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Hassan a débarqué en France en 2001, avec une petite valise et beaucoup de rêves. Il a choisi de faire du Droit dans l'une des plus prestigieuses universités au monde : Montpellier 1, héritière de l'Université de Montpellier fondée en 1289. Hassan a choisi cette ville par hasard. Il a envoyé une demande d'inscription à cinq universités françaises, seul Montpellier a accepté sa demande. Il est ravi. Il a succombé au charme de cette ville chaleureuse et cosmopolite. La cité présente une longue et riche tradition universitaire. Son université est l'une des toutes premières fondées en France (13ème siècle) et sa faculté de médecine peut se prévaloir d'être la plus ancienne du monde occidental.
Montpellier accueille sur son territoire environ 93.000 étudiants répartis dans plus de soixante-dix établissements d'enseignement supérieur (universités, instituts, écoles et lycées publics ou privés), ce qui la place au troisième rang par rapport au nombre d'étudiants au niveau de la population totale. Les étudiants étrangers venant suivre leurs études à Montpellier constituent 11% en moyenne, et jusqu'à 20% dans certains établissements.
Devant le portail de la préfecture, on trouve un jeune homme en uniforme bleu et au sourire courtois. Un gardien de paix d'origine maghrébine qui contrôle les usages avec un détecteur de métaux. Depuis les attentats de 2001, les mesures de sécurité devant les bâtiments publics sont devenus de plus en plus draconiennes.
Une fois le portail franchi, une file humaine interminable se dessine. Des étudiants de diverses nationalités se serrent les uns derrière les autres. Ils sont venus de partout: Maghreb, Afrique Noire, Europe de l'Est, Asie, pays arabes et Golfe. Les étudiants chinois sont présents en masse. Depuis les années 2000, ils sont 700 étudiants à débarquer chaque année.
Dans la file d'attente, il y a quelques étudiants marocains. Leur nombre est depuis quelques années en chute libre, à cause des conditions sévères d'octroi du visa.
Hassan fait la queue. Devant lui, il y a vingt ou trente étudiants. Certains sont là depuis 10h00. Il sort son portable, il a quatre appels en absence. C'est son employeur; peut-être il le cherche pour un remplacement. Il regarde ce numéro avec indifférence, range son portable dans sa poche et sort son Ipod. Un peu de musique pourra lui faire du bien. Il est 13h00, la file commence à grossir. Des dizaines d'étudiants arrivent en masse. Certains d'entre eux encouragent la pagaille. Pour Hassan : « Ces étudiants reflètent la mentalité de sous-développement, alors comment expliquer qu'ils respectent la queue à la poste, dans les autres administrations et pas ici ? » Tout le monde veut être le premier à atteindre le distributeur automatique, car il accorde seulement 100 tickets par jour, et tant pis pour le reste. C'est pourquoi les étudiants se pressent pour prendre leur tour.
Le titre de séjour est une carte temporaire, valable pour une durée maximale d'un an renouvelable. La demande du titre doit être présentée par l'intéressé dans les deux mois suivant son entrée en France. Il donne droit au travail, aux allocations de logement, à la sécurité sociale et aux études. Toute la vie des étudiants étrangers tourne autour de ce sésame.
Depuis l'arrivée de Sarkozy au ministère de l’Intérieur en 2003, les conditions d'obtention du titre de séjour sont devenues de plus en plus compliquées, et l'administration est plus rigoureuse. Avant, les étudiants étrangers avaient le droit de redoubler à l'infini, de changer de cursus universitaire voire d'université. Bref, il y avait beaucoup de souplesse et de liberté. Aziz, 27 ans, étudiant en histoire, affirme : « Personnellement, j'ai fait un peu de droit, de littérature, de gestion, de sociologie. Bref, chaque année je change de cursus universitaire, et parfois je change même d'université. Entre nous, les études pour moi, c'est seulement pour avoir un titre de séjour».Avec l'arrivée de Sarkozy, on se focalise trop sur le parcours scolaire des étudiants étrangers. On vérifie les bulletins scolaires et les relevés bancaires. On est devenu sévère avec les redoublants et les récidivistes. « La dernière fois que j'ai déposé mon dossier de renouvellement, il a pris du retard. Quand je me suis renseigné, ils m'ont répondu qu'ils ont des doutes sur mes relevés bancaires et m'ont averti que c'est ma dernière chance, puisque j'ai raté ma licence en droit l'année dernière », déclare avec amertume Saïd, 25 ans, étudiant en droit.
Cette politique a condamné plusieurs étudiants à vivre dans la peur et l'inquiétude. Certains ont déjà quitté les bancs de l'université pour vivre dans la clandestinité ou s'engager dans des mariages arrangés. Sami, 28 ans, étudiant en expertise comptable, a fait les frais de cette politique : « Je suis arrivé en France en 2001, pour étudier l'expertise comptable. Comme le mode d'enseignement de cette discipline est souple, c'est-à-dire qu’on peut passer d'une année à l’autre, sans devoir réussir chaque année, mais pour obtenir son diplôme, il faut le valider dans toutes les matières. Je fais ce que je peux et chaque année apporte son lot de réussite.
Parfois je valide une ou deux matières, parfois rien, jusqu'au jour où j’ai reçu une décision préfectorale qui me donne un délai de 15 jours pour quitter le territoire français. J'ai fait recours devant le tribunal administrative, mais, sans résultat », déclare Sami. Depuis, il s’est volatilisé dans la nature. Il vit clandestinement chez des proches dans l'un de villages de Montpellier. Devant Hassan, il y avait Ahmed, son ancien colocataire, un étudiant en expertise comptable. Visage ferme, il s'approche du guichet.
Il a déposé son dossier, il y a déjà deux mois. Il commence à se faire des soucis. Derrière les vitres du guichet, il y a une femme, une quadragénaire, qui parle peu et sourit rarement. Ahmed a peur. Depuis quelques mois une rumeur circule parmi les étudiants étrangers : les services du titre de séjour ont refusé plusieurs dossiers de renouvellement et le préfet a expulsé vers les frontières de nombreux étudiants étrangers. Ahmed veut rentrer au Maroc pour fêter l'Aïd El Kébir. Il a raté sa 1ère année en Master. Son bulletin universitaire brille par ses échecs consécutifs. Il sait d'avance que cette fois, ça ne va pas marcher.
Ahmed tend son passeport à la dame au guichet. Après quelques minutes, elle lui demande : « Vous n'avez pas reçu un courrier de la préfecture ? ». « Non », a-t-il répondu. « Pourtant, un arrêté préfectoral vous a été envoyé il y a à peu près un mois pour vous demander de quitter le territoire ». Ahmed a la tête qui tourne. La surprise est lourde à supporter. Il a la rage au ventre. Il a envie de tout casser, mais il ne peut rien faire. Il prend son mal en patience. Il demande à la dame ce qu'il peut faire maintenant. Elle lui a répondu sèchement : « C'est votre problème». Hassan ne trouve pas les mots pour consoler son compatriote. Ahmed semble lui aussi hors de lui. Il se dirige vers la porte de sortie, les larmes aux yeux et le chagrin au cœur. C'est au tour de Hassan. Il est calme et serein. Avec ses cheveux longs et sa barbe, il a l'air d'un Latino-américain. Ses amis l'appellent le Che. Il a un parcours universitaire exemplaire. Il a raté seulement sa première année de droit. Maintenant il est en 2ème année de Master.
Il est la fierté de sa famille. Il pense passer le CAPA (Certificat d'aptitude à la profession d'avocat) l'année prochaine.
Il rêve d'être avocat. La dame au guichet a jeté un regard rapide sur le dossier. Il a suffi de quelques minutes pour régler l'affaire. Son dossier est clean. Il a remercié la dame, et s'est dirigé vers le quartier Gambetta. Il a envie de manger un kebab.
Il n'a maintenant qu'un souhait : que son dossier soit traité le plus vite possible, car il risque son boulot, son logement, son inscription à la faculté de droit, et peut-être son séjour en France.