La loi de la controverse

A cause de l’improvisation qui l’a accompagnée, l’interdiction des sacs en plastique a posé plus de problèmes qu’elle n’en a résolus


Aicha Erraji (Stagiaire)
Lundi 4 Juillet 2016

Depuis ce vendredi, la loi 77.15 est entrée en vigueur au Maroc. Elle interdit désormais toute production, commercialisation, utilisation et même exportation et importation de sacs en plastique sur le territoire du Royaume. Nous avons fait un tour sur le terrain pour voir où en est son application et le résultat était révélateur du retard pris en termes d’accompagnement de ce grand changement dans la vie des Marocains.
Les grandes et moyennes surfaces sont des unités bien été structurées, obéissant à des normes définies et facilement contrôlables ; aussi la loi 77.15 y a bien appliquée le 1er juillet chez eux. Et comme alternative, elles proposent à leurs clients de grands sacs qui servent de support à leur publicité puisque frappés à leurs logos mais coûtant entre 7 DH et 8,50 DH. 
Pour les petites courses, un supermarché de la place vend ses sacs à 1 DH alors qu'une moyenne surface propose de petits sacs en tissu à 1DH et des moyens à 2 DH. 
Un client quadragénaire, venu acheter deux litres de lait, en prend un et s’adresse à la caissière : «C’est quand même cher 2DH, je ne vais pas payer ça à chaque fois que je viens pour une petite course ? ». Et la caissière lui répond en mettant en avant les avantages : « Non monsieur, la prochaine fois, vous pouvez ramener avec vous ce même sac réutilisable : il est solide, lavable et pratique car pliable et se met dans la poche ».  Mais certains clients semblent néanmoins surpris par de telles mesures comme Haj Khalil que nous avons abordé à l’entrée d’un supermarché: «J’ai entendu dernièrement parler du danger des sacs en plastique mais je n’imaginais pas qu’ils allaient cesser de nous en donner dans les supermarchés, un voisin vient de m’en parler et du coup je ne sais même pas si je vais entrer faire mes courses ou revenir demain avec un caddie puisque je n’ai pas de voiture ». Les grandes et moyennes surfaces ont aussi mis en place d’autres alternatives comme les barquettes en plastique alimentaire, dans lesquelles ils mettent les gâteaux à emporter. Elles les  utilisent également pour les produits en vrac et surtout ceux qui sont humides comme les olives. Le reste sera empaqueté dans des sacs en papier. 
Mais nous avons néanmoins constaté la présence de sacs en plastique dans quelques marchés, mais pas chez tout le monde. Certains vendeurs, surtout de légumes, n’ont pas eu de difficultés à s’en passer sans pour autant chercher à leur trouver une alternative. Les vendeurs de fruits, quant à eux, utilisent encore des sacs en plastique et chacun le justifie à sa manière. A ce propos, Larbi nous a répondu en toute sincérité : «  J’ai encore un petit stock à écouler ; je ne peux pas le jeter comme ça.  C’est de l’argent. Ensuite on verra ». Pour Khalid, c’est le côté pratique qui lui pose problème : «Comment voulez-vous que je leur emballe les cerises par exemple ? Je ne peux verser ça dans leurs couffins avec les pommes de terre et les carottes. Et puis les sacs en papier sont plus chers que le plastique, je ne sais même pas où en acheter». Maallem Saleh, vendeur de fruits secs, nous a parlé lui du prix du papier:  «Avant, j'achetais un kilo de sacs en papier à 70 DH alors que cette semaine, je l'ai acheté à 100 DH! Je ne comprends plus rien. Si on veut encourager l’utilisation des sacs en papier, pourquoi avoir augmenté leurs prix dans de telles proportions? ». 
Quant aux consommateurs, ils se divisent en deux catégories. D’un côté, il y a ceux à qui ça ne pose aucun problème et qui sont arrivés avec leurs couffins au marché et des fois même, ce sont eux qui ont refusé les sacs en plastique proposés par les vendeurs. Et puis, il y a ceux qui refusent que l’interdiction se fasse du jour au lendemain.  Khadija, mère de famille et fonctionnaire en fait partie : « Ça n’a aucun sens que je fasse hier mes courses dans des sacs en plastique et qu’aujourd’hui le même marchand me dise que c’est interdit par la loi et qu’il y a une amende à payer en cas de non-respect de celle-ci. C’est de la folie. Et comment on va faire pour les olives par exemple? Regardez, je viens d’en acheter et  c’est toujours servi dans du plastique, car il n y a pas encore d’autres solutions».
Tous les citoyens, qu’ils soient marchands ou consommateurs, sont d’accord que le sac en plastique est un fléau qu’il faut le combattre mais tous se posent des questions et c’est justement les réponses qui manquent car il n’y a pas encore d’alternative crédible. Le changement a été opéré brusquement sans aucun accompagnement préalable, que ce soit au niveau des stratégies sociales et économiques ou au niveau de la sensibilisation. En effet, la campagne qui vise à pointer du doigt les dangers du plastique a débuté sur les médias, à peine, trois semaines avant l’entrée en vigueur de la loi 77.15 et c’est très insuffisant pour que les gens se rendent compte de la situation et s’y adaptent. 
Cette sensibilisation devait commencer après la publication de la loi au Bulletin officiel le 14 décembre 2015  et les grandes surfaces devaient donner l’exemple et ne pas rendre payant un service qu’elles offraient gratuitement avant le début du mois en cours. Car si tout le monde est bel et bien concerné par les problèmes que posent les sacs en plastique, seuls les consommateurs vont payer les frais de ce changement. Tant sur le plan pécuniaire que sanitaire. Un petit exemple : rien de tel qu’un litre de leben pour accompagner le couscous du vendredi mais si les vendeurs de petit lait qui viennent des campagnes les plus proches n’ont pas d’alternative aux sachets de plastique blancs pour vendre leur produit, ils vont se rabattre sur des bouteilles en plastique.  Celles-ci sont à usage unique, mais elles sont désormais récupérées et utilisées pour vendre nombre de liquides. Avec des risques sanitaires autrement supérieurs à ceux causés par les sacs en plastique.  
 


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