Langue maternelle, vecteur de prospérité


Par Mourad Alami *
Lundi 25 Novembre 2013

Langue maternelle, vecteur de prospérité
L’arabe doit préserver sa place en tant que langue de liturgie, la langue marocaine vivante, la darija, comme langue d’enseignement, de progrès et de création de richesse. Nous avons déjà en la personne de Sa Majesté, «Amir Almouminine», l’autorité adéquate afin de sauvegarder, promouvoir et prendre la défense de la langue du Saint Coran.
Toutes les forces vives du pays, la société civile, les ONG, les syndicats et les démocrates devraient soutenir Sa Majesté dans le but d’officialiser la langue marocaine ainsi que de reconnaître le marocain comme langue d’enseignement. Sans le bras de fer de la société civile, des partis modernistes, des différents syndicats et surtout sans l’impulsion décisive de Sa Majesté, on n’aurait jamais eu droit à la «moudouwwana», qui est entre-temps un acquis démocratique de premier choix. Dans le cas où la langue maternelle vivante de la quasi-totalité des Marocain(e)s deviendra langue officielle et langue d’enseignement, il s’agirait bel et bien d’une «réelle» Révolution du Roi et du Peuple. Car le marocain est la langue du peuple, de la dignité et des droits de l’Homme.
La langue maternelle est d’une nécessité de premier ordre pour l’enfant ; car c’est grâce à ce moyen qu’il se crée une réalité, qu’il devient lui-même une réalité qui se prononce, agit, verbalise ses souhaits et angoisses. Sans sa langue maternelle, l’enfant ne serait pas en état de développer ses facultés langagières, ses différentes relations avec l’autre ; elle est d’une éminente importance sur le plan sensori-moteur, psychoaffectif. Car c’est grâce à elle qu’il va découvrir ses premières émotions, son équilibre psychique tout en le préparant ainsi à la vie, à l’intégration socioculturelle.
Les bienfaits de la langue maternelle sont multiples ; c’est à l’aide de ce moyen que l’enfant va découvrir son entourage, son patrimoine littéraire, le goût de l’écriture et de la lecture. Par la suite, il représentera une valeur, il sera un acteur, une force de proposition et de participation. La lecture dans la langue maternelle doit occuper une place de premier choix. Et c’est ce que j’ai pu constater au fil des dernières années. J’ai remis un de ces jours un conte écrit en arabe à une de mes nièces, 8 ans, 2ème classe du primaire, afin qu’elle le lise. Elle trouvait des difficultés énormes à le déchiffrer, le vocaliser, sans parler bien entendu de la signification des mots. Lorsque je lui ai présenté le même conte que j’ai écrit en marocain ; il n’y avait pas une seule hésitation ni d’incompréhension.
Même au cas où elle quitterait l’école un de ces jours pour une raison ou pour une autre, ce je n’espère pas, elle serait toujours en état de lire et d’écrire, parce que c’est sa langue maternelle, la langue de tous les jours, de la pérennité. Ce qui n’est pas le cas de l’arabe. Une fois que l’enfant quitte l’école, il lâche, il oublie tout, parce que cette langue, bien qu’il s’agisse bien d’une très belle langue, n’est pas sa langue maternelle vivante. Et il devient de nouveau un vrai analphabète ; quant à l’apprentissage dans sa langue maternelle vivante, qui est une langue innée, il pourra renouer avec l’école ou la formation quand cela lui paraîtra opportun.
Il est grand temps de charger les écrivains et créateurs d’œuvres littéraires d’enrichir dès maintenant la bibliothèque des jeunes, orpheline jusqu’à présent, tout en produisant des ouvrages de grande valeur en langue marocaine pour les générations futures. Peu  importe si les travaux de codification et de standardisation ne sont pas terminés au début, mais qu’il y ait un cumul de différentes expériences, expressions et projets de vie. Car les écrits ont toujours devancé les règles de grammaire. L’homme, le créateur s’exprime, le grammairien suit, pas le contraire. Ces ouvrages sont indispensables pour la personnalité de l’enfant, vu leurs valeurs morale et civique, fortifiant ainsi la formation de son caractère, sa réflexion et son raisonnement.
Le succès à l’école est étroitement lié à la langue maternelle vivante. C’est elle qui facilite l’apprentissage à l’enfant et lui ouvre le monde de la connaissance, de la science, sans toutefois l’éloigner de son entourage habituel, de son environnement et des premiers sons qu’il a entendus de sa mère.
La non-reconnaissance institutionnelle ne peut que frustrer l’enfant et créer ainsi un sentiment de marginalisation, d’exclusion, de trouble et une insécurité langagière. Et c’est ce que nous vivons au quotidien, il n’y a pas un Marocain ou une Marocaine qui ne bégaye pas ou qui ne cherche pas sans cesse ses mots. Les psychologues marocains devraient se pencher sur cet aspect, afin de nous éclairer là-dessus et d’avoir ainsi une certaine visibilité sur nous-mêmes.
Les Turcs par exemple ont su valoriser leur parler, à l’origine une langue populaire comme notre darija, tout en l’institutionnalisant et en le promouvant sur le plan international. La Turquie fait partie aujourd’hui du club des grands, « Groupe des vingt » (G20) ; il y a une dizaine d’années l’Union européenne n’a rien voulu savoir de l’adhésion de la Turquie à l’UE. Aujourd’hui, c’est le contraire, la Turquie aime à se faire prier. Rien qu’en 2010, Tayyeb Erdogan a traité de nouveau l’Union européenne de « club chrétien » qui refusait, par arrogance et avec une bravade puérile, de se mettre à table avec des musulmans. Je partage pleinement l’avis de Mr. Erdogan. Si la Turquie n’était pas un pays musulman frère, elle ferait partie de l’Union européenne depuis des décennies.
La langue est étroitement liée à l’essor économique, au progrès et à la prospérité. Le PIB de la Turquie est de l’ordre de 773 milliards de dollars, revenu par habitant : 14.517 dollars. Les chiffres ne connaissent pas le mensonge, le jeu de mots, la triche ; ils sont immuables et reflètent d’une manière correcte, sobre, la réalité sans ambages, ni censure.
Il y a d’autres exemples ; des pays plus petits numériquement que la Turquie, pourtant des géants, étant donné l’importance de leur économie, leur savoir-faire et leur haute technicité. Par exemple les pays scandinaves : Norvège, Finlande, Danemark et Suède. Tous ces micro-Etats n’ont pas plus que 25 millions d’habitants (au Maroc 35 millions), mais le PIB dépasse les 1500 milliards USD (respectivement 438 milliards USD, 266 milliards USD, 333 milliards, 538 milliards USD). Le PIB du Maroc est aux alentours de 90 milliards USD, et le revenu par habitant de l’ordre de 2600 USD. Les hauts revenus des pays scandinaves sont liés d’une manière directe à la langue d’enseignement, vu qu’on a su valoriser la quasi-totalité des ressources humaines, sans exclusion ni clientélisme.
Nous sommes tenus de créer des programmes éducatifs à la hauteur des attentes de nos concitoyennes ; car la langue d’enseignement a toujours été un frein, un handicap au lieu d’être un levier de création de richesse, de prospérité et d’essor économique, tout en s’ouvrant sur les langues étrangères depuis un âge précoce.
La valeur et les bienfaits de l’enseignement dans la langue maternelle ne sont pas connus rien qu’hier. Depuis le début des années 50, l’Unesco a toujours souligné l’importance de l’enseignement dans la langue maternelle vivante, surtout sur le plan pédagogique. L’enfant fait des avancées considérables, si on lui présente un support linguistique, des manuels, dans lesquels il se retrouve facilement et qu’il maîtrise avec aisance. Si en 2005 plus de 200.000 enfants ont abandonné l’école, en 2012 ils sont 370.000; c’est toute une génération qu’on met au chômage prématuré, sur l’autel d’une politique éducative passéiste. Une saignée irresponsable.
Le but de chaque scolarisation est d’approfondir la connaissance, de préparer les décideurs de demain et surtout de créer de la richesse ; et cela ne peut se faire que dans la langue maternelle vivante. Si les enfants apprennent dans une langue qu’ils connaissent déjà, ils seront toujours tentés de savoir plus et ainsi d’apprendre davantage. Une fois les bases cognitives installées, toute autre langue serait facile à acquérir. Sans une formation dans la langue maternelle vivante, il n’y aura jamais de création, d’invention, d’essor économique.
 * Universitaire, écrivain
et traducteur

Biographie sommaire :
Universitaire (Maroc/Allemagne), spécialisation en stylistique et analyse langagière du discours politique et des médias; traducteur de plus de 300 ouvrages, surtout juridiques, économiques et scientifiques pour le compte de sociétés allemandes ; a écrit plus de 250 poèmes et en a publié quelques-uns dans des revues allemandes.. Traduction, entre autres de «La Mémoire d’un Roi» de Hassan II, français-allemand, Berlin 1996 ; mais aussi «Le prophète» de Jabran Khalil Jabran, «Dafanna Almadhi» d’Abdelkrim Ghellab et «le pain nu» de Mohammed Choukri.  Publication d’une quarantaine d’articles relatifs à l’écriture et à la langue marocaine, publiés sur différents sites, (voir «maghress.com», version arabophone), publication de 8 ouvrages en langue marocaine (roman, contes, études, essais, blagues, pièce de théâtre, poésie, etc.



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1.Posté par taoufiky le 25/11/2013 20:39
Je crois que M Alami a tout dit dans cette excellente analyse. Bravo !

2.Posté par Karim le 26/11/2013 22:53
Je partage l'opinion du Professeur Alami. Il a absolument raison, il ne faut pas perdre de temps. Tous les pays qui ont su mettre en valeur leur capital humain ont réussi leur pari.

En effet, la langue maternelle vivante est la clef du développement et de l'essor économique.

3.Posté par azergui mohamed le 27/11/2013 07:13
La langue arabe classique venue du passé et de loin est une langue imposée Il faut la remplacer non par une langue maternelle mais par deux langues maternelles ( la langue amazigbe et le dialecte arabe)
La polémique actuelle est juste mais :
La langue amazighe dans tout ça ?
La langue amazighe n'est pas maternelle
Les mères amazighes doivent parler arabe dialectal à leurs enfants de force ?
Surnoisement n'est on pas sur la voie d'assissiner pour toujours la langue amazighe sur l'autel de la langue arabe usuelle ?
On veut nous dire on va crééer le marocain ou arabe dialectal langue unique et les amazighs n'ont plus qu'à se taire
Dans d'autres pays du nord les langues nationales se sont créées à partir du gaulois , du castillan , du caalan auxquelles s'est ajouté le latin usuel (langue des occupants romain) usuel

Il y a là comme un complot qui vise la langue amazighe

4.Posté par autableau le 28/11/2013 17:46
introduire la darija à l'école et commencer à chasser l'arabe fousha revient à appauvrir la darija dans le but plus tard (10 à 20 ans) de rejeter meme la darija car sa racine l'arabe fousha a été coupée,
et on arrive au but recherché et déclaré ouvertement ,la langue arabe est étrangère ,on l'oublie ,et on ne garde que la langue amazighe,
la constitution le dit sans détour:l'arabe et l'amazigh sont les langues nationales et officielles,il faut les mettre en pratique,tout en les simplifiant, dans la mesure du possible,
ceux qui veulent supprimer l'arabe,disent qu'ils n'aiment pas les arabes ,c'est leur droit,
mais on supprime une langue merveilleuse tres riche, c'est un héritage précieux ,la langue arabe appartient au maroc ,c'est un bien à garder ,
en plus ce bien nous permet la facilité de contact avec les peuples maghrébins qui demandent l'union du maghreb,imaginer 5darijas des 5 pays méghrébins, c'est le souk à ne pas en finir,
ma position est nette:
j'adore l'arabe fousha ,
j'adore la darija,
j'adore la langue française ,
je regrette de ne pas connaitre l'amazighia,
alors : non à la darija à l'école ,oui pour l'arabe fousha ,l'amazighia, et les sciences en français et en anglais,

5.Posté par M''''hamed EL Yaogubi le 28/11/2013 19:51
En dehors de toutes perspectives disciplinaires et scientifiques dans lesquelles on pourrait définir et situer ce que l'on appelle la langue maternelle, cette notion ou appellation demeure floue et source d'interrogations que de représentations. Il me semble que l'ouverture des débats et des réflexions en dehors des acquis scientifiques et expérimentales dans le domaine de l'enseignement et l'apprentissage des langues surtout celles que l'on appelle premières à la place de maternelle (es) est une entreprise hasardeuse et génératrice des troubles et des nuisances pédagogiques pour la communauté linguistique dans sa diversité.
D'un côté, il y a des acquis irréversibles dans des recherches en sciences du langage et sciences cognitives sur ce que veut dire apprendre et acquérir, communiquer et exprimer, connaître et comprendre.
Les modèles théoriques pédagogiques et didactiques aux fondements empiriques ont été largement mis à l’épreuve dans plusieurs situations de construction des apprentissages et d'acquisition des langues avec des complexes sonores riches et variées. Le contexte paradigmatique de ces expériences s'inspirent des nouvelles configurations sociales et culturelles des enfants et des élèves issus des couples mixtes en Europe et en Amérique du Nord. La question posée par des chercheurs des nouvelles disciplines scientifiques (psychologie cognitive, neuropsychologie, neurolinguistique, psychologie interculturelle, théorie et modèles théoriques dans la phonologie, neurosciences, etc) s'articulait autour de nouveau phénomène lié aux pratiques langagières des parents qui parlaient et communiquaient avec plusieurs langues avec leurs enfants. Les résultats surprenants dans ces recherches ont montré que les enfants dès le début de leur naissance réussissent à distinguer et discriminer entre plusieurs sonores linguistiques complexes. Par suite, le suivi de leur scolarité (Amérique et Europe) a été vérifié avec des hypothèses : Ces enfants apprennent vite et sont plus répondants aux stimulations sonores différentes.
C'est dans ce contexte que la notion de langue maternelle a été battue en brèche parce qu'elle n'est pas généralisable et inopérante dans la compréhension du fonctionnement cognitif de l'élève-enfant.
Il me paraît qu'il est de l'ordre de l'impératif pédagogique et didactique de savoir et de comprendre ce que veut dire la langue maternelle pour l'ensemble des Marocains. Sinon, on glissera sur une pente savonneuse.

M'hamed EL Yagoubi
Docteur en Psychologie et Sciences de l'Education à l'Université de Provence. Aix-Marseille-Université
France

6.Posté par zineb zniber le 01/12/2013 21:32
Au Maroc il y a autant de langues maternelles que de régions , les darijas arabes sont truffés de termes français et amazighs , les darijas amazighs sont également truffés de termes arabes, comment faire ? Je pense que c'est chercher la difficulté que vouloir enseigner en darija .Il me semble judicieux d'utiliser les différentes darijas pour la petite enfance de 3 à 6 ans comme vehicule oral pour les premiers apprentissages et l'eveil, mais que dès le primaire il faut commencer à enseigner en arabe classique de manière simplifié et introduire l'amaghih pour ceux qui le souhaitent et petit à petit le français et les autres langues étrangères. je pense que l "'echec" de l' enseignement actuellement n' est pas dû à l'arabe classique , quoi qu' endise l'UNESCO, mais aux méthodes de l'enseignement qu' il faut rénover et actualiser régulièrement , et qu' il faut se donner les moyens financiers pour généraliser et élever le niveau de l'enseignement.

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