La lettre comme jeu de l'imagination
Plasticien avant tout, Khalid Bayi est un vrai créatif à plusieurs facettes (peinture, sculpture, calligraphie, décoration d'intérieur, décoration d'objet, design graphique, multimédia) et en quête d'idéal. Il est comme un oiseau de toutes les couleurs sur la branche, un artiste qui interroge les possibilités d'une écriture spatio-temporelle. Il théâtralise ses racines et sa mémoire culturelle plurielle et interpelle le monde contemporain dans une tentative de revisiter les codes créatifs de la communication, à l'expression artistique lyrique, mais combien poétique et convaincante : «La lettre pour moi est un jeu de l'imagination, un recours intuitif et un appel éloquent à la liberté. Elle est le commencement des commencements. C'est un art de manier avec un tel don les signes abstraits. J'essaie à ma manière de contribuer au rayonnement des arts plastiques au Maroc marqués par la diversité et l'adhésion aux valeurs universelles de l'art», confie-t-il à Libé.
La lettre chez Khalid Bayi (vit et travaille à Casablanca en qualité de décorateur à 2M) est dépouillée jusqu'à l'essentiel dans l'immensité de l'espace pictural. Elle délivre un exceptionnel message de générosité et d'abondance. Ainsi la toile est fécondée par l'élément pur d'une polyphonie rythmique, car elle est au diapason des musiques du monde. Loin d'être un calligraphe au sens lexical du terme (le scribe qui a une belle écriture), Bayi dépasse les gestes de tracé de lettres selon les canons déterminés, en intériorisant le conseil donné par Paul Klee à ses étudiants : «L'homme n'est pas fini. Il faut rester en éveil, être ouvert, être devant la vie comme l'enfant qui se lève, un enfant de la création, du créateur». La toile déborde les frontières du champ calligraphique et met en relief l'esthétique et la sensibilité de la lettre. Elle véhicule tout un complexe de significations indissolublement liées aux valeurs pictographiques propres à la culture visuelle. Merveilleux pouvoir de séduction, l'acte pictural chez Bayi est un champ authentique du désir. L'artiste poursuit avec passion la quête de la double identité, celle de plasticien et celle de Marocain. Pour lui, l'art doit aboutir à des conclusions hardiment nouvelles, voire révolutionnaires en un sens. La composition de la toile assure l'autonomie du motif peint par rapport à la surface picturale, ce qui permet à la lettre de signifier par soi, de témoigner de sa propre valeur, en bref de se constituer en langage plastique autonome. La lettre est totalement soumise à des principes abstraits. Nous sommes donc en présence d'une structure non pas statique mais dynamique, une matrice génératrice de toute une combinaison de formes. Les éléments iconographiques ne peuvent être décrits comme des unités séparées, des entités discrètes. La peinture est la trace symbolique, la matérialisation des états d'âme. La fascination qu'exercent les lettres-signes dans toute son oeuvre et la dimension spirituelle de nombre de ses toiles ne permettent pas d'en douter. La plasticité de la lettre se veut un signe constitutif d'un langage pictural d'une surprenante modernité. Ce qui constitue en fin de compte l'originalité et la valeur intrinsèque. Au-delà de la faculté de la décoration, Bayi opte pour de nouvelles voies de la contemplation et donc la création esthétique. La caractéristique la plus constante de l'art est sa totale liberté. Cette liberté souveraine fait que n'importe quel élément graphique peut être développé dans n'importe quelle direction, qu'il n'y a ni commencement ni fin, qu'il n'y a pas d'autre limite que la volonté de l'artiste. L'art laisse la liberté de l'interprétation et pose le problème crucial du rapport entre le visible et sa signification. Le tableau se veut un système de signes, toute une symbolique. A aucun moment, le récepteur averti n'est enfermé dans le carcan d'une vision unidimensionnelle. Dans ses oeuvres récentes, Bayi inscrit avec soin la possibilité d'ouvrir d'autres voies au-delà de l'option figée entre les deux pôles de la tradition et de la modernité, voies faites de modernité, celle de la peinture connotative.