des salaires bas, des charges de travail excessives et un manque de reconnaissance, poussant beaucoup d’entre eux à chercher des opportunités à l’étranger. En outre, les politiques actuelles ne semblent pas suffisamment valoriser le capital humain national, ce qui limite l’attractivité du secteur. A souligner que les infirmiers marocains, formés dans des institutions réputées, préfèrent souvent migrer vers des pays où les conditions de travail et les rémunérations sont meilleures.
 
Un problème mondial : la crise des ressources humaines en santé
 
La situation au Maroc n’est pas unique. Elle s’inscrit dans une crise mondiale du personnel soignant. Selon l’OMS, la pénurie globale de travailleurs de la santé atteint 18 millions, dont la moitié concerne les infirmières et les sages-femmes. La pandémie de Covid-19 a exacerbé les tensions, provoquant un épuisement généralisé du personnel soignant et une augmentation des départs de la profession. En 2020, 20% des associations nationales d’infirmières ont rapporté une hausse des départs. Et bien que de nombreux pays aient augmenté le nombre d’étudiants en soins infirmiers, il faut plusieurs années avant que ces diplômés ne soient opérationnels, tandis que les départs des infirmières expérimentées continuent de s’accélérer.

Le Conseil international des infirmières (CII) estime que 13 millions d’infirmières seront nécessaires pour combler la pénurie mondiale dans les prochaines années.
 
Une opportunité ou une dépendance accrue à l’étranger ?
 
Pour certains professionnels du secteur de la santé, si le recrutement d’infirmières égyptiennes venait à se concrétiser, cela pourrait représenter à la fois une réponse pragmatique à un besoin urgent, c’est-à-dire que le recours à des talents étrangers permettrait de pallier temporairement le déficit, tout en apportant une expertise spécifique dans certaines spécialités; et un risque de dépendance. En fait et à long terme, cette stratégie pourrait accentuer la dépendance du Maroc à l’égard des ressources humaines étrangères, au lieu de développer des politiques durables pour renforcer les compétences locales.

Pour faire face à cette situation complexe, les professionnels estiment que plusieurs pistes peuvent être envisagées, à savoir améliorer les conditions de travail et les salaires des infirmiers marocains afin de limiter l’exode des talents et d’attirer davantage de candidats locaux; augmenter les capacités de formation en soins infirmiers, avec un soutien accru aux écoles et instituts spécialisés, encourager des partenariats public-privé pour accélérer la formation, mettre en place un plan national d’attractivité des professions de santé, incluant des incitations financières et des avantages sociaux pour les professionnels travaillant dans des zones rurales ou dans des spécialités critiques. Et enfin encadrer le recours aux compétences étrangères pour s’assurer que ces recrutements répondent à des besoins spécifiques et ne se font pas au détriment des opportunités locales.

Hassan Bentaleb 


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