-
Les oubliés de l'école marocaine
-
Driss Lachguar reçoit les dirigeants des partis de Palestine, du Koweït et de Libye
-
La portée stratégique de la régionalisation avancée exige une implication accrue de tous les acteurs dans le processus de concertation et de dialogue constructif
-
La Chambre des représentants et le Haut Conseil d'Etat libyens s'accordent sur la phase préliminaire des échéances électorales
-
Crise libyenne : Nasser Bourita souligne la nécessité impérieuse de s'imprégner de l'"esprit de Skhirat"
Pas question donc d’occulter la précarité dans laquelle vivent les Souiris : taux de chômage important, pauvreté, absence de perspective. La parenthèse de ce festival qui n’a pas son pareil au Maroc est aussi un miroir grossissant des problèmes d’Essaouira, une ville qui compte trois festivals musicaux –gnaouas, musique classique en plus des andalousies atlantiques- et pas un seul conservatoire de musique. Les médias internationaux se bousculent dans la Cité des alizés et le Festival gnaoua a les faveurs des médias du monde, s’affichant en « une » et en prime time. Problème, personne à Essaouira n’a voulu, ou pu, capitaliser l’impact de ce festival ni surfer sur la vague de la fusion pour en faire un levier de développement de la ville. Les autorités locales se plaignent d’un budget toujours insuffisant alors que les élus pointent du doigt la fragilité et les incohérences de la majorité qui détient le pouvoir au sein du conseil municipal de la ville. « Résultat, personne ne fait rien. Il est facile de s’indigner, s’insurger, protester au tomber de rideau du Festival d’Essaouira. Mais qu’ont fait ces personnes qui dénoncent pour contribuer au développement de la ville ? Qu’ont-ils fait ces protestataires pour aider ses habitants à sortir de la précarité ? Quelles actions concrètes ont-ils mené pour capitaliser cet événement et faire de la culture un levier de développement de la ville ? », s’interroge avec amertume un associatif de la Cité.
Un sentiment de liberté extrême que l’on ne voit nulle
part ailleurs
Cette année encore, le Festival gnaoua et musiques du monde a donné à voir un vivre-ensemble magique. Un vent de liberté, d’art et de culture a soufflé sur Mogador et les quelque 400.000 festivaliers venus d’un peu partout du pays –et d’ailleurs- ont vibré, dansé, chanté. Les nuits d’Essaouira sont magiques parce qu’elles sont interminables. Pas besoin de parler, communiquer, juste écouter la musique, se laisser emporter par les 48 concerts, déclinés sur huit scènes, qui étaient au programme de cette 13ème édition. A Essaouira, ce sont les âmes qui se nourrissent de ces musiques, de ces concerts fusions, de ces métissages faits de notes et de danses aussi. Tard dans la nuit, de jeunes femmes déambulent dans les ruelles de la médina, à proximité de la place Moulay Al Hassan. En toute sécurité, en toute liberté. «Et ça, je peux vous assurer qu’on ne peut le voir qu’ici à Essaouira. Est-ce qu’il faut laisser aujourd’hui des polémiques politiciennes assassiner cet esprit d’Essaouira, cet esprit qui a fait le pari de la réhabilitation des maalem gnaouis, de la sauvegarde d’un patrimoine qui fout le camp et surtout ce sentiment de liberté extrême que l’on ne voit nulle part ailleurs ? Le Festival gnaoua d’Essaouira, il faut le vivre au moins une fois pour comprendre tout cela ! », s’exclame un journaliste qui s’est fait fort de ne jamais rater une édition de cette rencontre.
Le Festival gnaoua et musiques du monde est né d’une entreprise privée. Il est né de la volonté forte d’un homme, le conseiller Royal André Azoulay, originaire d’Essaouira, et surtout, du militantisme d’une jeune femme, Naila Tazi. Depuis 13 ans, celle qui préside à A3 communication, structure organisatrice de cet événement, se bat avec toute la rage de sa passion pour que les gnaouas aient leur festival, un festival désormais connu et reconnu à l’international. Les sonorités des crotales et du gambri ont voyagé par-delà les frontières. « Le Festival gnaoua n’a jamais cédé aux sirènes de l’instant. Constamment, avec détermination, il a tissé son parcours sans dévier de sa ligne éditoriale, en défendant des valeurs de partage, d’égalité et en résistant très fort aux difficultés parfois rencontrées. La reconnaissance de ce travail ardu, c’est le rayonnement d’une musique et d’une culture autrefois dans la marge, aujourd’hui emblème de la régénérescence d’une confrérie, d’une ville et d’une population qui y a reconnu une certaine idée de la liberté », écrit celle qui est productrice et directrice du festival en prélude du programme.
S’en sortir par la culture
Le Festival ne s’est jamais fait en marge de la population d’Essaouira et s’est toujours interdit d’être une parenthèse bruyante dans la vie de la cité. Il y a un an, naissait l’Association « Yerma Gnaoua » pour préserver l’art gnaoui. Et en cette 13ème édition, le musicologue Ahmed Aydoune a posé les premiers jalons de la sauvegarde de ce patrimoine. Et cette année, les maalem gnaouis bénéficient enfin de la fameuse mutuelle des artistes. Alors, coupé des réalités d’Essaouira le Festival gnaoua ? « Le problème n’est pas là. On le voit, les Souiris sont toujours très heureux d’accueillir un tel méga-festival. Il ne faut pas oublier que tout le monde y gagne : hôteliers, restaurateurs, commerçants, propriétaires de petites échoppes. La ville renaît. Elle fait le plein. On fait des affaires. Le problème réside dans le fait que personne parmi les responsables ne s’est jamais vraiment approprié le Festival gnaoua. Le problème n’est pas seulement local, au niveau des élus et des autorités de la ville mais aussi national du niveau du gouvernement. Il est temps de comprendre et de réaliser que la culture peut être un formidable levier de développement. C’est peut-être là la chance d’Essaouira qui n’a pas d’autre choix que de s’en sortir par l’acte culturel », soutient ce spécialiste de l’industrie culturelle.
Frondeuse, Essaouira a toujours su résister aux pires attaques. L’Histoire en témoigne encore et toujours. La Cité des alizés s’est longtemps battue contre l’oubli, la marginalisation, la précarité. Un vent de liberté souffle sur le Maroc. A Essaouira, il a toute la magie des possibles. Les crotales des maîtres gnaouis à la rencontre desquels sont venus des musiciens prestigieux y sont probablement pour quelque chose. Le Festival gnaoua et musiques du monde saura, à son tour, résister à ces déclencheurs de polémiques politiciennes qui ne voient que débauche et insécurité là où il ne faut retenir que vivre-ensemble et liberté.