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Le livre: Théocratie populiste L’alternance, une transition démocratique?


Mustapha Hogga
Mardi 19 Août 2014

Le livre: Théocratie populiste L’alternance, une transition démocratique?
Les islamistes militent pour réislamiser la société selon le modèle de Médine  tout en pensant à la conquête du pouvoir : les deux buts sont indissociables. Pour les réaliser, il y a tout un éventail de considérations tactiques que les islamistes prennent en compte. C’est le même discours et la même stratégie qu’adoptent tous les partis islamistes. Les différences qui existent sont purement tactiques et modulables à l’infini puisqu’il est permis de ruser avec l’ennemi. Il en résulte qu’aucun groupe islamiste ne doit blâmer un autre pour sa tactique : elle est de mise, pourrait-on penser, avec un Etat impie et impitoyable : ces considérations sont l’ordinaire de la pensée islamiste.
En outre, on pense que le musulman n’a rien à craindre du calife ou du juge puisqu’ils doivent être eux-mêmes vertueux. Et s’ils ne le sont pas? Les oulémas ont une réponse : la justice divine existe, elle ! Est-ce que l’étape islamiste de la séparation des pouvoirs (telle que l’entendent les islamistes) est nécessaire, un moment obligé – qui risque de durer longtemps – pour parvenir à une révolution libérale?
On peut observer qu’avec la monarchie, nous en avons déjà une version puisque la séparation des pouvoirs qu’elle adopte est, selon l’islam et le concept du califat, mais n’est-il pas préférable d’avoir un retour de l’islam politique après un apprentissage conséquent de la démocratie (cas de la Turquie) que d’avoir un passage direct d’un régime semi-autoritaire à une théocratie «populiste»?
De nombreux Marocains veulent un État qui fasse respecter davantage l’islam et acceptent le droit de regard du coreligionnaire, et prennent également ce droit vis-à-vis de lui sans le consulter : le problème ici, ce n’est pas seulement la divergence des valeurs entre Marocains, mais qu’ils se surveillent et soient prêts à se censurer les uns les autres. On ne gère plus, si on ne l’a jamais fait, la cité par les prêches, les exhortations et les remontrances ou par une suspicion généralisée.
Il y a des Marocains qui perdent leur énergie à sonder l’intention d’autrui et à classer les gens en croyants et mécréants. Donner à autorité un contenu à l’intention d’autrui, à sa conscience, caractérise l’approche théologique des rapports sociaux. Le prophète Muhammad affirma qu’il était impossible de connaître l’intention véritable d’une personne. Les Kharijites soutinrent qu’on pouvait, et de manière infaillible. S’interposer entre le sujet et sa conscience est le summum de l’injustice.
La contrainte s’étend à l’intention même et porte le soupçon au cœur de l’intimité de l’autre. Les théocrates ont la prétention de déchiffrer clairement l’intention d’autrui, chose qui fait problème pour l’intéressé lui-même. C’est une preuve de modernité de respecter la croyance d’autrui et de ne pas la considérer comme un critère de citoyenneté.
Les islamistes peuvent accepter la démocratie qui est contre leurs principes et qu’ils abhorrent si elle peut les conduire au pouvoir ; parallèlement, ils dénoncent les autres partis pour leurs promesses non tenues.
En fait, les islamistes considèrent la démocratie comme l’antichambre d’un pouvoir éternel : «les musulmans authentiques» ayant en majorité voté pour eux, ils ne peuvent les désavouer au nom de la solidarité islamique et la minorité n’a plus voix au chapitre. Quant à la démocratie elle-même, elle est assimilable à l’état préislamique d’ignorance : son relativisme moral est perçu comme un véritable défi à l’islam.
Les partis islamistes estiment qu’on peut légiférer à contresens de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Les valeurs occidentales et ceux qui s’en inspirent dans le monde musulman relèvent de la jahiliyya, cette société antéislamique qui ignorait la loi divine : elle devient le paradigme de tout système de pensée ou ordre politique objet de désapprobation islamiste.
Le jihad (la guerre sainte) est, à cet égard, légitime contre les Occidentaux qui occupent des terres musulmanes et les musulmans qui adoptent les valeurs occidentales, que ce soit sur un plan individuel, social ou politique. Le dialogue entre les islamistes et les démocrates est rendu difficile par la caractérisation de ceux qui réclament une démocratie à l’occidentale d’apostats, même s’ils n’ont pas renié leur foi. La liberté de conscience, tout ce qui est considéré par le premier amendement américain comme au-delà du politique, semble faire problème dans tous les pays musulmans.
De nombreux réformateurs islamistes adoptent des attitudes kharijites, comme de décréter l’incroyance de ceux qui n’observent pas scrupuleusement les obligations cultuelles. Ce qui empêche nombre de musulmans de déclarer leur kharijisme, c’est le fait que les khawarij assassinèrent. Ali qui connaissait la loi islamique mieux qu’eux tous. L’islamisme est une réponse à la menace puis à l’emprise coloniale. C’est aussi une réponse aux idéologies politiques inspirées de l’Occident : socialisme, communisme, démocratie libérale. Cependant, dans la pratique, l’islamisme n’eut affaire qu’aux autocraties prooccidentales ou aux dictatures militaires.
L’islamisme semble se développer lorsque l’intrusion des puissances occidentales dans le monde musulman (surtout pour maintenir un ordre inique) atteint un certain seuil. La corruption fait le lit de l’islamisme.
C’est l’extrême corruption de la monarchie égyptienne qui permit aux Frères musulmans de recueillir l’adhésion des masses. Aujourd’hui, le parti interdit déclare que s’il était autorisé, il obtiendrait la majorité des sièges au Parlement sans doute en raison de l’aide islamiste aux étudiants pauvres des universités, du soutien aux jeunes sans qualification, aux artisans ou aux diplômés à la recherche d’un emploi, en passant par diverses formes de charité ; les islamistes sont l’État de ceux que celui-ci a oubliés.
L’islamisme n’a quelque chance d’aboutir que si l’Etat fait preuve d’une carence générale ; or nombre d’Etats musulmans manifestent une indifférence absolue au peuple. L’islamisme ne peut triompher que s’il adopte un discours, une mystique nationaliste. Les sécularistes, communistes, socialistes ou libéraux, sont aussi le levier nécessaire de la révolution islamique.
Le cas de l’Iran le prouve suffisamment. La critique des démocrates permit d’isoler le Shah sans leur offrir une réelle alternative de pouvoir et la force la mieux structurée et ayant le soutien le plus étendu parmi la population, le clergé, put renverser le Shah, non sans avoir coopté des libéraux sensibles au discours religieux. Sans eux, les islamistes ne  pouvaient aboutir ; on l’a vu dans le cas d’al-Afghānī et de Rashid Rida ; en Iran, il y eut l’alliance entre le clergé et le mouvement de Bani Sadr. Devons-nous aujourd’hui nous inspirer seulement de l’islam dans notre réflexion sur le régime politique adéquat pour le Maroc ? Ceux qui veulent que l’islam constitue l’unique fondement de l’ordre politique peuvent-ils dire selon quel nouvel ijtihād, pour que ce régime islamique soit réellement opérant ?
Ou alors, laisseraient-ils de nombreux problèmes à la grâce de Dieu ? Devons-nous référer aux institutions islamiques et tabler sur la vertu des hommes, leur bonne volonté, les alimentant d’exhortations pour traiter autrui équitablement et faire preuve de civisme ?
A ce jour, aucune société humaine n’a fait preuve de vertu dans la conduite de ses affaires sans que des lois strictes– la séparation des pouvoirs– ne soient établies dans ce sens. Fonder un ordre politique sur la religion, c’est s’exposer au dogmatisme, à exclure les dissidents, à une formulation restrictive des libertés individuelles et publiques.               
 


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