Janka Nabay, de l'obscurité de la guerre civile sierra-léonaise à la lumière américaine

Mon inspiration porte sur la liberté, l'indépendance et l'égalité


Mardi 12 Décembre 2017

 Le Sierra Léonais Janka Nabay a électrisé le festival de musiques actuelles de Rennes, en France, de sa pop imprégnée de musique ancestrale, à l'issue d'un douloureux parcours: de l'atroce guerre civile à la précarité aux Etats-Unis avant de renouer avec le succès.
A 51 ans, son visage émacié encadré de dreadlocks de rasta musulman dit sa fierté de se produire aux Trans Musicales, festival international de musiques actuelles à Rennes (nord-ouest) et de défendre la culture africaine dans la mondialisation. "Mon inspiration porte sur la liberté, l'indépendance et l'égalité", plaide-t-il gravement à l'AFP.
Dans une salle exiguë, ceint d'une jupe traditionnelle en raphia et accompagné de son "bubu gang" (le bubu est une musique traditionnelle rythmant jadis les rites de sorcellerie), il encourage 230 enfants des centres de loisirs à danser sur son électro endiablée. "T'es pas fatigué, va danser! T'es fatigué, va danser!".
"Les enfants ont aimé ma musique sans comprendre les paroles, c'est la musique sans frontières!", confie-t-il, louant l'accent mis par les Trans sur la variété des langues. Son répertoire est en langues locales -temini, lemba, marday, crio- et...anglais.  Plus tard, devant des adultes, il apparaîtra toujours vibrant, nerveux, vêtu d'un boubou jaune et d'une cape de léopard incrustée de coquillages.
Dès 14 ans il jouait du Bob Marley au village. Il produit son premier album à 19 ans. Surnommé le "Bubu king", il devient une célébrité en Sierra Leone.
Avant le basculement dans la guerre civile en 1991: "Plus moyen de vendre la musique, de faire des concerts pour avoir de l'argent. Comment faire de la musique pour stopper la guerre civile", se demande-t-il.
Il se rend à l'Alliance Française. "La France m'a aidé", lance-t-il, reconnaissant. Il avait reçu alors d'un responsable de l'Alliance une aide financière pour la promotion de son talent.
Dans les années 90, au milieu de ce conflit qui devait faire quelque 120.000 morts, il sort son air "Sabanoh" qu'il traduit par "c'est chez nous ici". "Les soldats, le peuple, les rebelles aimaient ma musique", se rappelle-t-il.
En 1998, à Freetown, alors que le gouvernement l'accuse d'être pro-rebelles, il manque d'être exécuté. Un paramilitaire le sauve: "Il est notre chanteur, pas un rebelle".
Il "devient le premier DJ dans une radio de l'ONU en Sierra Leone" et compose plusieurs "chansons pour la paix". Il croit à un islam de paix, loin des doctrines de la vengeance.
Ces chansons "ont amené tout le monde à parler de paix et à aller à Lomé", où seront signés en 1999 les accords entre le gouvernement et la rébellion, se félicite-t-il.
Après qu'un ami aux Etats-Unis lui a envoyé de l'argent pour acquérir un passeport, il part discrètement en voiture pour la Guinée et le Mali. Il obtient un visa de trois ans pour les USA.
Le débarquement en mai 2001 à l'aéroport JFK de New York sera un choc: "Je n'avais pas vu de lumières en huit ans", raconte-t-il.
Il a quitté l'Afrique sans ses cassettes. "Je n'avais pas d'affaires, juste un pantalon, pas un numéro de téléphone, Janka Nabay était mort, pensait-on. Je n'avais plus confiance, j'étais malade de ne plus jouer de musique depuis longtemps. Ils me croyaient antillais et non africain".
Précaire, il attendra 2004 pour obtenir un permis de travail. "Je me demandais comment je pouvais jouer de la musique dans ce pays!". Il lavera des voitures et camions au jet, puis travaillera à Philadelphie chez un vendeur afghan de poulets rôtis.
Un certain William Glassfield, féru de musiques africaines et qui avait aimé ses cassettes, ira l'y dénicher, le fera jouer au club Zebulon de Brooklyn. Il enregistrera pour le label True Panther: fin d'une longue traversée du désert.
Depuis octobre 2017, Janka est revenu en Sierra Leone, a fait bâtir une belle maison.
"Je veux être dans la légalité. Ma meilleure décision a été de revenir en Afrique", assure celui qui entend reconstituer au pays son "Bubu gang".


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