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Grosse comme une ficelle, l’explication de Sarim Fassi Fihri prête à sourire : il vient de faire d’une commission qui dicte aux Marocains ce qu’ils doivent voir ou pas un OVNI institutionnel, une structure folle qui échappe à tout le monde. Que dit au juste le successeur de Noureddine Saïl ? Le Centre cinématographique marocain ne délivre donc pas de visa d’exploitation de films aux salles. Il y a une commission souveraine pour cela. Peu importe qu’elle soit présidée par le CCM, peu importe aussi qu’on y retrouve parmi ses quatre membres un représentant du CCM et que la voix du DG du Centre cinématographique y soit prépondérante en cas de désaccord et peu importe enfin que le communiqué annonçant la décision d’interdire « Exodus » de Ridley Scott ait été signé par un « pour le directeur général du CCM ».
« Tout cela sent le courage. Sarim Fassi Fihri aurait été plus inspiré d’assumer une décision qu’il a cautionnée d’un bout à l’autre », soupire un distributeur de films.
La défense de l’ancien producteur devenu officiel sous la tutelle du ministère de la Communication ne résiste pas à l’examen du Dahir n° 1-01-36 du 21 kaada 1421 (15 février 2001) portant promulgation de la loi n° 20-99 relative à l’organisation de l’industrie cinématographique telle qu’elle a été modifiée par la loi n° 39-01.
"Toute exploitation commerciale d’un film cinématographique sur le territoire national ainsi que du matériel publicitaire y afférent est subordonnée à l’obtention d’un visa délivré par le directeur du Centre cinématographique Marocain sur décision d’une commission dite «commission de visionnage des films cinématographiques» qui siège audit centre», peut-on lire. La responsabilité du directeur du CCM ne souffre pas la moindre ambiguïté : il ne fait pas que prêter les murs du Centre cinématographique marocain aux membres de la commission de contrôle et de visionnage.
En déclarant à la presse que le CCM « n’a rien à voir avec cette décision » d’interdiction, Sarim Fassi Fihri a soit mal compris les nouvelles prérogatives qui sont les siennes, soit a choisi de plier l’échine devant sa tutelle.
Les justifications du nouveau directeur du CCM donnent sérieusement à réfléchir. Le 19 décembre courant, explique-t-il, les membres de la commission autorisent ce long métrage, pour les 16 ans et plus. Mais le représentant du ministère de la Communication émet des réserves. Ses réserves portent sur la première séquence où l’on voit un enfant qui dit “Je suis…“. Un nouveau visionnage est décidé. Le représentant du ministère de la Communication que dirige l’islamiste Mostafa El Khalfi déclare à ses pairs de la commission qu’il considérait cet enfant comme une représentation de Dieu et qu’il s’agissait d’une démarche blasphématoire. « Il a convaincu les autres membres qui ont tous retenu cet argument. Ils avaient le droit de prendre cette décision à condition de la motiver, et ils l’ont motivée de cette façon » a en substance affirmé Sarim Fassi Fihi.
Quand un fonctionnaire anonyme décide de ce qu’on doit voir au cinéma
« Ce que dit le directeur du CCM est très inquiétant. Il est en train de nous expliquer que c’est un fonctionnaire anonyme du ministère de la Communication qui interprète à sa guise un film même s’il ne détient pas tous les outils requis. Et c’est ce même fonctionnaire qui peut au final décider d’interdire un film parce qu’il ne correspond pas à ses convictions religieuses ou morales ! », s’exclame cette cinéaste de la place.
Et ce n’est pas fini. Car quand l’ignorance se conjugue à l’arbitraire, les dégâts sont foison…
«Il faut inviter le nouveau directeur du CCM à lire plus attentivement les textes qui régissent l’entité aux destinées de laquelle il préside. La loi portant sur l’organisation cinématographique au Maroc évoque clairement les attributions de la commission de visionnage et dans quelles circonstances un film peut ne pas être autorisé. L’argument religieux n’y figure en aucune manière. Ce n’est pas à une commission du CCM de faire une lecture religieuse d’une œuvre cinématographique», fait valoir cet exploitant de salle tout en brandissant le texte en question où il est clairement stipulé que « la commission de visionnage des films cinématographiques veille au refus de visa ou à la coupure dans le contenu des films cinématographiques qui présentent des scènes contraires aux bonnes moeurs ou préjudiciables aux jeunes, ou à l’interdiction aux mineurs de moins de seize ans d’assister à la projection de certains films (... ) »
« Je suis contre la censure et ce n’est pas de la censure », affirme haut et fort M. Fassi Fihri. Comment alors qualifier l’interdiction d’un film qui a d’abord été autorisé une première fois ? « Si ce n’est pas de la censure, cela y ressemble beaucoup et ça en a le goût amer », commente ce jeune réalisateur d’ici. Mais attention tout n’est pas complètement perdu. Le directeur du CCM se dit prêt à rencontrer, « s’il y a lieu » Ridely Scott qui a dû, comme tout le monde s’en doute perdre le sommeil depuis que le CCM l’a interdit au Maroc et qui doit être tout excité à l’idée de rencontrer notre Sarim Fassi Fihri. Le nouveau directeur du Centre cinématographique ne se démonte pas. Il a ouvert, déclare-t-il, des canaux de communication avec la Fox. « Je suis prêt à tout négocier, sauf la sensibilité religieuse des Marocains », soutient le patron du CCM. Sarim Fassi Fihri, l’homme qui veut murmurer à l’oreille de Ridley Scott, le courageux producteur qui hait la censure, s’est désormais auto-investi d’une nouvelle mission : protéger la foi des Marocains et se faire porte-parole mondial de notre « sensibilité religieuse ».
Quant à l’article 25 de la Constitution marocaine selon lequel « sont garanties les libertés de pensée, d’opinion et d’expression sous toutes ses formes. Sont garanties les libertés de création, de publication et d’exposition en matière littéraire et artistique et de recherche scientifique et technique », il n’est encore qu’une vague promesse. Et les promesses n’engagement que ceux qui y croient.