Le gouvernement Benkirane II et la violation de l’esprit de la nouvelle Constitution

La lutte contre la rente a été mise au placard


Par Hicham El Moussaoui
Mardi 15 Octobre 2013

Le gouvernement Benkirane II et la violation de l’esprit de la nouvelle Constitution
Après trois mois de tractations et de suspense, le gouvernement Benkirane II vient a vu enfin le jour jeudi dernier. Après un tel accouchement douloureux, les Marocains pourraient pousser un ouf de soulagement. Ils devraient surtout tirer les leçons de ce nouveau montage du gouvernement. Car l’un des principaux enseignements qui se dégagent à l’observation du processus de formation et de la structure de ce gouvernement est la violation de l’esprit de la nouvelle Constitution. En effet, après avoir gagné les élections en faisant croire aux Marocains que le PJD n’est pas un parti comme les autres et qu’il est là pour moraliser la vie politique et la gestion publique, Benkirane n’a pas rechigné à s’allier au RNI qu’il considérait, il n’y a pas si longtemps, et son secrétaire général en tête (Mezouar), comme le symbole de la corruption et de la rente. En s’alliant à son pire ennemi, Benkirane vient de faire perdre au PJD son principal avantage comparatif, à savoir l’intégrité. Avec cette volte-face, les présidents du PJD et du RNI ont fait preuve d’un opportunisme politique qui a déconcerté les Marocains.
Concernant les nominations des nouveaux membres, il est aussi déconcertant de constater la persistance d’un ministre d’Etat sans portefeuille (A. Baha) et la prolifération des ministres délégués. Ceci est une violation flagrante de l’article 87 de la nouvelle Constitution stipulant que la structure du gouvernement doit se composer uniquement du chef de gouvernement, de ministres et de secrétaires d’État.
Toujours dans le lot des violations, la lutte contre la rente consacrée par la nouvelle Constitution a été mise au placard par la nouvelle mouture.
La prépondérance de la rente au Maroc est le résultat de l’absence de séparation institutionnelle étanche entre le politique et l’économique. Malheureusement, la nomination de Hafid el Alami, patron du groupe Saham et le maintien de Akhenouch patron d’Akwa amplifie le risque de conflits d’intérêts. Dans une démocratie fonctionnant normalement, les deux concernés auraient dû choisir entre leur business et leurs mandats politiques. Dès lors, la lutte contre la rente devient un vœu pieux avec la consolidation de la connivence du politique et de l’économique. Un autre principe constitutionnel qui a été bafoué par le montage du nouveau gouvernement est la reddition des comptes. Car aucun des ministres sortants, ou plutôt changeant de département, n’a présenté de bilan de son action. Cela ne participe pas à la volonté affichée par la nouvelle Constitution de lier le pouvoir à la responsabilité. L’impression donnée est que chaque ministre peut exercer son pouvoir comme bon lui semble sans jamais être inquiété. Et quand on voit la valse des ministres entre les différents départements, il est difficile de s’y retrouver. Quoique si on revient aux derniers discours royaux et on se place dans le contexte régional, il est possible d’y voir un peu plus clair.
Effectivement, et après les discours de juillet et d’août derniers, S.M le Roi a « joué » à l’opposition en critiquant ouvertement la prestation du gouvernement, notamment sur les dossiers de l’économie et l’éducation.
Dans cette configuration, le retour des technocrates et des ministères de souveraineté devient compréhensible. Ainsi, Mezouar sera chargé d’activer la diplomatie économique, jugée inerte par le Souverain. El Ouafa, expulsé de son parti et nommé à la place d’un Pjdiste aux affaires générales et à la gouvernance, se chargera de mener la réforme de la Caisse de compensation sous l’égide du FMI. Anis Birou du RNI mettra en place la nouvelle politique migratoire désirée par le Roi. De même, on note le retour de technocrates. Ainsi, Rachid Belmokhtar est nommé pour  réformer l’éducation, un secteur à l’agonie.  De même, on a assisté au retour de deux technocrates, Mohamed Hassad et Cherki Draiss, au ministère de l’Intérieur pour reprendre la vieille approche sécuritaire, déjà relancée ces derniers temps par les incarcérations et les harcèlements subis par les défenseurs des libertés et des droits (incarcération du journaliste Ali Anouzla pour « incitation au terrorisme » par exemple). Cela inspire deux idées. La première, le souffle de liberté porté par le « Printemps arabe » est retombé. Après l’échec des transitions en Tunisie, en Egypte et en Lybie, l’on constate le retour aux vieilles pratiques. La seconde, on a l’impression d’avoir deux gouvernements parallèles : le premier des politiques et le second des technocrates. Benkirane, dont les limites de leadearship sont désormais avérées, sera-t-il capable de mobiliser, motiver et conduire un tel groupe hétéroclite ?
Suite au Printemps arabe, on a eu une nouvelle Constitution et un gouvernement à dominante islamiste pour laisser passer en douce l’orage des révoltes. Aujourd’hui on assiste à une mise en placard, également en douce, du PJD qui a servi pendant ces deux ans de paratonnerre. Car, même si ce nouveau gouvernement réussira à redresser la barre, ce n’est pas Benkirane et son parti qui en tireront les bénéfices électoraux. Car la plupart des postes clé du gouvernement sont tenus par les technocrates. Par ailleurs, sachant que les enjeux principaux de ce remaniement sont avant tout économiques et que les principales réformes structurelles seront menées par des ministres non Pjdistes, Benkirane et ses acolytes seront éclipsés. Bref, l’affaiblissement du PJD, le retour des technocrates, le non respect de la Constitution, l’opportunisme politique, ne sont que les symptômes d’un champ politique balkanisé et du déficit d’une élite à la hauteur des défis.  Dans ces conditions, n’est-il pas vain d’espérer l’émergence d’une véritable démocratie et d’une économie productive qui apportera la paix et la prospérité aux Marocains ?

 * Analyste sur
www.libreafrique.org


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