Le Maroc a toujours la cote auprès des Français

N’en déplaise à ces chaînes avides de reportages au parfum exagérément exotique

Tony Jazz : L’image paradisiaque du Maroc engendre moins de «buzz» que des sujets plus enclins au scandale

Khalid Bouskib : Ce ne sont pas les reportages chocs et inutiles qui me choquent, mais plutôt l’absence de communication autour du rôle incontournable du Maroc dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme religieux

Mérième Alaoui : En France, on raffole des personnages de femmes qui se présentent comme victimes d’un patriarcat et d’un pays dit rétrograde, tout en accusant la culture et la religion de tous les maux…


Hassan Bentaleb
Mercredi 27 Juillet 2016

Ainsi donc, le Maroc ne serait plus le pays du soleil, de la bonne bouffe et de l’hospitalité, mais plutôt celui de la prostitution, de la drogue et d’un certain autoritarisme. En effet, depuis la sortie controversée du film «Much Loved» de Nabil Ayouch l'année dernière, des reportages se voulant de terrain ont germé un peu partout en France. Tel a été le cas des reportages sur la prostitution diffusés par TF1, France24, M6 et TF6, de l’enquête sur le trafic de drogue diffusée par  Canal+ ou du reportage de France 3 sur S.M Mohammed VI sans oublier le  passage de Loubna Abidar sur France 2 et de l’article sur les prostituées de Marrakech publié en mai dernier sur les colonnes du Monde.  
Comment peut-on interpréter le fait que toutes ces émissions et reportages aient pu être diffusés à quelques mois voire à quelques semaines d’écart entre les uns et les autres? S’agit-il d’un hasard de calendrier ou d’un parti pris des médias français contre le Maroc? Ces émissions ne traduisent-elles pas un changement de vision des médias français à l’endroit de l’Empire du Couchant ? Pour répondre à ces questions, Libé a contacté trois experts en communication et en relations publiques.   A savoir Tony Jazz qui est un conférencier en innovation et créativité dans le marketing et  invité régulier des TEDx. Auteur de l’ouvrage de référence  «On Air Marketing : du son au marketing», il est également conseiller spécial auprès des grands groupes et institutions publics en innovation et marketing.  Nommé en 2014 président du Forum des innovations par Alain Juppé, il s’est vu attribuer la mission de connecter les porteurs de projets innovants et de les fédérer. 
Pour sa part, Khalid Bouskib, est franco-marocain. Il est   consultant auprès d’un cabinet spécialisé dans l’installation d’entreprises étrangères au Maroc, intervenant et conférencier dans différentes écoles nationales et françaises. Il forme chaque année quelques jeunes leaders à travers différents séminaires.
Quant à Mérième Alaoui, elle est journaliste franco-marocaine indépendante, spécialisée dans les questions de l'immigration, de l'islam et de l'Afrique

Hasard de calendrier ou parti pris ?


A la question de savoir s’il s’agit d’un hasard de calendrier ou d’un parti pris des médias français contre le Maroc, Tony jazz nous a certifié qu’il ne s’agit pas d’un hasard de calendrier à proprement parler. «La plupart des médias généralistes tendent à aller vers le sensationnel pour générer de l’audience. C’est la course à l’audimat. Si l’on voit qu’une chaîne concurrente a remporté une grosse part de marché, on épuise le sujet en espérant rencontrer le même «succès». L’image paradisiaque du Maroc engendre moins de «buzz» que des sujets plus enclins au scandale », a-t-il observé. 
Un point de vue que partage Khalid Bouksib qui pense que ces diffusions ne sont que le fruit du hasard. Selon lui, les critiques des médias français s’amplifient au fur et à mesure que le Maroc devient un leader et un exemple pour ses voisins africains. « Les positions de Sa Majesté sur le développement africain, le discours de Riyad, la brouille diplomatique de 2014, tous ces événements semblent montrer que le hasard du calendrier n’en est peut-être pas un, et peut être que l’ancien colon se voyait encore comme tuteur du Maroc», nous a-t-il précisé. Et d’ajouter : «Ce ne sont pas les reportages chocs et inutiles qui me choquent, mais plutôt l’absence de communication autour du rôle incontournable du Maroc dans la lutte contre le terrorisme, dans la sécurité du bassin euro-méditerranéen, dans la promotion de la tolérance, de l’équilibre religieux, dans son implication dans l’environnement. Je trouve curieux que la COP22 qui se déroulera au Maroc ne soit pas  mise en avant. Mais je pense aussi, que les lobbyistes marocains ne sont pas très dynamiques, et qu’il serait peut-être temps de s’appuyer sur la diaspora marocaine qui se distingue par sa réussite pour influencer les médias et jouer de son réseau».
Pour sa part, Mérième Alaoui ne croit pas à un parti pris contre le Maroc. D’après elle, le Royaume est assez «épargné» en France si on le compare à ses voisins maghrébins et à d’autres pays arabes. « Il est vrai qu’il y a eu des reportages ou autres assez «critiques » récemment en France, mais si on comptabilise tous les reportages positifs sur la gastronomie, la culture, le business, le glamour de la Famille Royale, etc., on peut dire que oui, en France, on préserve l’image du Maroc. On ne compte plus les hommes politiques de premier plan qui ont une résidence dans le Royaume et qui s’en vantent, ni les partenariats très variés et nombreux mis en place… Je pense qu‘il s’agit simplement de calendrier médiatique. Ce genre de sujets marche très bien pour l’audimat, et les chaînes savent bien surfer sur ce qui intéresse ou interpelle les gens. En France, on raffole des personnages de femmes qui se présentent comme victimes d’un patriarcat et d’un pays dit rétrograde, tout en accusant la culture et la religion de tous ses maux… La posture de Loubna Abidar peut être payante. Même si j’ai l’impression que ses propos sont tout de même jugés excessifs», nous a-t-elle expliqué. Et de préciser : «Pour en revenir au calendrier médiatique, il n’est pas impossible que certains reportages déjà commandés passent avant la date prévue pour répondre à des questions de concurrence, ou à un sujet qui fait le «buzz» ». Pourtant, elle estime que ce genre de sujets est aussi une bonne nouvelle. «On ne peut pas dire que la prostitution est inexistante et que le Royaume n’a pas un fonctionnement parfois opaque. Alors oui, peut-être que certains sujets sont traités de façon déséquilibrée voire caricaturale, mais pour moi, on doit pouvoir traiter de tous les sujets concernant le Maroc. En tant que journaliste, je trouve cela sain. Il suffit simplement de contrecarrer les arguments ou de prouver que ces émissions disent faux, si c’est vraiment le cas», a-t-elle souligné. 

​Le Maroc aux yeux des experts

Mais quelle image ou plutôt quelle perception ces experts ont-ils en tant que citoyens français du Maroc ? «Personnellement, je suis autant marocaine que française et je pense que le Maroc a un potentiel très fort de par sa situation géographique, sa stabilité politique et ses atouts économiques. La presse est plutôt libre et variée, ce qui démontre une bonne santé démocratique. Par contre, le pays devrait mieux réagir face aux critiques extérieures. Des reportages critiques sur tel ou tel sujet sont peut-être légitimes ou intéressants pour nourrir un débat sans que cela ne soit perçu comme une attaque politique qui vise à déstabiliser le pays… Comme beaucoup de pays arabo-musulmans, il devrait s’interroger sur sa capacité à débattre sereinement. Par exemple, la question de la corruption à tous les étages qui gangrène tout le pays ou encore le manque cruel de confiance des Marocains en leurs institutions, pose de gros problèmes», a indiqué Mérième Alaoui. Et de poursuivre : «Je me rends souvent au Maroc pour des raisons professionnelles ou personnelles/familiales. J’observe simplement le pays et surtout l’évolution des mentalités des Marocains qui réagissent encore souvent en se plaçant sur la défensive quand on émet des critiques. Toute critique n’est pas forcément une insulte mais plutôt la base de tout changement éventuel ». 
« Je suis venu pour la première fois au Maroc il y a presque un an jour pour jour, et depuis j’y suis au moins une fois par mois pour rendre visite à mes clients et rencontrer de nouveaux prospects. J’avais une vision du Maroc qui est certainement celle du Français lambda, forgée au gré de reportages à la télévision ou des séries de photos publiées dans des magazines : les campagnes avec les bergers, les montagnes, Marrakech, et bien sûr les amis qui ont pu visiter le Maroc via les clubs de vacances. Pourtant, aujourd’hui, il m’arrive de comparer Casa à Dubaï, car sur beaucoup d’aspects, les deux villes se ressemblent. En tant qu’entrepreneur, j’aimerais que certaines villes françaises puissent s’en inspirer », nous a précisé Tony Jazz. 
Pour Khalid Bouskib, le Maroc est une fierté, un exemple à suivre pour tous les pays arabes, maghrébins et africains. « Mais malheureusement, il y a des opportunistes qui freinent l’élan du Maroc et nuisent à notre image. J’ai parfois l’impression que certains dirigeants d’entreprises, hauts fonctionnaires ou hommes politiques, préfèrent mettre un fidèle et servile incompétent à leurs côtés, plutôt que d’encourager des gens compétents dans l’intérêt du pays. C’est extrêmement frustrant quand vous n’êtes pas issu d’une grande famille fassie ou rbatie ou si vous n’êtes pas  fils de riches Casablancais. On retrouve toujours les mêmes aux mêmes postes, ainsi que leurs enfants, cousins, etc.  Ce sont des gens qui ont été dans les meilleures écoles au Maroc et à l’étranger, mais qui, une fois placés dans les meilleurs postes, reprennent les mêmes pratiques clientélistes».

Marketing et stratégie



Et que fait le Maroc pour améliorer son image  en France ou ailleurs ? A-t-il une stratégie visant à préserver et valoriser son image? « Oui », affirment nos sources, mais elles sont unanimes à dire que ce travail se fait par la diaspora marocaine. « Lors de mes différents déplacements à l’étranger, surtout aux Etats-Unis et en France, notre réseau œuvre à l’amélioration de l’image du Maroc, au marketing du pays, au lobbying pour le Sahara, mais de pareils contacts se trouvent découragés du fait que les mêmes profils inactifs occupent les mêmes postes, et se contentent d’encaisser leurs rentes, de placer leurs enfants, et de repeindre les trottoirs la veille de chaque visite officielle. Tout le monde est conscient du potentiel incroyable du Maroc, de sa stabilité et de la chance qu’il a d’avoir un Roi visionnaire, exemplaire et qui est aimé de son peuple et de ses voisins. Les MRE représentent une puissance illimitée mais inexploitée et c’est sûrement pour cela que toutes les tentatives visant à leur faire prendre part aux élections se sont transformées en échec. Mais je ne perds pas espoir, je suis optimiste, je sens un changement venir, les prochaines années vont être déterminantes et je suis certain que nous serons reconnus et mis au service de notre cause nationale et du rayonnement de notre pays », nous a expliqué Khalid Bouskib. 
De son côté, Tony Jazz estime qu’un gros travail est porté par la diaspora qui fait tout pour valoriser le pays et attirer les touristes. « A titre personnel, c’est un ami marocain qui m’a convaincu de venir en me disant « si tu ne tombes pas amoureux du Maroc, je te rembourse le billet ! » et il n’a pas eu à le rembourser ! De plus, certains hommes politiques très influents participent aussi à la valorisation du Maroc. J’en veux pour preuve le choix qui a été fait par la famille Obama de venir passer ses vacances au Maroc au cours de cet été : cela envoie un message très clair à l’ensemble du monde sur le Maroc et notamment sur l’aspect sécuritaire », a-t-il indiqué.
Que devrait faire donc le Maroc pour avoir une réputation forte et positive ? « Les solutions sont multiples, c’est l’orchestration de l’ensemble qui pourra donner une cohérence dans le discours aux personnes qui ne le connaissent pas. A présent, il faut multiplier les partenariats internationaux avec des actions concrètes en face, se servir de cette diaspora en la mettant en valeur. Et plus que tout, il faut ouvrir encore plus de lignes aériennes à destination du Maroc », propose Tony Jazz. 
A l’inverse, Khalid Bouskib estime que l’amélioration de la  réputation du Maroc passe par une bonne circulation des élites et l’investissement dans le capital humain. A ce propos, il a appelé à rompre avec les mauvaises habitudes qui consistent à nommer ou à s’appuyer toujours sur les mêmes noms et les mêmes familles, à encourager la collaboration avec les MRE,  à investir dans la jeunesse, l’éducation, la formation et l’insertion. « Il ne faut plus  donner les prestations payées par le gouvernement aux mêmes entreprises! Tout le mode doit pouvoir montrer son savoir-faire et s’enrichir. La frustration est dangereuse et démobilisatrice. Et lorsque le désespoir s’en mêle, ça peut déstabiliser un pays. Il est temps de briser quelques monopoles. Le plus triste, c’est que les gens qui protègent ces monopoles ne se rendent pas compte qu’ils gagneraient à  accélérer certains projets et à encourager la concurrence ». 
Mérième Alaoui pense, quant à elle, que le Maroc sait très bien vendre son image et ses atouts via une politique forte. « Il faudrait maintenant passer à de réelles actions et donner des exemples significatifs pour prouver que notre pays sait débattre, qu’il a une réelle ouverture vers l’extérieur, que le peuple est formé de personnes très différentes qui font tous bloc quand il le faut et forment un peuple uni », a-t-elle conclu.
 


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