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La pièce de théâtre écrite par Issam El Yousfi propose avec intelligence et lucidité une triple variation dramaturgique autour d’un personnage dont le statut social est difficilement définissable: le gardien. Gardien d’une école publique primaire à la veille de son départ à la retraite, gardien d’un parking confronté aux horodateurs automatiques qu’il ne cesse de maudire et enfin un gardien d’immeuble obligé de supporter l’avarice et l’hypocrisie d’un patron peu supportable, peu orthodoxe. Ce dernier rôle a été interprété avec mesure et justesse par Zouheir Ait Benjeddi. «Le gardien» conjugue à la fois les ressorts comiques du one man show et certains éléments scéniques du cirque dont le clown. La caractéristique commune de ces trois personnages de l’œuvre d’El Yousfi est justement cette capacité extraordinaire qu’ils ont de rire de tout y compris d’eux-mêmes. Et c’est exactement ce que fait le clown contrairement au bouffon qui se moque des autres: rire de soi, de ses contradictions, de ses frustrations, de ses désirs, de ses maladresses et ses torpeurs… Rire de toutes ses imperfections et ses fracas avec le public. Le clown est touchant parce qu’il refuse les masques. Il se met à nu devant nos yeux. Il s’expose dans sa nudité fragile à notre regard et à notre jugement. Tout clown semble nous dire : «Je suis un acteur qui refuse les faux-semblants». La mise en scène d’Abdelatti Lembarki est légère, aérienne, allègre et sans fioritures. C’est une mise en scène dynamique qui intègre les éléments du cirque afin de permettre au spectateur d’établir ses distances avec l’œuvre proposée. Les intermèdes qui sont offerts au spectateur pour qu’il puisse participer au jeu sont aussi une occasion de montrer à quel point il est difficile de se donner en spectacle. Car tout spectacle implique un risque : le risque d’être jugé, de tomber dans le ridicule. Mais les intermèdes ont aussi une autre fonction : permettre au spectateur de garder ses distances par rapport au spectacle afin qu’il puisse aussi avoir son propre jugement critique. Le gardien n’est ni un être antisocial et encore moins un marginal. Il n’est pas non plus un laissé-pour-compte. La figure du gardien représente un échantillon sociologique de grand intérêt : il est le témoin de l’évolution sociale du pays. Et le point de vue du gardien comme personnage de théâtre est à plus d’un titre intéressant. Ce personnage est le surveillant d’une école. Ce rôle est joué excellemment par Said Ait Bajja, un acteur qui est, à mes yeux, l’exemple de ce qu’on appelle un «clown poétique». Ce gardien d’école est le surveillant des traditions dont il est le premier à se moquer. Il est tantôt violent, tantôt tendre et humain. Il n’est jamais linéaire. Il est le centre et le reflet de nos propres contradictions. Il est ce creux chaleureux qui accueille nos maladresses émotionnelles, nos jugements précipités. Il a cette capacité de rire d’abord de lui-même avant de se moquer des autres. Une fois à la retraite, il est comme perdu, déboussolé, égaré. Que faire après tant d’années de service dans une école primaire qui est devenue comme son véritable chez soi?
Il a vu défiler des générations entières dont il garde un souvenir doux, tendre, sublime… Le gardien est dépositaire d’un secret, de tous les secrets, petits ou grands, compromettants ou futiles et sans aucune importance.
Rien n’échappe à un gardien d’une école, d’un parking ou d’un immeuble. Il sait tout ou presque. Il peut inventer et créer ce qu’il ignore.
Artiste fabulateur, le gardien vit dans et par les récits dont il est le créateur. Le gardien de parking est interprété par l’acteur Abdenbi Beneoui qui joue le rôle d’un autre clown sympathique, et profondément humain malgré ces apparences de garçon dur et violent. Ce gardien de parking s’engage dans une guerre inégale contre un horodateur muet, froid mais fortement présent. Situation scénique extravagante et fortement comique !
Cette situation nous a permis, nous spectateurs, de déguster de vrais moments
de théâtre où le rire et l’ironie ont été assurés. Dans ce spectacle, le rire accompagne la critique dans un élan de libération heureuse et intelligente. Rire de nos contradictions. Rire émancipateur de nous-mêmes. Rire qui permet à la réflexion de fleurir.