La chronique de Bichara Khader : Sécurité durable au Maghreb


Bichara Khader
Lundi 24 Mai 2010

L'Institut Thomas More de Paris vient de publier, en avril 2010,  un rapport intitulé « Vers une sécurité durable au Maghreb: une chance pour la région, un engagement pour l'UE ». Ce rapport est basé sur de nombreux entretiens avec des responsables, des acteurs de terrain et des spécialistes de la région ainsi que sur un voyage d'étude au Maghreb réalisé par une équipe de chercheurs interdisciplinaires.
Après avoir rappelé quelques évidences concernant les relations complexes, multidimensionnelles et parfois passionnées entre les pays du Maghreb et l'UE, ainsi que certains défis partagés comme le développement économique, la stabilité régionale, la lutte contre le terrorisme, les auteurs du rapport invitent à une révision des bases mêmes de la coopération Europe-Maghreb, en développant le concept de sécurité durable, concept déjà employé par l'ONU et l'OTAN pour mettre en exergue le besoin de solidité, d'équilibre et de pérennité dans les rapports UE-Maghreb.
Les auteurs soulignent que le Maghreb est en pleine mutation sous le quadruple effet du développement économique mondialisé, de populations majoritairement jeunes, de phénomènes migratoires englobant toute la zone maghrébo-sahalienne ainsi que du mouvement encore timide de réformes politiques et sociales.
Au vu de ces mutations, les rédacteurs du rapport invitent l'UE à adopter une politique pro-active, réviser les bases mêmes de coopération avec la région. J'ai épluché le rapport, dans l'espoir de lire une élaboration plus exhaustive du concept de sécurité durable.
Comment assurer la solidité, l'équilibre et la pérennité dans les relations UE-Maghreb ? Par quels mécanismes ? Quels instruments ? Quelles institutions ? Ma curiosité est demeurée inassouvie. Les rédacteurs du rapport se contentent de conseiller l'UE de s'engager plus vigoureusement sur les questions des droits de l'Homme et de la maîtrise du flux migratoire, et s'investir davantage dans le dialogue inter-maghrébin notamment par la mise en place de lieux de réflexion et d'échanges entre les élites maghrébines et de multiplier les coopérations déjà existantes en matière de lutte contre le terrorisme et contre toutes formes de criminalité, en intégant la dimension maghrébo-sahélienne élargie.
Au Maghreb même, la sécurité durable impose de s'attaquer aux racines des problèmes : les difficultés socio-économiques, le chômage qui affecte toutes les populations et prive les jeunes en particulier de perspectives, mais aussi de redonner vie à la coopération intra-maghrébine, dont l'institution phare « Union du Maghreb Arabe », semble                  paralysée, en raison notamment de ce que le rapport appelle le conflit du « Sahara occidental ». Le rapport considère cette question comme le premier facteur de blocage de l'intégration maghrébine.
Les auteurs du  rapport prônent une solution politique concertrée et estiment que la proposition d'autonomie présentée par le Maroc en 2007 paraît aujourd'hui à la majorité des observateurs, comme la seule option crédible de sortie de crise et constitue, «à condition de rester à l'écoute de tous les acteurs », la base de discussion la plus réaliste pour la poursuite et l'approfondissement des négociations en cours sous l'égide de l'ONU.
Je ne doute pas un seul instant que ce rapport va être taxé, dans certains milieux non-marocains, de  parti-pris. Les auteurs du rapport en sont certes conscients mais dans une interview dans L'Economiste, en date du 10 avril 2010, Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l'Institut Thomas More, rappelle le coût du conflit du Sahara occidental, et la vacuité des argumentaires juridiques et politiques que certains opposent à la thèse marocaine,  pour considérer que la proposition marocaine est la seule proposition crédible aujourd'hui sur la table des discussions et qu'il convient de soutenir « dans une démarche ouverte ». Ainsi, sur la question du Sahara occidental, les rédacteurs du rapport se sont montrés plutôt audacieux.
Concernant la question migratoire, les propositions du rapport ne sortent pas des sentiers battus. La question migratoire devient de plus en plus un sujet de politiques intérieures dans les pays européens et un sujet qui prête à  toutes les instrumentalisations. Il faut par conséquent, affirme le rapport, saisir la question à bras-le-corps et parvenir à une gestion réaliste et concertée avec les pays de départ. Ce qui signifie que l'UE ne doit pas considérer les pays du Maghreb comme de simples boucliers mais comme des partenaires, car « la politique migratoire de l'UE se joue autant à Dakar ou à Bamako qu’aux Canaries ou à Lampedusa ».
Rien de bien nouveau donc : le discours est répétitif et révèle l'incapacité de nombreux think-tanks européens de mener une réflexion innovante qui aille au-delà de la simple gestion des flux migratoires pour imaginer un espace de circulation humaine qui rompe avec la logique de la police à distance.
La troisième question sur laquelle s'attend le rapport porte sur l'intégration maghrébine. C'est presque un cas d'école : la région du Maghreb est la moins intégrée du monde : chaque pays tente de s'arrimer à la locomotive européenne en tournant le dos au voisin. La conclusion est simple et elle vient d'être synthétisée par le Fonds monétaire international : qui attribue la sévérité des conséquences économiques et sociales de la crise mondiale au Maghreb à l'absence de marché régional. Eneko Landaburu, ambassadeur de l'UE, au Maroc, surenchérit en affirmant que même le partenariat UE-Maghreb pâtit de l'absence d'un Maghreb-uni car, affirme-t-il, « il est très difficile d'avoir une intégration et un dialogue entre deux blocs quand un bloc ne fonctionne pas du tout ».
Constater que le Maghreb uni n'existe pas c'est exprimer une évidence. C'est non seulement un « manque à gagner » en termes de coût du non-Maghreb, mais aussi en termes d'attraction pour les investisseurs, affirmait le Financial Times, dans sa livraison de 27 avril 2010.
Le rapport Thomas More sur le Maghreb n'offre aucune recette pour relancer la construction maghrébine, à part cet appel à l'UE pour mettre à la disposition des élites maghrébines, des espaces de réflexion et de dialogue. Malheureusement, le blocage intra-maghrébin dépasse de loin les élites et touche au cœur même de la géopolitique maghrébine ou du moins à la perception qu'en ont les dirigeants des grands pays maghrébins. La sécurité durable du Maghreb passe par l'intégration, perçue comme une mesure d'apaisement politique et une fenêtre d'opportunité économique.
Tout le monde le sait et le dit, mais il y a loin de la coupe aux lèvres.


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