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Le livre : Théocratie populiste, Potentialités politiques selon l’histoire


Vendredi 18 Juillet 2014

Le livre : Théocratie populiste, Potentialités politiques selon l’histoire
Il y a une convergence remarquable entre l’Etat et la nation pour conforter l’idée de la vanité de toute chose, que rien ne vaut la peine ni d’un effort considérable ni d’un sacrifice quelconque. Pourquoi avoir un bon système d’enseignement? Pourquoi s’organiser? Pourquoi, à quoi bon bousculer nos traditions et nos habitudes? Pour aboutir à la situation d’autres pays et nations? Mais en quoi sont-ils mieux que nous? Autosatisfaction et nihilisme: ces deux attitudes ne sont jamais loin du rejet du monde, de la raison et de la responsabilité. Au Maroc prévaut ce qu’on appelle la tradition, mais qu’est-ce que la tradition? C’est à la fois une interprétation de l’islam, un conservatisme politique et social, un concept de l’autorité qui implique sa divinisation, le culte du rapport de force pur, un refus viscéral du changement et une peur de la modernité, une application de la sharia qui ne dit pas son nom, un certain laxisme sur le plan de la jouissance, spécialement masculine et une attitude désinvolte vis-à-vis de l’injustice. 
La tradition a toujours été la justification de toutes sortes de répressions. La société marocaine est une société du refus du temps, du mouvement et du progrès. Les Marocains valorisent énormément le passé, en ont une nostalgie profonde et font un effort de tous les instants pour tout maintenir figé; la subtilité de la stratégie du refus du temps est digne d’une approche analytique. L’inertie est un art, peut-être une science marocaine : on s’agite, on se précipite pour que rien n’aboutisse. 
Il y a un danger géopolitique de la tradition. Tous ceux qui craignent pour leur avenir veulent aller de l’avant, c’est l’attitude de l’Occident depuis des siècles; Or l’histoire des deux derniers siècles nous condamne; allons-nous répéter les fautes qui nous conduisirent à l’asservissement? Au Japon, pendant la restauration impériale due au mouvement Meiji, le sacré fut utilisé pour reconstruire l’union nationale et mobiliser la population en vue d’une modernisation rapide. 
Quant à nous, nous sollicitons les figures de notre passé pour nous en glorifier, pour les contempler, pour reconstituer l’époque primordiale: nous faisons un travail archéologique avec une société vivante. Allons-nous tenir notre place parmi les peuples ou dans un musée? Les Occidentaux aussi eurent leur Moyen-âge, les voit-on en faire leur modèle en matière d’organisation politique? 
On me dirait alors, en islam, ce n’est pas pareil; le christianisme sépare pouvoir politique et religion; l’islam les envisage ensemble. Détrompez-vous, même en chrétienté, la papauté eut des ambitions politiques et voulut régenter les monarchies médiévales. Rien ne devait se soustraire à l’autorité des papes et c’est de haute lutte que les rois firent entendre raison à l’Eglise. 
La tradition conjugue la mort indéfiniment; c’est la tradition qui est responsable de l’hécatombe qui aboutit à une population de 4 millions de personnes au Maroc en 1905 : que de famines, que de disettes, que d’épidémies, que de conflits tribaux au moment où l’Occident triplait sa population! Dans les sociétés restées traditionnelles par défaut de modernité ou pour ne pas avoir connu l’âge industriel, l’individu doit combattre la société traditionnelle et tenter d’échapper à ses rets et la plupart du temps n’y réussit pas. 
Le système traditionnel oeuvre pour la fermeture de l’esprit; l’école primaire au Maroc est fondée sur une mémorisation qui se passe de compréhension. Apprendre par coeur était acceptable au Moyen-âge parce que la mémoire tenait lieu aux pauvres de bibliothèques, les livres étant très chers. Aujourd’hui, cela sert à renforcer l’esprit traditionnel et l’argument d’autorité, à étouffer l’esprit critique. 
Un système traditionnel a pour valeur suprême l’obéissance, et celui qui a toujours obéi l’emporte sur celui qui a été désobéissant puis a commencé à obéir. Au Maroc, le champ politique et social est marqué par le religieux : on peut distinguer les forces politiques qui réfèrent essentiellement à l’islam et les autres (tous les autres partis) qui, sans être hostiles à l’islam, ne veulent pas d’une théocratie populiste ou non. 
Ainsi selon un axe allant des forces les plus modérées aux plus radicales, on peut classer d’abord les zawiyas, toutes très conservatrices; le parti de l’Istiqlal puis le PJD. Ils sont suivis par Al Adl Wal Ihsane qui est contre l’action violente puis par des formations qui l’autorisent, les partisans marocains de la Qācida, le groupe des Ansār Al Mahdi, la Salafiyya Jihadiyya et d’autres. 
Quant au pouvoir dont l’ancienneté historique ainsi que le conservatisme le qualifient de traditionnel, il se fonde sur une orthodoxie sunnite. Sa doctrine, la triade malékite-ashaârite-soufie est une réédition de la politique religieuse saljūqide, à la différence près du shafiîsme; les oulémas ont une longue expérience de lutte contre la falsafa et le malékisme en particulier en triompha déjà sous les Almohades. 
Il reste donc sur une victoire. Avec l’Istiqlal, nous avons une articulation entre religion et nationalisme qui défend farouchement la propriété privée. Le PJD, de son côté, allie religion et populisme, manifestant une proximité et une capacité d’écoute remarquables vis-à-vis des illettrés et des déshérités: le leadership de cette formation est partagé entre une soumission marquée au Makhzen et une libération du potentiel politique du parti. Pour Al Adl Wal Ihsane, l’islam s’articule à un républicanisme de forme, selon le modèle iranien et plus particulièrement celui des califes bien guidés. 
Relativement aux groupes jihadistes adoptant le terrorisme, ils veulent punir l’Etat pour son alliance avec l’Occident et le peuple qui ne réagit pas suffisamment à cet égard, tout en suscitant l’inquiétude et l’agitation propices à la déstabilisation. Peut-on envisager une sorte de division du travail qui ne dit pas son nom parmi les tendances islamistes : Al Adl désacralisant la monarchie, le PJD luttant au niveau parlementaire et communal et les groupuscules islamistes s’occupant d’actions terroristes déstabilisatrices? Evidemment, ce serait aller très loin et seul un marxiste ou le stratège d’un Etat policier pourrait envisager les choses sous cet angle. 
Dès 2000, il y eut une forte poussée vers la réaffirmation exclusive du rite malékite. Qu’est-ce qui justifie donc toutes ces dépenses pour rédiger une Constitution, établir un Conseil constitutionnel, deux Chambres, organiser des élections, etc? Cette poussée interrompue en 2003 suite aux attentats de Casablanca est reprise. Bien entendu, le fiqh ne permet ni opposition ni liberté de conscience ; le concept de murtad est toujours là et pour le fiqh, l’opposition est rébellion et injustice ; le garde-fou du régime marocain est certainement la loi religieuse (sharia). 
D’ailleurs, la puissance du malékisme doit nous faire réévaluer la portée réelle des idéologies politiques que défendent les partis politiques. La combinaison qui prévalut jusqu'à l’avènement de Mohammed VI entre État policier et théocratie connaît cependant une évolution sensible, dans le sens d’une atténuation, mais l’articulation – redoutable si elle est pleinement réactivée – n’a pas été découplée. 
En même temps, on peut dire que le tableau idéologique a connu un changement déconcertant en l’espace de quelques générations.  

A suivre


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