La vie de Mohamed Abed El Jabri expliquée par les siens : Jardinage, bouquinage, écriture, JT arabes et autres occupations de père de famille …


M’Hamed Hamrouch
Mardi 8 Juin 2010

Tout a été dit ou presque sur l’œuvre intellectuelle de Mohamed Abed El Jabri. Il n’est pas un seul aspect de sa trajectoire de penseur qui n’ait été observé, dévoilé, expliqué, analysé. Ici comme ailleurs, c’est-à-dire en Europe et en Amérique, pour ne pas rester dans la stricte sphère arabe où la pensée du regretté continue de faire autorité, rien dans le parcours intellectuel du défunt n’a été laissé au hasard. Et pourtant peu, pour ne pas carrément dire rien, a été dit sur Mohamed Abed El Jabri l’homme, l’ami, le père, l’époux, bref sur la vie de l’être, son rapport à sa famille, son passe-temps, ses occupations favorites, ses références et ses préférences … Bien sûr, le livre était le meilleur compagnon du regretté. Issam, l’un des quatre enfants du défunt El Jabri (Mouna, Lamia et Badr), illustre ce rapport au livre par deux anecdotes très significatives. « Mon père avait 15 ans quand il perdit sa mère. Ma grand-mère paternelle lui a légué un héritage très modeste constitué de quelques bijoux et des couvertures en laine. Il les a vendus pour acheter quelques livres », raconte le fils du défunt. Il enchaîne avec une autre anecdote non moins révélatrice de ce rapport prématuré et quasiment sacré qu’avait Abed El Jabri avec le livre. « Mon père avait une relation assez spéciale avec son grand-père maternel, rapport fait d’une adoration frôlant parfois l’idolâtrie. Il ne s’en séparait que peu quand il était enfant. Un jour, alors que son grand-père agonisait et qu’il allait subitement rendre l’âme, mon père qui était à ses côtés était plongé dans la lecture. Il était tellement absorbé par le livre qu’il ne s’était même pas aperçu de la mort de son grand-père », relate le fils du défunt. Cette passion exceptionnelle de la lecture sera toutefois contrecarrée en 1953, lorsque ferma l’école où le défunt faisait ses premières classes. C’était au temps du Protectorat, à Figuig. Le petit écolier a été admis en tant qu’apprenti chez son oncle dans un magasin de couture, puis récupéré par d’autres oncles qui s’adonnaient alors au commerce. Mais cette étape sera de courte durée, le défunt ne tarde pas à retrouver la vocation qui était la plus proche de son cœur, c’est-à-dire le livre.
Au-delà de ce rapport privilégié avec le livre, il y avait l’écriture. C’est connu, les meilleurs écrivains sont d’abord les meilleurs lecteurs. Pour s’en rendre compte, il suffit de dire que Mohamed Abed El Jabri fut l’un des meilleurs lecteurs et interprètes de la pensée d’Averroès (Ibn Rochd). Dans son livre-culte « Nous et notre passé », passage obligé pour les élèves de philosophie, il décortique avec la précision d’un horloger et la patine d’un orfèvre le livre-phare d’Averroès « Le Traité décisif » et s’en inspire largement pour livrer une critique rigoureuse de la structure de la raison arabe et démontrer, avec force arguments, la ligne de démarcation séparant ce qu’il appelle « le mysticisme » et « l’illumination » de la philosophie de l’Orient arabe et celle de l’Occident islamique incarné par Ibn Rochd. « Mohamed Abed El Jabri a consacré 15 ans de sa vie à l’écriture du livre intitulé Critique de la Raison arabe », révèle sa famille. Beaucoup de temps pour signer cette œuvre dont le prestige a été contagieux, au point de déborder la sphère du monde arabe pour rejaillir sur celui de l’Occident. Mais il y a un autre vœu qui tenait tant au cœur du défunt El Jabri ; l’écriture d’un livre où il voulait interpréter le saint-Coran. « Il avait 65 ans quand mon père eut l’idée d’écrire ce livre. Cela n’a pas été facile, d’autant moins que l’âge de mon père ne devait pas lui permettre d’exaucer ce vœu pieux. Et pourtant c’est chose faite. Fin 2008 et début 2009, un éditeur oriental viendra au Maroc pour annoncer à mon père la parution de son livre. Savez-vous ce que lui a dit le regretté ? Si l’ange de la mort vient en ce moment, je lui souhaiterai la bienvenue », raconte le fils de Mohamed Abed El Jabri.
Maintenant, quelles sont les occupations favorites du regretté El Jabri ?
« Le défunt aimait beaucoup le jardinage », dévoile sa famille. Etre près des plantes, en prendre soin, cultiver son lopin de terre, bien des philosophes, poètes et romanciers ont eu cette passion. Mohamed Abed El Jabri ne sort pas de ce lot. Ce n’est pas un hasard si les mots ont souvent été assimilés à des plantes, dégageant des arômes et respirant la gaîté et la joie de vivre. On cultive des mots comme on cultive des herbes.
Mais passons, car il y a un autre fait susceptible de lever un autre coin du voile sur la vie cachée du regretté. Si Mohamed Abed El Jabri n’aimait pas le cinéma, depuis sa tendre enfance ; selon sa propre famille, il était féru des journaux télévisés. Le défunt mettait un point d’honneur à n’en rater aucun, tellement il était assoiffé d’informations se rapportant au monde arabe en général et au Maroc en particulier.
Malgré cette intense occupation, partagée entre lecture, écriture, jardinage, télévision, le défunt El Jabri trouvait le temps de remplir convenablement son rôle de père de famille. « Mon père s’intéressait  à tous les détails de la vie de ses enfants, même quand ils sont devenus grands », fait valoir son fils Issam. « C’est le meilleur exemple de ce que doit être un père de famille », conclut la famille du regretté El Jabri.



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