C'est en recevant la semaine passée à Fès la plus haute distinction du Royaume, après un demi-siècle à la tête de la Fédération royale marocaine de tennis, que Si Mjid a eu ces mots. Retarder le grand départ pour continuer d'agir, courir, travailler, venir en aide.
L'humour, l'ironie, cette forme polie du désespoir est un signe distinctif chez le personnage. Il n'a jamais mâché ses mots. Encore moins en présence des grands, des puissants, des forcément arrogants parce qu'au pouvoir. « Servir, c'est accepter de ne pas plaire. On ne peut pas servir et plaire », a-t-il coutume de dire. Ce samedi 11 avril, à l'occasion de l'hommage qui lui a été rendu à Casablanca, à l'occasion de la 25ème édition du Grand Prix Hassan II de Tennis, le Président n'a pas failli à la règle : il trouvera le moyen d'épingler les élus, présents dans la salle… Directeur de nos consciences, et fier de l'être !
Mohamed Mjid est polyglotte mais déteste la langue de bois. Ces sorties médiatiques ont toujours fait trembler les politiques. Acide, vitriol, il promène un regard désabusé sur le PPM, le paysage politique marocain. Lui qui a partagé la cellule de Mehdi BenBarka, en ces temps où il ne faisait pas bon de lutter contre l'occupant, il a gardé intacts ses rêves de dignité, de liberté, de démocratie. Il ne dit pas « je suis patriote ». Il dit plutôt « j'aime mon pays, parce que c'est le mien et que j'ai toutes les raisons de l'aimer ». Il dit aussi et à voix très haute que les citoyens ont droit à une vie meilleure, à la dignité, au respect.
Mais jamais il ne se mettra en avant, ne fera sa promotion. Dans la plus grande des discrétions, loin des sunlights, l'immense Mjid est venu en aide -et c'est loin d'être une expression consacrée- à la veuve et à l'orphelin. Mais aussi aux plus démunis, ceux à la marge, livrés à la précarité, à tous ces oubliés des politiques de développement. Et ce samedi soir, dans un palace casablancais, il a tenu à associer à sa joie des jeunes du quartier de Sidi Moumen conviés à l'hommage, au même titre que les VIP, les artistes, les ONG, les sportifs.
Le doyen de la société civile adore les jeunes -ces futurs vieux, pour le citer- et ils le lui rendent bien. Les jeunes des associations de quartier, les étudiants, les jeunes chefs d'entreprise, les journalistes débutants, ils sont nombreux à lui vouer une profonde admiration, presque un culte. Il a accompagné des premiers pas, donné leur chance à des jeunes qui en voulaient, contribué aux études de plusieurs. Très peu le savent, parce que Mjid n'en parle jamais.
« Un hommage mérité, une vie au service des autres », chuchote Pierrette, son épouse. Cela s'est fait parfois, souvent, au détriment de la vie de famille. Parce que Mohamed Mjid appartient aussi et surtout à tous les autres, ceux et celles qui ont toujours eu besoin de lui, de sa présence, de ses interventions, de son coup de pouce et de sa capacité magique, exceptionnelle d'ouvrir les portes cadenassées de citadelles imprenables. «Mais si c'était à refaire, je le referais », lâche Pierrette dans un immense sourire, les joues roses de plaisir.
Mohamed Mjid n'a jamais réclamé sa carte de résistant. Pas le temps. « C'est à ma femme qu'il faudra un jour la donner. Me résister est un vrai exploit ». Et dans la bouche de Si Mjid, c'est une vraie déclaration d'amour.
Ce samedi soir, ses petites-filles ont fait le voyage depuis New York pour assister à l'hommage de leur grand-père. « C'est mon modèle, le meilleur des grands-pères. Je veux lui ressembler », a écrit la plus jeune dans une rédaction. De l'autre côté de l'Atlantique, une petite fille de 12-13 ans qui n'a qu'une seule idole, son grand-père, Mohammed Mjid.