La culture, un besoin vital en temps de crise


Libé
Jeudi 31 Décembre 2020

La culture, un besoin vital en temps de crise
La Covid-19 a mis clairement en évidence la nécessité de la culture pour les communautés. Lorsque des milliards de personnes sont physiquement séparées les unes des autres, c'est la culture qui nous rapproche, elle est le lien qui nous unit et réduit la distance qui nous sépare. La culture nous apporte réconfort dans les périodes d’anxiété. Toutefois, et alors que nous comptons sur la culture pour traverser cette crise, le secteur culturel souffre terriblement.

Mi-mars tombait l’annonce de l’annulation pure et simple de la 19ème édition du Festival Mawazine. Un coup de semonce qui avertissait la sphère culturelle nationale, encore insouciante, de la violence de la tempête à venir. Parallèlement, le confinement fermait salles de cinéma, théâtres, salles de concerts, musées, librairies, plongeant le pays dans un spectaculaire black-out culturel.

Entre annulation des manifestations culturelles et fermeture des espaces artistiques, l’industrie culturelle marocaine a subi de plein fouet les effets de la pandémie. Sans vouloir, pour autant, s’enliser dans la crise ni cesser d’enchanter les amoureux de l’art, certains artistes et professionnels se sont sitôt adaptés en misant sur le numérique. Concerts en ligne, expositions virtuelles, ou encore films gratuitement accessibles sur la Toile sont autant de formules qui ont été adoptées dès le déclenchement de la pandémie au Maroc. Une sorte de résilience culturelle face à des circonstances très singulières, mais aussi et surtout une manière de repenser l’organisation des événements culturels, ne serait-ce que le temps de la pandémie, et dont les opérations de report ou d’annulations en cascade ont entraîné dans leur sillage des pertes non négligeables en termes d’emploi et de création de la valeur.

Malgré le fait que le monde virtuel et les plateformes digitales ne peuvent pas remplacer la présence physique en festivals ou sur scène et la rencontre vivante de l’artiste avec son public, le passage en mode digital a permis de préserver le lien entre de nombreux festivals et le public, la dynamisation de la scène artistique et culturelle et l’ouverture du secteur au partage fructueux de différentes expériences artistiques.

L’émergence du cinéma digital
Au temps du coronavirus, l’activité cinématographique au Maroc a plongé dans une crise sans précédent, suscitée par un arrêt brusque de toutes les activités et une obsession d’actualité brûlante liée à cette pandémie. Le confinement a, quant à lui, mis la conscience humaine à rude épreuve. Une mélancolie a pris place, instaurant un sentiment méconnu qui invite à aspirer au temps des libertés. Les émotions procurées par le 7ème art ont dû s’adapter à ce bouleversement et franchir les portes des salles de cinéma pour se glisser à l’intérieur des maisons, forçant l’intimité à assouvir un besoin culturel et ainsi porter un regard plus libéré sur cette nouvelle réalité. Durant cette période, les télévisions et écrans de tous genres ont remplacé les salles obscures, alors que la fascination de l’image issue de cet art “total” a apaisé les esprits les plus irrités. C’est dans cette perspective que le Centre cinématographique marocain (CCM) a proposé à travers son site web, depuis l’entrée en vigueur de l’état d’urgence sanitaire au Royaume, une série de longs métrages marocains “qui se veut éclectique et multi-publics”. Connaissant un “grand succès”, cette programmation a été reconduite 3 fois, faisant suite aux mesures prises par le gouvernement pour lutter contre la pandémie. L’initiative cinéphile du CCM a “permis aux amateurs du septième art, de voir et de revoir une cinquantaine de films marocains”, avec “près de 600.000 chargements, dans 101 pays”.

L'art de rue trouve un second souffle en ligne
A l’instar d’un grand nombre de citoyens, les artistes de rue marocains se sont retrouvés, soudainement, devant une nouvelle réalité imposée par l’état d’urgence sanitaire. Cette situation particulière a fait que même le gagne-pain des artistes de rue a été soumis à rude épreuve. Pour remédier à cette situation d’urgence forcée par la Covid-19, un aréopage de conteurs de la mythique place Jemaâ El Fna ont emporté, en juillet, le public dans un long voyage à travers des spectacles virtuels dans le cadre de la manifestation artistique et culturelle “Jemaâ El Fna en live”. Des artistes populaires célèbres aux niveaux local et national n’ont pas lésiné sur les moyens, à cette occasion, en vue de mettre en avant leur talent confirmé, en réussissant à attirer l’attention d’un public avide de renouer avec ces arts ancestraux. Ces shows artistiques inédits “à distance”, offerts à la manière des grands, par les acteurs de la place, s’assignaient comme objectif majeur de lutter contre l’isolement social et transmettre les ambiances des halkas à une époque où la mythique Place de Jemaâ El Fna a pris, le temps du confinement sanitaire, les allures d’un lieu délaissé et désert. Cette manifestation culturelle si singulière se veut “porteuse” d’un message clair, celui de toutes les aspirations de voir la Place Jemaâ El Fna, coeur battant de Marrakech, accueillir à bras ouverts, dans un avenir très proche, ses visiteurs comme ses artistes.

Soutien exceptionnel à l’édition et au livre
Dans le cadre du soutien au secteur de l’édition et du livre, le ministère de tutelle a lancé un programme de soutien exceptionnel visant la promotion du livre, de la lecture et l’accompagnement des différents acteurs du domaine. Quelque 1.735 projets ont donc bénéficié d’un soutien pour une enveloppe globale de plus de 9,32 millions de dirhams. Malgré cela, il faut dire, qu’après un confinement qui a tout chamboulé, puis une relance en dents de scie, le secteur du livre a beaucoup souffert de la récession économique mondiale, consécutive aux multiples mesures restrictives adoptées pour endiguer la propagation du nouveau coronavirus. Déjà fragiles, les ventes de livres au Maroc ont été fortement impactées en cette période exceptionnelle, les librairies ayant été brusquement contraintes de fermer, alors qu’un passage vers l’e-commerce, opéré à la hâte, n’a rien arrangé, ou presque. La reprise timide de juillet et août, après la levée du confinement, a fait qu’en moyenne, les libraires et les éditeurs ont perdu jusqu’à 70% de leurs chiffres d’affaires par rapport à 2019.

Mesures de résistance en faveur des salles obscures
Le ministre de la Culture, de la Jeunesse et des Sports, Othman El Ferdaous, avait annoncé l’adoption d’une série de nouvelles “mesures de résistance” en faveur du cinéma pour répondre à la crise majeure que connaît ce secteur en raison de la pandémie. Il s’agit notamment de deux mesures destinées à renforcer la santé des salles de cinéma. Ces deux mesures concernent la prise en charge de certaines charges fixes des salles de cinéma engagées sur la période allant de mars à juin 2020 et n’ayant pas pu être amorties du fait de la crise sanitaire, ainsi que le versement aux exploitants d’une prime exceptionnelle à la réouverture des salles, équivalente à un mois de chiffres d’affaire pour accompagner la reprise d’activité, conditionnée au respect des normes sanitaires et à l’engagement de garder la salle ouverte au moins 18 mois.

Le premier versement de 50% a eu lieu à la signature des conventions par les parties concernées, alors que le second devait être effectué trois mois après la réouverture. Une enveloppe prévisionnelle de 10 millions de dirhams a été allouée pour ces deux mesures de renforcement de la résilience des salles de cinéma.

La reprise des tournages face à une série de difficultés
En raison de la pandémie de coronavirus, l’industrie de production cinématographique et télévisuelle nationale a été contrainte à un arrêt brusque de presque trois mois, impactant les ressources humaines qui opèrent dans ce secteur. Aujourd’hui, les sociétés de production commencent à reprendre leurs activités, quoique dans des conditions difficiles qui nécessitent un maximum de prudence. Si le Centre cinématographique marocain (CCM) a annoncé la reprise du traitement et de la délivrance des autorisations de tournage au profit des sociétés de production cinématographique et audiovisuelle, suite à la décision des autorités publiques d’alléger les restrictions des mesures de confinement, cette reprise ne semble pas être chose facile puisque le tournage des scènes demande une interaction directe entre acteurs, et parfois même la présence d’une foule, ce qui va à l’encontre des mesures de prévention sanitaire dictées pour faire face à la propagation du virus.

A cet effet, le CCM a publié un guide des lignes directrices de sécurité sanitaire dans les lieux de tournage, adaptées au contexte de la production cinématographique et audiovisuelle, qui exige une distance de 2 mètres minimum entre les acteurs et l’équipe de tournage, et la réduction des déplacements au strict minimum. Le guide prévoit aussi le report des scènes de foule le plus tard possible dans le planning du tournage, la réduction du nombre de comparses, et la nécessité, pour un membre de l’équipe ayant été en contact avec une personne contaminée, de subir un test de dépistage ou d’observer une quatorzaine. Dans sa présentation du guide, le CCM a admis que “certaines mesures peuvent paraître trop coûteuses ou trop contraignantes”, mais elles peuvent “sauver des vies”, notant qu’une contamination sur le plateau risque d’entraîner une mise en quarantaine de toute l’équipe, avec un arrêt du tournage certain.

Des festivals virtuels pour garder vive la flamme avec le public.
Parmi les manifestations artistiques qui ont pu affirmer leur résilience grâce au numérique, figure notamment le Festival de Fès de la culture soufie, organisé en ligne du 17 au 26 octobre sous le thème “L’art de la transmission”. Ses organisateurs ont souhaité mettre en évidence le fait que les nouveaux outils et supports numériques sont à même de permettre la découverte de cette belle culture à travers le monde et de s’en nourrir culturellement et spirituellement. L’autre festival qui a su se maintenir dans le sillage de la crise sanitaire liée au Covid-19 est le Visa For Music, dont la 7ème édition a été organisée du 18 au 21 novembre avec la participation d’une vingtaine de groupes originaires des différentes régions du Royaume qui se sont donné rendez-vous cette fois devant les écrans pour jouer leurs morceaux dans un studio à Casablanca et enregistrer des capsules vidéos qui ont été diffusées ensuite en ligne. Cette édition a été l’occasion de partager des moments musicaux chaleureux de grande qualité, mais aussi de réflexion autour de plusieurs thèmes, le tout sous un format digital. Et les chiffres de cette édition parlent d’eux-mêmes : 17 concerts, 100 artistes, 10 régions du Maroc représentées, 1 forum, 4 thèmes débattus, 8 conférences, 40 intervenants d’Afrique et du Moyen-Orient, plus de 15.000 spectateurs… et 0 cas de Covid-19 !, se félicitent les organisateurs.

C’est le cas aussi du Festival maghrébin du film d’Oujda (FMFO), qui a tenu sa 9ème édition du 25 au 29 novembre en ligne, sous le thème “Oujda, carrefour du cinéma maghrébin”. Pour l’Association Ciné-Maghreb, organisatrice de cet évènement, le format digital choisi pour cette année a permis une rencontre. virtuelle avec un large public des pays du Grand Maghreb et au-delà. L’objectif étant de “contribuer à l’animation de la scène artistique maghrébine et au renforcement des liens entre ses peuples et ses cultures”.

Le théâtre en détresse
Personne n’imaginait qu’un jour le rideau tomberait et le théâtre s’arrêterait, les amoureux du père des arts seraient privés du plaisir des spectacles, la voix des dramaturges, qui retentissait sur scène, s’éteindrait et ceux-ci se trouveraient brusquement dans un labyrinthe d’angoisse. Cette année, les dramaturges n’ont célébré ni leur Journée internationale, ni leur Journée nationale. L’état du théâtre n’est pas moins grave que celui des autres arts vivants, qui ne peuvent s’épanouir en l’absence d’un spectacle et d’un espace avec un public en masse, car ils vivent la même situation depuis la propagation de la pandémie.

Si le nouveau coronavirus a inspiré poètes, romanciers, nouvellistes et artistes qui ont écrit, créé et réalisé des œuvres présentant cette période et celle de post-épidémie, il a accablé les dramaturges, les chanteurs et artistes de spectacles, dont les travaux ont été gelés, et qui se sont retrouvés soudainement face à l’inconnu et à un avenir incertain. Cette réalité a affecté le théâtre, dont la fonction ne se limite pas à un simple spectacle joué sur scène uniquement pour le plaisir ou à des activités événementielles qui meublent les programmes de festivals et de manifestations. C’est un art qui procure au dramaturge l’étonnement de la performance et un sentiment d’attachement émotionnel à la scène comme il permet de corriger les défaillances de la société, d’exposer ses problématiques et de les traiter. Il est évident que le Maroc accorde une importance particulière au théâtre en allouant des subventions aux troupes théâtrales, en construisant des théâtres et en organisant un certain nombre de festivals tout au long de l’année dans différentes villes, mais l’impact de la crise s’est avéré plus ample. Les répercussions de la crise ont deux facettes: la première est liée à ce qui est social pour les métiers des arts vivants en général et la seconde porte sur ce qui est culturel et les pertes encourues par le champ de production dans ces arts.

La lecture prend son envol 
Comme il a le pouvoir de ressusciter les mots et les êtres, de résister aux ordalies imprévisibles de l’histoire et l’habitude de mettre flamberge au vent de la modernité et de s’en défendre, le livre, moyen d’accès classique mais incontournable au savoir et à la culture, marque également de son sceau la période de confinement actuelle. Nul ne saurait nier que le nombre de lecteurs diminue chaque année ou que le livre perd de plus en plus de son attrait. L’importance donnée jadis aux livres a été contestée par l’Homme lui-même du fait, entre autres, du progrès technologique et des diversions qui l’ont accompagné.

D’aussi loin que s’en souviennent les historiens, le livre était un moyen de communication et d’expression entre les peuples, les communautés ou encore les individus, etc. Aujourd’hui, aux yeux de la majorité de personnes connectées à Internet, cet attribut n’a presque plus aucune raison d’être, en raison du développement que nous connaissons tous. Cependant, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, nombre d’internautes marocains ont fait de leur confinement une opportunité de donner au livre la valeur qui lui sied en lançant sur les réseaux sociaux le “défi de lecture”, appelé aussi en anglais “book challenge”. En effet, le principe derrière cette initiative consiste, d’après ceux qui ont lancé le défi et ceux qui l’ont en contrepartie accepté, à faire la promotion de la lecture et l’offrir en cadeau, en publiant les couvertures des livres qui les ont marqués, sans explication ni critique.

Se positionnant en porte-à-faux avec les Cassandre qui prévoient la fin du livre, les promoteurs du défi sont en fait des gens de tout acabit. On y décèle (la liste n’est point complète) des professeurs, des étudiants, des journalistes ainsi que des retraités contents de pouvoir exhumer des ouvrages auxquels la générosité du temps accorde davantage d’accès.


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