La pastèque déshydratante

Le risque pour Zagora de se trouver assoiffée est plus grand que par le passé


Hassan Bentaleb
Jeudi 28 Février 2019

Faut-il s’attendre à une nouvelle révolte de soif à Zagora  en cette  année ? Oui, à en croire l’Association des amis de l’environnement qui prévoit « une crise d’eau » plus aiguë que celle de l’année dernière. Les militants de cette ONG estiment que la culture de la pastèque, considérée comme étrangère à la région et non durable, a pris des proportions démesurées dans un contexte d’absence de précipitations.  
« Le problème de l’eau est toujours d’actualité dans la région. Si  son acuité est actuellement moindre dans la ville de Zagora, il persiste encore dans les communes et douars mitoyens. Tagounit et l’oasis de Ktaoua ne disposent pas aujourd’hui d’eau potable et s’approvisionnent grâce aux camions citernes qui les ravitaillent  une fois par mois.  D’autres communes accèdent à l’eau potable uniquement 3 ou 4 jours par semaine. Zagora constitue une exception grâce à la nouvelle station de déminéralisation des eaux qui nous assure un accès normal à une eau potable de bonne qualité », nous a indiqué Jamal Akchbabe, président de l'Association des amis de l'environnement à Zagora. Et de poursuivre : « Mais, la situation est appelée à se dégrader davantage avec l’accroissement de la culture de la pastèque qui s’est propagée ces derniers temps à l’ensemble des communes de la région et qui mobilise des millions de m3 d’eau ». Selon des chiffres émanant de l’Agence du bassin hydraulique du Souss-Massa-Drâa, la province de Zagora dispose d’un potentiel hydrique de près de 400 millions m3, dont 300 millions m3 d’eau de surface et 100 millions m3 d’eau souterraine réparti sur huit nappes phréatiques et utilisé dans l’irrigation de 30.000 hectares et l’approvisionnement en eau potable de 307.000 habitants de la province en sus de 20 établissements touristiques. Un potentiel qui reste pourtant inégalement réparti sur l’ensemble du territoire de la province avec une qualité d’eau qui varie aussi selon les nappes phréatiques. 
D’après l’Association, la superficie des lopins de terres destinés à la culture de la pastèque s’est démultipliée dernièrement pour atteindre les 20.000 ha avec l’implantation de 800.000 plantules qui auront besoin de 12.000.000m3 d’eau. « Cette culture s’est répandue sur l’ensemble du territoire de la province et elle a même dépassé ses limites puisqu’elle s’est étendue aux provinces mitoyennes (Errachidia et Tata). La culture de la pastèque a également envahi des oasis qui étaient jusqu’à présent épargnées. Tout le monde recherche le profit puisque les pastèques sont exportées vers l’Afrique et l’Europe », nous a expliqué notre source. Et de préciser : « Le phénomène touche les grands agriculteurs comme les petits, natifs de la région ou étrangers. Nous avons observé qu’un bon nombre d’agriculteurs viennent d’autres cieux et louent des terres collectives ou celles de petits agriculteurs. Il y a également ceux qui viennent exclusivement lors de la saison de la cueillette pour acheter la récolte en vue de la revendre ailleurs ».  Une situation qui n’augure rien de bon puisque l’eau souterraine manque du fait qu’il n’y a pas eu renouvellement des réserves de la nappe souterraine cette année faute de pluies suffisantes. 
Pis, alerte le président de l'Association des amis de l'environnement à Zagora, la culture de la pastèque a eu comme conséquence la propagation de l’usage des pesticides. Ils sont souvent utilisés par les agriculteurs sans que ces derniers ne bénéficient d’une quelconque formation ou encadrement en la matière. Ceci d’autant plus que ces pesticides se vendent sans le moindre contrôle ni suivi. 
Mais qu’en est-il des batteries de mesures à moyen et long termes annoncées lors de la visite de Charafat Afilal, ancienne secrétaire d’Etat chargée de l’Eau, à Zagora en octobre 2017 ? « Seul le projet de construction de la station de déminéralisation des eaux d’Ennebch a abouti et donné des résultats. Les forages d’exploration au niveau des nappes phréatiques d’Ennebch et Faija n’ont pas débouché sur grand-chose et n’ont pas permis l’accès à de nouvelles sources phréatiques. En effet, ces forages ont été lancés dans la précipitation et l’improvisation sans études géologiques ni hydrauliques préalables. Quant au barrage d’Agdez, il ne sera opérationnel qu’à partir de 2022 et pour ce qui est de la commission interministérielle mise en place sur instructions Royales pour se pencher sur la situation du stress hydrique au Maroc, nous attendons toujours les résultats de ses travaux ».   
En attendant, l'Association des amis de l'environnement exhorte la Fondation Mohammed VI pour l’environnement de mettre un terme à ce crime environnemental. « Nous avons tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises. Nous avons organisé plusieurs journées d’études d’information, de sensibilisation et  des réunions avec les officiels (gouverneurs, ministères, administrations), mais rien ne semble venir. Il n’y a pas de position claire des pouvoirs publics à ce propos. Ainsi, si les représentants de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) et l’Agence du bassin hydraulique du Souss-Massa-Drâa sont opposés à la culture de la pastèque et l’accusent  d’être derrière le manque d’eau dans la région, le ministère de l’Agriculture voit l’inverse et encourage cette culture. Il ne nous reste maintenant que la Fondation vu son statut et son rôle dans la défense de l’environnement », a conclu Jamal Akchbabe. 
Il faut rappeler que l’année dernière n’avait pas été marquée par la grogne des seuls habitants de Zagora. Plusieurs villages reculés et localités de Béni Mellal, Khénifra, Taounate ou encore Sidi Slimane ont vu leurs habitants descendre dans la rue pendant plusieurs semaines pour réclamer un accès facile à l’eau potable. Dans le cas de Zagora, il y a eu certes incarcération de manifestants, mais la situation est restée sous contrôle. Le pire a donc pu être évité. Le sera-t-il encore et toujours ?
 


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