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Le livre : Théocratie populiste Ou séparation des pouvoirs au Maroc ?


Vendredi 11 Juillet 2014

Le livre : Théocratie populiste Ou séparation des pouvoirs au Maroc ?
II. Synthèse monarchique et lignes de fracture 
 
1. Reconstitution du front national : une panacée? La riposte? Reconstruire le front national autour de la cause du Sahara. Ce que le Roi Hassan II apprit d’une décennie de pouvoir: trop de nationalisme (UNFP) était un danger pour la monarchie et peu de nationalisme (extraversion française des généraux putschistes, présence de bases étrangères) n’était pas moins périlleux. Il voulait que le nationalisme des uns passât par la monarchie, qu’il acceptât d’être tempéré par le clientélisme et que l’extraversion des autres ne pût jamais mettre en cause le trône, ce qui n’était pas réaliste. 
Le Souverain renoua donc avec les partis du mouvement national en s’engageant dans la récupération du Sahara, au moment où il risquait d’échapper au Maroc par la constitution d’un front de libération qui ignorait délibérément l’histoire de ces provinces. Conjointement, des élections étaient organisées où l’Istiqlal et l’USFP devaient avoir une certaine représentation. Ces nationalistes ne savaient plus à quel saint se vouer : ils auraient préféré un autre Roi et une autre armée et ils s’allièrent aux deux. 
Après les risques majeurs de 1971 et 1972, le pouvoir n’avait plus affaire qu’à des militants pour la plupart extrêmement jeunes et inexpérimentés et qui furent durement traités (Mouvement du 23 mars, Ila Al Amam). Cette gauche radicale agissait selon des schèmes préétablis non en fonction du rapport des forces réel. Ila Al Amam traitait l’affaire du Sahara comme un Brest-Litovsk potentiel dans un pays où l’Etat venait de reconstituer un solide front national. Cette gauche répéta l’erreur de l’UNFP, celle d’affronter le Makhzen sans alliance significative; la peur de se compromettre avec les nationalistes la condamna à une marginalisation durable. 
Ces soubresauts favorisèrent aussi la reconnaissance par l’Etat de l’Association de la jeunesse islamique (novembre 1972) qui devait être impliquée dans l’assassinat d’Omar Benjelloun et interdite en 1976. La Marche Verte transcenda la diversité tribale au Maroc et rompit avec la tradition d’un déplacement tribal venant du Sud. C’était le Nord qui allait vers le Sud au lieu que traditionnellement le Sud montait vers le Nord, ou était-ce une puissance originaire du Sud, les Alaouites, qui empêchait une autre de monter? 
On peut dire que l’armée marocaine paracheva son intégration nationale par son engagement en faveur du Sahara marocain. Sans s’appesantir sur les considérations tactiques, d’ailleurs peu profondes, d’un éloignement salutaire d’une armée devenue dangereuse en ouvrant un front au Sud du Royaume, l’engagement de la monarchie est tout à fait stratégique, car la récupération du Sahara est une question vitale pour elle et pour le Maroc. Hassan II savait qu’au Maroc, les dynasties tombaient par leurs crises de succession, par leur défaut d’orthodoxie et par leur carence à défendre le territoire national ; ces trois facteurs expliquent la chute des Idrissides et des dynasties successives.  Celles qui avaient perdu le contrôle d’une partie importante du Maroc furent toutes pénalisées. Et le Sahara n’était pas la Mauritanie : une dynastie extrêmement importante, celle des Almoravides en fut originaire. Le Souverain ne pouvait y renoncer sans conséquence. 
Après la rétrocession de Tindouf et la renonciation à tous les gains de la guerre de 1963, la récupération de l’enclave d’Ifni n’était pas suffisante pour satisfaire les nationalistes; un autre échec au Sahara aurait été peut-être plus dangereux que les tentatives de coups d’État; donc Hassan II utilisa toutes les ressources du pays pour reconquérir le Sahara. Il obtint le concours de l’USFP et de l’Istiqlal, lequel entra au gouvernement (1977); Azeddine Laraki, ministre de l’Education nationale (1977), mit en oeuvre l’arabisation voulue par l’Istiqlal, le pouvoir et l’extrême gauche, chacun dans un but déterminé. Arabisation bâclée qui produisit un effondrement général du niveau scolaire et universitaire. 
Funeste démagogie! A. Bouabid espérait qu’au lendemain de la Marche Verte, une réelle collaboration avec le Monarque était possible. Après les déboires des élections législatives1 de 1977, le leader reprit son discours sur la Constituante et s’y tint jusqu’à sa mort. En 1981, une grève générale à l’appel de la CDT tourna à l’émeute ; la protestation contre l’augmentation du prix de la farine, du beurre et du sucre, produits que l’Etat voulait moins subventionner, fut sévèrement réprimée. Le nombre considérable des victimes (637 selon l’USFP, 800 d’après le PPS) n’atteignit pas le niveau de 1965. Le bras de fer entre le pouvoir et l’USFP devait continuer : « 15 ou 16 députés USFP contestant la prorogation des mandats électoraux décident de ne plus siéger au Parlement : ils sont menacés d’être arrêtés. "C’est le pire de la sédition", dit Hassan II devant le Parlement en les traitant "d’égarés, de mystificateurs et de désinvoltes". 
Ils seront contraints de retourner siéger… Dans une conférence de presse, le Roi développa amplement ses arguments : «Maintenant, si les Parlementaires de l’USFP se retiraient du Parlement, d’abord ils commenceraient par se couvrir de ridicule. Aucun parlementaire qui se respecterait, même et surtout dans soit l’interafricaine socialiste ou l’internationale socialiste, ne comprendrait ce retrait. Qu’on soit Achille et qu’on se retire sous sa tente, c’est autre chose. Mais être au Parlement, ça ne veut pas dire faire le siège de la ville de Troie.  On est au Parlement pour porter la parole de ceux qui vous ont mandaté. Alors à partir du moment où l’on se retire du seul édifice créé par la loi, par le peuple, par le référendum, le seul édifice qui dise la loi, qui vive dans la loi et qui édicte la loi, à partir de ce moment-là, la loi se doit de méconnaître ceux-là mêmes qui méconnaissent son sanctionnaire». 
Ce texte est d’une importance capitale pour comprendre la pensée politique du Roi Hassan II. D’abord, il souligne que les parlementaires de l’USFP ne connaissaient rien en matière de rapport des forces; en d’autres termes, l’élection d’un président socialiste en France n’allait rien changer au Maroc. Ensuite, il leur disait que s’ils portaient atteinte ne serait-ce que superficiellement à la crédibilité du régime, plus exactement à l’un des symboles de la souveraineté Royale, il n’appliquera pas la loi à leur égard; cela signifie en langage hobbésien: je «retournerai» à l’état de nature, s’il l’avait jamais quitté, et donc toute action aussi radicale soit-elle et violant toutes les lois, je suis fondé à l’adopter contre vous. Bouabid tira un baroud d’honneur en réclamant un référendum marocain sur le Sahara (1981), une manière de souligner que le peuple était souverain (pâle reprise de l’idée de Constituante), une sorte de wishful thinking; demande jugée incongrue, sauf peut-être, dans une certaine mesure par les partisans de l’autodétermination des Sahraouis, mais Bouabid n’en était pas! 
Cette proposition destinée à donner l’initiative au peuple (la Marche Verte n’avait-elle pas déjà répondu à la question?) était totalement en porte-à-faux et embarrassante car les élections étaient régulièrement falsifiées, mais elle ne devait pas exposer le leader socialiste à la réclusion. 

A suivre


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