“Larmes de khôl”, un gracieux bouleversement des sens

Troisième création de la troupe Anfass

Lundi 15 Avril 2013

“Larmes de khôl”, un gracieux bouleversement des sens
Ovationnée à Kénitra dans le carde du festival des femmes et à Rabat au Théâtre national Mohamed V, “Larmes de Khôl” sera représentée une troisième fois le 18 avril 2013 à Kénitra ville natale de sa réalisatrice Asmae Houri, à Kénitra.
La pièce, la troisième création de la troupe Anfass, est le fruit de la collaboration de plusieurs talents : scénographie et éclairage d’Abdelmajid El Haouasse, aide scénographe de Salaheddine Benabdeslam, composition musicale de Rachid Bromi, la musique jouée par Rachid Bromi, Yassir Torjomani et Marouan Idrissi, chant de Khadija El Amoudi, costumes de Badria El Hassani et photos d’Alice Feronce-Dufour.
Le trac des comédiens, du metteurenscène... est connu de tous, parce qu'on en parle souvent. Mais on n’évoque jamais l'angoisse du spectateur. De ce spectateur appelé à participer à la reconstruction de l’œuvre. Tu vois, tu entends, tu t'immerges dans un spectacle qui s'offre à toi, bien que tu aies choisi d'y être sans te placer, a priori, pour ou contre et tu es fasciné, ébloui, à peine satisfait ou enragé contre toi-même pour avoir accepté de souffrir deux longues heures de lieux communs et d'inepties, d'avoir  mal usé ne serait-ce que quelques minutes du peu de temps qui te reste à vivre à remâcher ce que ton esprit avait vomi depuis des temps immémoriaux.
Et tu réagis. Dans l'immédiat. Souvent de façon viscérale. Et personne ne peut prétendre que tu n'es pas sincère. Même si la réaction ipso faco, ne sert ni le spectacle qui en est l'objet et le catalyseur, ni toi-même. Même si tu te sens inspiré, sache que la verve spontanée est toujours touchante mais rarement sublime et rhétorique.
Pleurs noirs, cœurs transparents
C'est pour moi un spectacle qui se définit unlimited, ne se classe pas mais met le spectateur face à ses propres limites. En y naviguant, je me suis surpris en train d'errer entre toutes ces constructions symboliques fondées sur le chiffre 4: quatre éléments, quatre saisons, quatre hommes, quatre femmes; puis je me suis mis à voir autre chose: un homme qui est trois fois homme et une fois femme et une femme qui est trois fois femme et une fois homme (scène d’Ahmed qui se travestit). J'ai cru alors avoir saisi le sens de l'équation: il n'y a en fait qu'un homme et une femme. La femme danse, se débat, crie, hurle, murmure et rit frénétiquement ou amèrement ou se tait jouant son propre rôle, pendant que l'homme caresse les cordes de sa guitare, chatouille celle de son violon, tambourine sur son cajon ou fredonne une chanson de ses cordes vocales féminines. C'est pour ainsi dire que c'est la femme qui chante en l'homme et c'est l'homme en la femme qui chevauche sa rage et se soumet aux lois indicibles et irrespirables de la sacro-sainte famille...
Mais à la fin me demandais-je: n'ai-je pas l'esprit trop géomètre, excessivement carré pour saisir la fluidité de l'imagerie des nombres dans l'univers récalcitrant de femmes qui refusent que 1+1 soir supérieur à 2, celles-la à qui on dénie le droit à la procréation et la maternité sans la bénédiction des hommes?
Trois femmes et un homme dansent et crient le mal d'être de la relation homme/femme, femme/homme dans une société phallique et théocratique. Trois hommes et une femme les accompagnent en musique et en chant. Quand les premiers revendiquent à vive voix, prosaïquement:  "une issue de secours", les autres leur donnent la réplique, en cadence, lyriquement: "no exit". Et quand les premiers se diluent dans la chorégraphie du carré qui se fait et se défait avant de se muer en droite, séants par terre, au pied du mur; les seconds habillent leurs gestes et paroles de notes qui s'élèvent crescendo, les transportant au bout d'eux-mêmes, dans une sorte d'exorcisme thérapeutique; puis s'amenuisent, en decrescendo, afin de les porter à entendre leurs voix intérieures.
Le titre de la pièce, qui suggère un insert sur grand écran, semble du premier coup, extra-théâtral mais quand on se découvre sous la rampe, sentant presque la transpiration des acteurs, rendus méconnaissables, par une ingénieuse mise-en-scène. Quand tu vois ces corps qui éclatent, se brisent et se rabougrissent, s'écartèlent, se déchirent et se boulent, se vrillent, se recoquillent et se ratatinent pour enfin se libérer d'une colère longtemps refoulée, du désir fou d'aimer, d'être aimé ou tout simplement d'être ignoré dans une société dévorée par la curiosité indiscrète, inquisitrice et malveillante: irrespectueuse de l'inaliénable, l'invendable intimité. C'est ce qui fragilise la femme comme l'homme, l'homme et la femme c'est-à-dire le couple. Le couple c'est fragile. Le couple est en détresse (SOS), c'était là l'un des leitmotiv, sur lequel reposait la scénographie. Une autre ritournelle qui se répète obstinément sur la toile de fond c'est: sec; ours, cachot, prison où l'on souffre à sec, dépourvu de chaleur humaine. Notre patrie est en quelque sorte un pays sec.
Aucun accessoire n'est choisi au hasard: le collier par exemple dépasse sa fonction  d'enjeu dramatique: gage d'amour qui se transforme en un licol autour du cou, pour acquérir une charge sémantique, de nature allégorique: son étrange ressemblance avec le chapelet, nous en dit assez, et de façon très subtile, sur le poids du religieux dans la vie de couple... La pomme aussi, symbole consacré du péché originel, fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, figure allégorique de tout ce qui est peccant et répréhensible, parce qu'interdit ou défendu, prend ici tout son ampleur en tant que substitut d'une lubricité réprimée et "dé-naturalisée" comme si elle ne faisait partie de la chimie de nos corps... Ces pommes voracement dévorées par les femmes comme par l'homme ne sont que des simulacres de désirs reniés, bafoués et mis en boite...   
Contrairement aux idées reçues, c'est le personnage-homme (Ahmed) qui "souffre de cette castration symboligène, passant de l'image inconsciente du corps, à l'assujettissement de celle-ci à l'image réfléchie (sur le miroir)", l'interprétation du stade du miroir de Dolto l'emporte dans la pièce sur celle de Lacan...
Enfin, c'est l'espoir qui triomphe mais ce seul espoir permis pue le compromis du silence: the only exit is inside oneself never outdoor or out of country. To exit, signifie aussi quitter la scène. On ne peut quitter la scène. Un mois après, cette scène me hante encore... Je ne sais pas ce qu'il en est des autres mais moi je n'oublierai pas de sitôt ce gracieux bouleversement des sens.

Par Mohamed Arious

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