L’arroseur arrosé


Hassan Bentaleb
Jeudi 30 Mars 2023

L’Union européenne a bien sa part dans le bafouement des droits de l’Homme

2 25.533 est le nombre des pushbacks enregistré en 2022 aux frontières maritimes sud-européennes, soit près de 617 opérations par jour, révèle une enquête récente de la plateforme néerlandise 11.11.11. Rien qu'en janvier dernier, 1.881 refoulements ont été signalés en mer entre la Grèce et la Turquie, soit une hausse de 64% par rapport à janvier de l'année dernière.

Pratiques illégales et systématiques
Selon cette même enquête, ces pratiques illégales sont devenues systématiques dans la gestion des frontières de tous les Etats membres situés aux frontières extérieures de l'Europe, et ce depuis plusieurs années. Les rédacteurs de ladite enquête précisent, cependant, que les chiffres dévoilés ne constituent que la partie visible de l'iceberg puisque la plupart des refoulements se passent inaperçus en mer ou dans des régions frontalières éloignées. Toujours selon la platforme 11.11.11, ces pushbacks causent des drames humains et de la violence comme ce fut le cas, à titre d’exemple, de Maria, une fillette syrienne de 5 ans, qui a été emmenée avec sa famille de la Grèce vers une île isolée et abandonnée par les gardes-frontières. « Sans eau, sans nourriture ni soins médicaux, Maria est décédée après avoir été piquée par un scorpion, malgré de multiples appels à l'aide médicale », ont rapporté des journaux. « En plus de Maria, deux autres hommes de son groupe ont été tués. Nos décomptes montrent qu'au moins 77 personnes sont mortes à la suite de refoulements illégaux », dénonce l’enquête en question.

Déni des obligations internationales
Mais que veut dire les « pushbacks » ? Selon le Rapporteur spécial sur les droits de l'Homme des migrants, Felipe González Morales, il n’existe pas une définition internationale mais ces pratiques sont considérées comme "diverses mesures prises par les Etats qui ont pour conséquence que les migrants, y compris les demandeurs d'asile, sont sommairement renvoyés de force dans le pays où ils ont tenté de traverser ou ont traversé une frontière internationale sans avoir accès à la protection internationale ou aux procédures d'asile ou sans qu'il ne soit procédé à une évaluation individuelle de leurs besoins de protection, ce qui peut entraîner une violation du principe de non-refoulement". Pour lui, ces pratiques de «pushbacks»« démontrent un déni de l'obligation internationale de l'Etat de protéger les droits de l'Homme des migrants aux frontières internationales en expliquant que les «pushbacks» entraînent des violations des droits de l'Homme telles que des retours forcés sans évaluation individuelle et souvent des expulsions collectives avec un risque élevé de refoulement, y compris le refoulement en chaîne».
Il a appelé notamment les Etats membres à mettre fin aux pratiques de refoulement, à respecter pleinement l'interdiction des expulsions collectives et à défendre le principe de non-refoulement. M. González Morales a déjà relevé dans son rapport un certain nombre de tendances mondiales inquiétantes, en particulier la militarisation des patrouilles frontalières; la conclusion d’accords bilatéraux et multilatéraux qui sont parfois utilisés pour contourner les obligations étatiques en matière de droits de l'Homme ou pour entériner des renvois de migrants sans garanties individuelles ; ainsi que la délégation de la gouvernance des frontières et des procédures d'entrée à des Etats coopérants. A cet égard, le Rapporteur spécial a fait remarquer que les migrants détenus dans des centres de traitement extraterritoriaux accèdent difficilement aux garanties d'une procédure individualisée et d'un recours judiciaire. M. González Morales a en outre mis en garde contre les refoulements en mer, qui mettent en danger la vie de milliers de migrants et ont conduit à la mort tragique de beaucoup d'entre eux, y compris des femmes et des enfants.

UE, complice
Mais ces pratiques illégales et anti-droits des migrants ne sont pas le panache des seuls Etats membres, elles sont également observées dans la politique de migration de l’UE. Selon une mission d’enquête de l’ONU, l’UE «a aidé et encouragé» les crimes des autorités libyennes contre les migrants. Un nouveau rapport de l’ONU sera publié et présenté au Conseil des droits de l’Homme cette semaine. Il révèle que des crimes contre l’humanité auraient été perpétrés contre des migrants dans des centres de détention.
Selon ladite mission d’enquête, l’UE et les Etats membres ont soutenu et formé les gardes-côtes libyens, qui renvoient les migrants dans des centres de détention. Ils ont également financé des programmes de gestion des frontières libyennes.
La mission de l’ONU a déclaré que des milices ont commis des meurtres, des viols, des actes de réduction en esclavage, des exécutions judiciaires et des disparitions forcées. «Les violations et les abus sur lesquels enquête la mission étaient principalement liés à la consolidation du pouvoir et de la richesse par les milices et d’autres groupes affiliés à l’Etat», indique le rapport. Et de préciser que «la traite, l’esclavage, le travail forcé, l’emprisonnement, l’extorsion et le trafic de migrants vulnérables ont généré des revenus importants pour les individus, les groupes et les institutions étatiques».
Selon le site middleeasteye.net, l’UE a été critiquée en 2022 pour avoir utilisé un drone en vue d’aider les forces libyennes à intercepter des bateaux transportant des migrants en Méditerranée. Le drone, qui opérait à partir de Malte, membre de l’UE, a joué un «rôle crucial» dans la détection des bateaux quittant la Libye, une information que l’agence frontalière de l’UE, Frontex, transmet ensuite aux gardes-côtes libyens, a déclaré HRW. Et d’ajouter que « Frontex affirme que la surveillance est destinée à aider au sauvetage, mais les informations facilitent les interceptions et les retours en Libye... [malgré] des preuves accablantes de torture et d’exploitation de migrants et de réfugiés en Libye», a annoncé HRW dans un communiqué. 

 


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