Le Mali entre ceux qui prônent la démocratie et ceux qui sèment la terreur


Par Abdelkarim Nougaoui *
Mardi 24 Septembre 2013

Le Mali entre ceux qui prônent la démocratie et ceux qui sèment la terreur
Le Maroc a été à l’honneur des festivités de l’investiture du nouveau président malien élu Ibrahim Boubakar Keïta (IBK), après un long processus militaire et politique déclenché il y a moins d’une année. Le 19 septembre restera une date mémorable de cette investiture où S.M Mohammed VI a été l’invité d’honneur et derrière lui tout le Maroc, comme pays maître d’œuvre en matière de démocratie, de  liberté d’expression, de pluralité politique et de diversité culturelle. C’est un geste de reconnaissance envers notre pays pour tout ce qu’il a fait en faveur du peuple malien pour le faire sortir du marasme vécu, et un témoignage éloquent pour sa position franche contre le terrorisme qui a secoué ce pays et a mis en danger tout son tissu territorial, économique et social.
Pour nous, le Mali doit représenter aussi quelque chose pour notre mémoire collective nationale dont les faits remontent à l’année 1963. C’était tout simplement une année de guerre, appelée guerre des sables, qui opposait notre pays à notre voisin algérien qui venait juste d’acquérir son indépendance. A un moment donné, on a révélé que la guerre des sables entre deux pays frères allait prendre fin, et qu’une médiation allait prendre son cours. Le lieu de rencontre entre Feu Hassan II et le président algérien de l’époque, Ahmed Ben Bella, comme premier président de l’après indépendance, était Bamako, capitale du Mali, et le responsable chargé de cette médiation n’était autre que le président Modibo Keita de l’après l’indépendance.
Le Mali est un pays de crises politiques successives et aiguës, qu’on peut vite comprendre à travers son histoire contemporaine, sa composition ethnique, sa géographie et son économie. De là, nous pouvons facilement  souligner pourquoi un tel pays est en proie à une  succession  d’instabilités depuis son indépendance, avec des conflits qui l’ont continuellement  déchiré.
Le conflit avec le Mouvement des Touaregs est entré dans sa phase décisive en 2007, qui a été marquée par l’enlèvement de quinze soldats dans le nord-est du pays, près de la frontière algérienne. En 2008, c’est le nom du chef militaire Ibrahim Ag Bahanga (IAB) qui a fait tête d’affiche, comme commandant du Mouvement touareg du Nord-Mali (MTNM), rendu responsable de l’enlèvement de 33 militaires maliens dans le nord du pays. Mais cette tension va vite se calmer par la signature à Tripoli d’un protocole d’entente qui met fin aux hostilités entre le gouvernement et les rebelles sous commandement d’IAB avec  le démantèlement de leurs bases. La mort accidentelle d’IAB en 2011 a eu comme effet pervers la création du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), qui revendique l’autodétermination de la région de l’Azawad, au nord du pays.
L’année 2012 a commencé par une montée en puissance de la lutte armée entre le MNLA et le gouvernement malien, par la prise d’Aguelhok dans le nord du pays.
La suite de l’histoire est bien connue, un petit mariage surréaliste et de courte durée entre le MNLA et Ansar Eddine au sein d’un conseil transitoire de l’Etat islamique de l’Azawad, au terme duquel les deux alliés signent un protocole instaurant ledit Etat « qui doit appliquer la Charia dans tous les domaines de la vie, basée sur le Coran et la Sounna ». C’est tout à fait naturel qu’un tel projet de fusion soit rejeté par le MNLA, connu par ses aspirations nationales et ses revendications plus identitaires et territoriales que d’autres. L’apparition d’un nouveau venu dans le conflit, le MUJAO, qui a chassé le MNLA de Gao. Tous les mausolées soufis de Tombouctou sont détruits par le groupe d’Ansar Eddine, en réponse à son inscription sur la liste du patrimoine mondial en péril. Les deux groupes salafistes ne donnent aucune chance au MNLA d’exister, et le chassent définitivement de son dernier bastion d’ANSOGO. Les grandes quantités d’armes récupérées de Libye ont permis à ces deux groupes d’être les maîtres du jeu dans toute la zone sahélo-saharienne. La folie de devenir les chefs de guerre du désert, contrôlant toute sorte de trafics, drogue, immigration clandestine dont souffre notre pays, vente d’armes et prises d’otages, leur a donné de l’appétit pour plus d’expansion vers le sud mettant par là en danger le gouvernement de Bamako.
L’année 2013 est l’année du jeu à la roulette russe, et les événements qui se sont succédé, sont bien connus de tous, un champ de bataille où l’aviation française a fait le bon ménage en chassant  les rebelles des grandes villes vers les reliefs à proximité de la frontière algérienne.
Le Maroc, de son côté, n’a jamais été loin du conflit malien en ouvrant son espace aérien à l’intervention française, qui a dispersé et chassé les groupes armés rebelles de toutes les grandes villes du nord malien, qui étaient des villes martyrisées et transformées en cartel de rassemblement de butins et de rentes de toute espèce : trafics d’armes et de drogues, de l’immigration clandestine et surtout des aides fournies par les organisations humanitaires aux populations de la région. Certes, le Maroc a joué le plus important des rôles auprès de l’ONU pour qu’une intervention militaire soit adoptée comme résolution, privilégiant ainsi l’unité territoriale de ce pays, comme pour tant d’autres. Le Maroc a aussi été très actif auprès des pays occidentaux, demandant leur soutien sur le terrain une fois la bataille commencée contre ces groupes armés, en vue de la gagner sans bavures. En agissant de la sorte, le Maroc veut prendre sa place politique sur la scène africaine, et donc souhaiter voir se dessiner une nouvelle carte géopolitique avec moins d’influence des services de renseignements et sécuritaires algériens qui ont tout fait pour isoler notre pays. Ces services ont toujours eu la mainmise sur le problème des Touaregs, qui leur permet de contrôler le fin fond de ses voisins, et faire pression sur les pouvoirs en place pour pérenniser leur reconnaissance du front de la honte, le Polisario. Les groupes rebelles ont anticipé cette confrontation, pour gagner du temps et mettre la communauté internationale devant le fait accompli, sachant que les forces africaines allaient prendre plus de temps à se mettre en place.
 Cette intervention a eu lieu et depuis, la vigilance est de mise au Maroc que tous les services sécuritaires appliquent avec une attention extrême, afin d’éviter de faire les frais de cette intervention. L’Algérie a joué un rôle de premier plan dans la création du CEMOC (Comité des états-majors opérationnels conjoints) comme mécanisme conçu pour faire face au péril de l’AQMI, et qui regroupe plusieurs pays sahélo-sahariens sans oublier que l’Algérie a utilisé tous les moyens  de garder le Maroc hors de ce comité. Tous les observateurs se sont posé cette question : pourquoi ce Comité inter-Etats était-il étrangement paralysé, comme en état d’hibernation, depuis la crise malienne ? C’est une attitude qui a suscité l’incompréhension de tous ses partenaires tant africains que d’autres. Alors que le Maroc a su renforcer (et doit continuer à le faire) efficacement ses mesures de sécurité.
  Sur le plan diplomatique, c’est encore l’Algérie qui a parrainé les discussions entre le MNLA (Mouvement de libération de l’Azawad) et le groupe jihadiste Ansar Eddine, et qui ont touché à leur fin en décembre 2012 sans aboutir à aucun résultat tangible. A ce sujet précis, la France a usé de son influence auprès de ses partenaires africains (Burkina Faso, Mauritanie), pour prêter main forte à ces discussions et œuvrer à leur réussite. La France aurait même pesé sur la désignation de Romano Prodi comme émissaire de l’ONU pour le Sahel qui, malheureusement, ne s’est jamais rendu sur les lieux, mais il a évoqué la possibilité d’une intervention militaire de la FISMA vers le mois de septembre 2013. Les événements vécus ont montré qu’un tel agenda a été tout simplement raté.
Maintenant qu’une nouvelle réalité s’installe avec l’investiture du nouveau président IBK,  selon un processus électoral au sujet duquel les observateurs se déclarent satisfaits, car c’était un scrutin homogène malgré quelques imperfections, qui n’ont cependant pas entaché sa bonne tenue. Des résultats officiels du second tour proclamés le 15 août 2013, IBK sort vainqueur avec un score historique de 77,60%. Quant à l’avenir de ce pays, S.M. le Roi a prononcé un discours dans lequel  il a réitéré la position ferme du Maroc contre l’obscurantisme et l’extrémisme qui ont ravagé ce pays, en soulignant entre autres l’apport du Maroc pour sa reconstruction et sa réconciliation nationale. La France s’est aussi montrée prête à contribuer à cette reconstruction selon les moyens dont elle dispose, aussi bien de la part des pouvoirs publics, que des collectivités territoriales et des ONG.
Les événements politiques et la guerre qu’a vécus le Mali ont montré à l’évidence le rôle majeur et pertinent des renseignements algériens dans la crise malienne, qui veulent pérenniser leur  maîtrise de toutes les ficelles du jeu politique de l’Afrique subsaharienne. Or, ce qui vient de se passer est, selon certains observateurs s’intéressant aux affaires du Maghreb, un échec cuisant de ce rôle, car nous allons assister à la naissance d’une nouvelle carte géopolitique de la région. Dans cette carte, il va certainement y avoir une place pour le Maroc, car plus de dix pays africains ont constitué la MISMA (Mission internationale de soutien au Mali), qui est une force créée à la demande et sous influence du Maroc à l’ONU. Ces forces ont beaucoup œuvré aux côtés des troupes françaises et maliennes pour que le processus électoral soit déclenché, et qu’un pouvoir démocratiquement élu, soit mis en place. Selon ces mêmes observateurs, les luttes dans les territoires sahélo-sahariens revêtent une forme de guerre froide entre le Maroc et l’Algérie. La présence de SM le Roi au Mali en tant qu’invité d’honneur aux cérémonies d’investiture,  a un seul message à dresser aux opinions publiques africaines : le Maroc est un pays qui œuvre pour la démocratie et la stabilité. De cette position, le geste du Maroc aura pour effet à long terme de couper l’herbe sous les pieds de tous les projets du régime algérien tendant à isoler le Maroc sur la scène africaine. Si notre pays  réussit à imposer ses règles du jeu, il pourra alors consolider davantage sa percée dans la région sur plus d’un plan. Ce sera un début de bouleversement des options politiques en place, et leur remplacement par des politiques plus lucides rejetant toute reconnaissance du front de la honte, le Polisario. C’est un chemin qui va reconduire notre pays à récupérer sa place  au sein de l’OUA, dont il a été parmi les fondateurs.
D’ici peu de temps, le monde va découvrir les liens complices entre ces groupes jihadistes et le Polisario, ce qui entraînera un changement d’attitude à l’égard du Sahara marocain. Maintenant, le voile est levé sur les relations organiquement profondes, entre le Polisario et les groupes terroristes sillonnant le Sahara et qui se mettent à la disposition pour toute exécution de projets d’Al-Qaïda dans la région. La révélation faite par l’Institut des études stratégiques de Washington la fin du mois de janvier passé, a été  on ne peut plus claire : elle  indique que ces groupes ont intensifié leur coopération avec le Polisario qui est leur principal pourvoyeur en hommes, issus surtout des camps de Tindouf. C’est une coopération qui porte sur l’aide logistique, pour se doter d’armes fournies ou vendues par des mafias locales, spécialisées en vente d’armes récupérées pendant la révolution libyenne.
La France est un pays qui connaît une crise grave, qui ne lui permet pas de reconstruire le Mali, mais qui a réussi à faire face à son ennemi invisible en le combattant au point de l’éradiquer.  Au début, c’était une série de questions qui furent posées sur les capacités de la France à faire face aux groupes armés rebelles. Heureusement que cette France est déjà perçue par les Africains comme une puissance moyenne et régionale, n’ayant pas les moyens de sa politique. A ce sujet, les observateurs n’ont pas cessé de se poser les questions du genre : la France a-t-elle les capacités de garantir la paix au Mali ? Peut-elle contenir les extrémistes et  éradiquer le terrorisme ?Parvient-elle à subvenir aux besoins des réfugiés et effacer la dette malienne ? Peut-elle  rassurer les Français du Mali et  poursuivre les auteurs d’exactions au sein des militaires ? Le Pari français semble sur la voie  de la réussite.
En relation avec le sujet malien, le sommet de l’OCI (Organisation de la conférence islamique) a eu lieu au Caire les 6 et 7 février 2013, après quelques semaines de l’intervention française. A  ce sujet, la conférence de presse finale du président sortant M. Oglo, a fait état de positions franches à l’égard des groupes terroristes se proclamant de l’islam, et il a demandé qu’ils soient combattus par tous les moyens,  précisant que ces groupes ne représentent en rien cette religion si tolérante et reconnaissante de l’autre. Comme il a ajouté qu’il est du devoir de tout musulman de les dénoncer, de les chasser car le danger qu’ils représentent  pour  l’Islam est plus grave que celui de ses adversaires. On peut vite constater le  grand décalage entre ces déclarations et celles faites sur quelques chaînes de télévision du Moyen-Orient, y compris Al Jazeera qui ont nagé à contre-courant, au point de traiter l’intervention française comme une attaque contre l’islam ou encore une guerre des croisés. Entraînés par l’euphorie de tels discours, « ces présumés prédicateurs » n’ont pas eu de temps à accorder à l’imam de la Grande Mosquée de Bamako, (car il ne fait pas partie de l’Organisation internationale des Frères musulmans), qui, dans la prière du vendredi d’après l’intervention française, il a remercié Allah d’avoir envoyé un ami du Mali qui l’a protégé de ces criminels semant la terreur dans les villes occupées. Une autre intervention qui ne semble pas avoir eu d’écho non plus chez ces prédicateurs, c’est la déclaration du président du Conseil islamique suprême du mali qui a remercié la France pour son intervention, en déclarant : « Nous avions frappé  à toutes les portes, celles des oulémas, des prédicateurs, des grands fquihs, les chefs d’Etat arabes et musulmans, leur demandant d’intervenir pour que cessent les exactions que commettent ces groupes terroristes à l’encontre des populations innocentes au nom de la charia : lapidation, amputations des membres, viols et exécutions. Mais, ces frères ont fait la sourde oreille comme si ces demandes étaient plus que rien ! Maintenant qu’un pays ami intervient à la demande des peuple et gouvernement maliens, ces gens vont se targuer de leurs interprétations archaïques habituelles des événements, qu’ils ont mises encore une fois et comme d’habitude, sur le compte du choc des civilisations et des croisades. Il se s’agit ni de l’un ni de l’autre, mais d’un peuple auquel on veut imposer un mode de vie, qui n’est pas le sien ». Cette déclaration a visé essentiellement le président égyptien déchu M. Morsi encore en exercice, qui a critiqué l’intervention française au Mali, ainsi que son maître à penser, le chef de l’Organisation  internationale des Frères musulmans, Al Qaradhaoui. Le premier est déchu par le mouvement populaire du 30 juin, sans précédent  dans l’histoire avec plus de 35 millions de manifestants dans les rues. Pour le second, on continue à se poser des questions : a-t-il reçu un message de la démocratie en place ? Mesure-t-il le décalage entre sa première déclaration et la réalité actuelle ? Il nous semble que non, car quand on est issu d’une formation politique où les idées sont à sens unique, il est donc impossible de percevoir d’autres  idées.                                                                          

* Professeur de physique
 à l’Université Mohammed 1er Oujda


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