Le général Scaparrotti, qui, après avoir servi en Afghanistan, dirigeait jusqu'ici les troupes américaines en Corée du Sud, devient le 18e commandant suprême des forces de l'Alliance atlantique, un poste stratégique inauguré en 1951 par le général américain Dwight Eisenhower.
"Ça sera tout sauf facile", prédit Daniel Fiott, chercheur à l'Institut d'études européennes (VUB), à propos des nombreux chantiers qui l'attendent alors que l'Otan a multiplié les fronts d'intervention, à l'Est comme au Sud.
"Nous sommes à un moment crucial" car le continent européen "affronte", a résumé le général Scaparrotti, 60 ans, lors de son audition par le Sénat américain en avril.
"Une Russie en plein regain veut plus de pouvoir et fait preuve d'un comportement de plus en plus agressif", "le terrorisme constitue une menace immédiate comme le monde a pu en être le témoin avec les récentes tragédies à Bruxelles, Paris et Ankara" et "l'afflux significatif de migrants et réfugiés a provoqué des crises économiques, démographiques et humanitaires qui mettent à l'épreuve le tissu social de l'Europe", expliquait-il.
Plus prosaïquement, souligne Jan Techau de l'institut Carnegie Europe, le général américain devra, dans la lignée de Philip Breedlove, dont il prend la succession mercredi, "dire et redire aux Européens qu'ils doivent faire plus" pour enrayer enfin la chute dans leurs dépenses de défense et se donner les moyens de leurs ambitions.
La crise ukrainienne au printemps 2014, qui perdure malgré un cessez-le-feu conclu entre les rebelles prorusses et Kiev, a sonné le glas d'une ère d'optimisme des Occidentaux sur la possibilité de coopérer avec la Russie, poussant l'Otan à se lancer dans une "dissuasion moderne" sans précédent depuis la fin de la Guerre froide fondée sur un renforcement militaire substantiel à l'Est.
Le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, a révélé cette semaine que ce renforcement pourrait se traduire par le déploiement sous forme de rotations de quatre bataillons (pouvant compter chacun plusieurs centaines d'hommes) et les équipements associés dans les pays baltes et en Pologne. A l'Est, de petites bases logistiques ont déjà été montées, sans oublier le renforcement des patrouilles aériennes et maritimes, la création d'une force très rapidement déployable et une multiplication des exercices.
Les Etats-Unis vont par ailleurs déployer, par rotations successives, une brigade blindée en Europe de l'Est (4.200 soldats) à partir de février 2017. Et ils prévoient de quadrupler l'an prochain, à 3,4 milliards de dollars, leurs dépenses destinées à muscler la présence militaire américaine en Europe.
Le prochain sommet de l'Otan, dans deux mois à Varsovie, sera l'occasion "de cimenter ces décisions", a assuré mardi le ministre estonien de la Défense, Hannes Hanso.
Mais si les pays de l'Est réclament encore davantage, les membres méridionaux de l'Otan ont eux les yeux rivés sur la Syrie en guerre et la Turquie, d'où sont partis plus de 850.000 migrants vers l'Europe l'an dernier, ou sur les côtes libyennes, étape sur la route migratoire subsahélienne.
En réponse à la grave crise des migrants en Europe, l'Alliance fait croiser depuis mars six navires de guerre en mer Egée pour surveiller et intercepter les réseaux de passeurs, une opération très novatrice pour l'organisation.
L'Otan envisage d'aller plus loin, en "transformant" Active Endeavour, une autre mission navale en Méditerranée centrée sur l'antiterrorisme, pour lui permettre de mieux coopérer avec la flotte de l'Union européenne croisant contre les passeurs au large des côtes libyennes.
Face à ces intérêts stratégiques divergents à l'Est et au Sud, "le principal défi de Scaparrotti sera de préserver l'unité de l'Alliance", souligne M. Fiott.
D'autant que le président russe Vladimir Poutine "cherche délibérément" à diviser l'Otan, comme l'a lui-même remarqué Curtis Scaparrotti, qui avait pour principale mission en Corée du Sud de tenir en respect l'imprévisible leader nord-coréen Kim Jong-Un.