Immigration : Par-delà le drame de Lampedusa


Par Marietta Karamanli et Yves Pascouau *
Lundi 6 Janvier 2014

Immigration : Par-delà  le drame de Lampedusa
Selon de récentes estimations établies à partir d’articles de presse, environ 19 000 personnes sont décédées, depuis une vingtaine d’années, aux portes de l’Europe en tentant d’atteindre les rives de celle-ci à partir des côtes opposées de la Méditerranée.
La tragédie qui s’est déroulée à Lampedusa constitue à sa façon une escalade nouvelle dans l’horreur par le nombre de morts et par la réalité à laquelle elle renvoie.
Crises politiques et guerres, misère économique, refus des regroupements familiaux, désir, parfois illusoire, d’un avenir meilleur conduisent de nombreux étrangers à quitter leur pays et, après un parcours qui peut durer des années, à tenter d’atteindre l’Europe, naufragés d’une immigration volontaire qui va «échouer» là où devrait pouvoir commencer une nouvelle vie.
Les constats établis (par des enquêtes ou des témoignages) montrent qu’avant de devenir les victimes d’une Europe qui cherche en la matière à concilier droits de l’homme et sécurité à ses frontières, ces immigrants ont pu vivre l’enfer dans le désert, la souffrance de l’attente du départ, la violence du travail forcé pour payer, tronçon par tronçon, leur périple.
La réponse à la question «Que faire ?» paraît évidente : sauver ceux qui sont victimes des réseaux de traite des étrangers ; arrêter les trafiquants, passeurs, receleurs de l’argent volé et des vies mises volontairement en danger avec le consentement du désespoir des victimes et démanteler les réseaux; accueillir et insérer les nouveaux arrivants et faire droit aux demandeurs d’asile.
 
Les questions posées 
aux Etats et à l’Union 
européenne
Face à l’afflux des immigrants, les Etats qui sont en première ligne sont confrontés à trois problèmes majeurs.
Comment accueillir dignement les personnes candidates à l’immigration ? Si elles vivent toutes des tragédies à des degrés divers, leurs raisons de quitter leur pays d’origine sont différentes. Certaines relèvent bien de l’asile politique, d’autres sont mues par des considérations personnelles toutes dignes d’intérêt et d’empathie mais qui ne relèvent en aucune sorte des raisons légales leur permettant de s’installer dans un des pays européens. Logiquement, aucun pays ne souhaite à lui seul accepter toute l’immigration concernée. Selon l’accord dit de Dublin II, la personne immigrée et en situation illégale doit retourner dans l’Etat par lequel elle est entrée dans l’Union ; dans ces conditions, le fait d’être un pays du Sud, au bord de la Méditerranée, n’a rien à voir avec celui d’être un pays du Nord de l’Europe. Pour ne prendre que le cas de la Grèce, sa position est déterminée par le fait qu’elle connaît un flux continu d’arrivée de migrants par la mer.
80% des étrangers en situation irrégulière interpellés dans tout l’espace Schengen entre 2010 et 2012 avaient d’abord mis le pied en Grèce. Depuis plusieurs années, la presse fait constamment état de naufrages, de records en termes d’arrivées illégales, de grèves de la faim de clandestins demandant à être arrêtés (?!). Rien de tel pour les pays d’Europe du Nord !
S’agissant des personnes demandant l’asile, elles doivent pouvoir faire valoir leurs droits dans des conditions d’équité et dans un délai raisonnable, permettant un examen au plus juste de leur demande. Chaque Etat doit alors déterminer ce qu’il entend être un pays tiers «sûr» dans lequel le migrant n’encourt pas, sauf circonstance particulière, de risque disproportionné. D’où la difficulté : les différents Etats n’ont pas la même appréciation de ce que sont ces Etats sûrs et leurs listes, pour autant qu’elles sont proches, restent différentes.
Concernant l’immigration économique, aucune règle commune n’est fixée. Les Etats européens, et notamment ceux de l’Europe du Sud en situation de «stress» économique et souvent social, ne sont guère enclins à faire une part choisie à cette main-d’œuvre sans statut ; il existe une pression sur la rémunération des salariés qui conduit ces mêmes Etats à vouloir réguler plus fortement l’immigration et à limiter l’ouverture de leur espace économique.
 
Des initiatives 
à poursuivre 
et concrétiser
Dire que rien n’est fait serait erroné. Chaque acte concret allant dans le sens du droit international et des droits des individus doit être signalé et doit constituer le palier à partir duquel une marche supplémentaire sera franchie.
Suite aux drames les plus récents, plusieurs initiatives européennes font l’objet d’un réexamen en vue de les mettre en place de façon rapide et d’en améliorer l’efficacité.
La mise en place du système européen de surveillance des frontières – Eurosur – est en cours. Fondé sur un échange d’informations en temps réel entre les autorités nationales de surveillance des frontières, il vise à coordonner les interventions. Le principe de ce dispositif est celui du «non refoulement» des migrants là où leur vie ou leurs libertés seraient menacées.
Une force d’intervention a été créée par la Commission européenne pour permettre des missions de sauvetage et de sécurité en mer entre l’Espagne et Chypre, ainsi que des missions de protection des personnes et de sécurité des Etats.
Concernant le sauvetage en mer, un accord paraît avoir été trouvé au niveau du comité des représentants permanents des Etats membres, fondé sur les principes du droit international. Le sort des personnes naufragées resterait de la compétence des Etats nationaux avec une coopération liée au bateau portant secours. Une nouvelle étape de négociations s’ouvre donc en cette fin d’année 2013.
Par ailleurs, la réforme du régime d’asile commune européen est en cours. La commission des lois de l’Assemblée nationale, saisie pour avis, a eu à se prononcer sur ce projet. Elle s’est félicitée des garanties proposées, a rappelé la nécessité de maîtriser les délais d’examen, s’est prononcée pour un recours suspensif limité au cas où le refus d’une protection et la mesure d’éloignement l’empêcheraient de faire valoir ses droits, s’est déclarée favorable à une liste nationale des pays sûrs tant qu’une liste commune ne peut être établie. Elle a aussi attiré l’attention sur les moyens nécessaires pour rendre effectifs ces droits et garanties.
Ces progrès, nous devons nous en féliciter. Mais nous pouvons regretter la lenteur des accords préalables. Nous devons nous engager sur des délais de mise en œuvre et des moyens adaptés. Nous avons l’obligation de les suivre pour qu’ils deviennent et restent opérationnels. Nous devrons, par la suite, interroger leur effectivité et leur efficacité.
Mais nous ne pouvons les ignorer.
Croire qu’une seule instance, fût-elle le Conseil européen, puisse décider en une fois pour un ensemble d’Etats dont les situations objectives sont si différentes est illusoire.
Parallèlement, il n’échappe à personne que, si l’idéologie dominante au sein de l’Union est celle d’une concurrence économique entre Etats sur un même marché, les Etats quant à eux gardent «la main» sur les sujets d’ordre public et de sécurité.
Il faudra donc du temps pour faire évoluer les choses. Il faudra aussi de la solidarité pour que certains pays aient le sentiment de ne pas représenter seulement une partie du marché intérieur mais aussi une frontière politique et administrative et une porte d’entrée des droits de l’homme dans un espace sécurisé. A ce titre, l’immigration de masse notamment par les voies maritimes doit être reconnue comme étant un enjeu en tant que tel.
 
Les mêmes frontières, 
une même solidarité
Le 23 octobre dernier, après les récentes tragédies de Lampedusa et de Malte, plusieurs représentants des groupes parlementaires socialistes et progressistes se sont réunis à Bruxelles, afin de discuter d’actions communes en matière d’immigration et de droit d’asile dans l’Union.
L’ensemble des responsables présents a signé une déclaration conjointe rappelant que les frontières des pays du Sud de l’Europe sont les frontières de l’Europe.
Ils se sont prononcés pour une réévaluation des politiques d’asile et d’immigration de l’Union. Cette politique doit se fonder sur le postulat que nos frontières extérieures, qu’elles soient maritimes ou terrestres, sont les frontières de tous et qu’elles doivent être gérées sur la base d’une solidarité réelle entre Etats membres, comme le garantit l’article 80 du traité de l’Union européenne.
Ils ont demandé un approfondissement de la coopération au service du développement avec les pays tiers et de la lutte contre la traite des êtres humains.
Sur ces trois points –gestion plus solidaire des frontières, coopération en matière de développement et lutte contre les réseaux mafieux–, les partis représentés ont appelé à une «nouvelle feuille de route» sur ces questions importantes et difficiles.
Emile Durkheim disait : «Il ne suffit (...) pas que les sentiments soient forts, il faut qu’ils soient précis». Je suis convaincue que le travail collectif consiste non seulement à proclamer des principes mais aussi à en préciser et en réaliser l’application. A chacun, à l’endroit où il se trouve, d’y contribuer.
 
Le Conseil européen 
au lendemain de 
Lampedusa : «Bonjour 
tristesse»
Au lendemain de la tragédie de Lampedusa, l’émotion politique était à son comble. Le président de la Commission européenne avouait qu’il n’oublierait jamais cette image de centaines de cercueils et soulignait que l’Union européenne ne pouvait accepter que des milliers de personnes meurent à ses frontières. Le président du Conseil italien annonçait l’organisation de funérailles nationales. Le président français proposait de son côté une nouvelle politique s’articulant autour du triptyque «prévention, solidarité, protection».
Dans ce contexte, les leaders européens convenaient d’avoir un échange de vues lors du Conseil européen d’octobre 2013.
 
Des espoirs déçus
Face aux tragédies successives observées aux frontières de l’Union européenne, le Conseil européen devait être l’occasion d’apporter des réponses aux drames humains qui surviennent de manière trop régulière, principalement en mer Méditerranée. Il faut immédiatement convenir qu’il n’y est pas parvenu. Si le Conseil européen «se déclare profondément attristé par la mort récente et tragique de centaines de personnes en Méditerranée» et entend agir «avec détermination», l’observateur ne peut cacher à son tour son immense tristesse face à la vacuité des mesures proposées. Plus qu’une occasion manquée, ce Conseil a marqué, une fois de plus, le refus des Etats membres de prendre en commun des mesures pour mettre un terme aux drames humains qui secouent la frontière extérieure de l’Union.
Au-delà des condoléances et promesses diverses, les familles de victimes et les habitants des îles méditerranéennes qui tentent d’accueillir avec humanité ces destins brisés ne trouveront pas dans les conclusions du Conseil européen réponse à leurs attentes. Rien qui ne permette d’empêcher concrètement les candidats à l’exil à prendre place sur des embarcations surpeuplées ou de fortune. Rien de concret non plus qui n’autorise les habitants de Lampedusa et d’ailleurs à espérer une amélioration et surtout la fin de ces drames en série.
 
Ne rien faire 
ou plutôt faire 
du neuf avec du vieux
Ces espoirs, loin d’être antinomiques, imposaient deux actions prioritaires. La première concernait l’adoption d’un règlement visant à définir les règles et procédures en matière de sauvetage et de débarquement dans les opérations conjointes coordonnées par l’agence Frontex. D’une importance cardinale, ce règlement aurait dû être adopté depuis de longues semaines en exécution d’un arrêt de la Cour de justice. Or, certains Etats, et en particulier ceux de la rive méditerranéenne, s’y opposent. Ils soulignent en particulier que l’Union européenne n’est pas compétente dans le domaine du sauvetage. Cette approche est surprenante. Ce sont les mêmes Etats qui publiquement soulignent leur grande tristesse et qui, dans le secret des délibérations du Conseil des ministres, s’opposent à l’adoption d’un texte dont l’application permettrait concrètement de sauver des vies en mer. Cette position est en outre juridiquement fragile puisque l’Union est en droit d’imposer à l’agence Frontex de respecter les droits découlant de la Charte des droits fondamentaux, en particulier le droit à la vie et le principe de non-refoulement, dans les opérations conjointes qu’elle coordonne. Enfin, on comprend mal pourquoi les Etats refusent de consacrer au niveau de l’Union des règles qu’ils appliquent et qui leur permettent de sauver des vies dans le cadre d’opérations nationales.
La deuxième action prioritaire imposait le développement d’une véritable politique de protection des réfugiés et d’une véritable politique d’immigration. Tous ces espoirs ont été douchés. Les conclusions du Conseil européen contiennent une enfilade de mots creux et de «mesurettes» visant essentiellement à poursuivre les politiques déjà mises en œuvre. Pas un mot sur une possible action de l’Union en matière de protection internationale visant notamment à accorder cette protection au plus vite et au besoin dans les pays d’origine avec des mécanismes de réinstallation. Pas un mot sur la nécessité d’aborder la question de l’asile et de l’immigration de manière combinée, notamment dans les situations de flux mixtes comprenant demandeurs d’asile et migrants économiques. Pas un mot sur l’urgence de développer des canaux d’immigration légale pour réduire la pression sur l’immigration irrégulière. Pas un mot sur l’absolue nécessité de situer ces politiques dans le cadre des droits de l’homme. Pas un mot sur la question de la solidarité entre Etats membres. En somme, pas un mot qui puisse donner à l’Union la capacité de répondre aux défis immédiats et futurs.
Au lieu de tout cela, le Conseil européen a adopté des conclusions «fades» où le vieux fait office de neuf. Le vocabulaire employé ne trompe pas. Les actions à mettre en œuvre doivent permettre de renforcer la coopération, d’intensifier la lutte contre la traite des êtres humains et le trafic des migrants, de renforcer les activités de l’Agence Frontex ou encore de mettre en œuvre rapidement le nouveau système européen de surveillance des frontières. Quant à la nouvelle «Task Force» pour la Méditerranée, elle est invitée «à définir (…) les actions prioritaires visant à assurer une utilisation (…) plus efficace des politiques et instruments européens». Au fond, et dans les deux cas de figure, de faire mieux avec ce qui existe déjà.
Enfin, resurgit des conclusions le vieux thème de la nécessité de s’attaquer aux causes profondes des flux migratoires grâce au soutien de l’Union européenne dans le domaine du développement des pays tiers. Cette idée déjà ancienne semble être accompagnée par une autre, tout aussi ancienne mais plus contestée, visant à lier l’aide au développement des pays tiers à leur action dans le domaine de l’immigration irrégulière.
Ce lien apparaît implicitement dans les passages relatifs à la volonté du Conseil européen de renforcer la coopération avec les pays tiers, telles que «notamment par un soutien approprié de l’Union dans le domaine du développement et par une politique de retour effective»… Autrement dit, l’aide au développement pourrait être conditionnée aux actions des pays tiers dans la mise en œuvre d’accords de réadmission. Etablir un lien de conditionnalité entre les deux politiques est inacceptable sur le principe et inefficace en pratique. Dans beaucoup de pays en développement, l’immigration et la réadmission ne sont pas une priorité. Ainsi, conditionner l’aide européenne à leur action dans ce domaine reviendrait à les priver de moyens nécessaires pour sortir de la pauvreté, ce qui aurait un résultat contraire à l’effet recherché.
S’affranchir des valeurs de l’Union européenne Enfin, aucune des actions proposées dans les conclusions du Conseil européen ne permettra d’aligner la politique interne et externe de l’Union avec ses valeurs inscrites dans le traité de Lisbonne. Tant que les demandeurs de protection internationale ne pourront pas avoir accès à une procédure d’asile et tant que tous les migrants ne seront pas traités avec dignité, les articles 2 et 21 du traité sur l’Union européenne resteront lettres mortes. Pour rappel, l’article 2 dispose dans sa première phrase que «l’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’Etat de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités». L’article 21 transpose ces valeurs dans l’action extérieure de l’Union européenne.
Au titre des valeurs européennes figure la démocratie. Celle-ci fut également malmenée par le Conseil européen. Il indique qu’il reviendra sur les questions relatives à la politique d’asile et d’immigration en juin 2014, lorsque les orientations sur l’espace de liberté, de sécurité et de justice seront «définies». Autrement dit, ce sera au moment où la Commission européenne sera finissante et «en affaires courantes» et le nouveau Parlement européen en pleine prise de fonctions que le Conseil européen «définira» les orientations stratégiques. Alors qu’aucune règle du traité n’impose au Conseil européen d’agir à une période déterminée, il choisit précisément celle au cours de laquelle la Commission et le Parlement sont en transition et donc affaiblis. Quel mépris pour le dialogue institutionnel ! Décembre 2014 ou juin 2015 aurait permis au Parlement européen, co-législateur dans ce domaine qui engage les droits et les libertés publiques, et à la Commission européenne, dépositaire du pouvoir d’initiative, de participer au débat et de proposer des pistes de réflexion. Il n’en sera visiblement rien, le Conseil européen fera donc «cavalier seul», avec les conséquences politiques que cela comporte.
En définitive, c’est également avec une profonde tristesse que les observateurs sont condamnés à voir le vide politique laissé par les chefs d’Etat et de gouvernent, le président du Conseil européen et le président de la Commission européenne. En refusant d’aborder de front et en commun la question migratoire, tant dans sa dimension tragique actuelle que dans ses perspectives humaines, politiques et économiques, le Conseil européen renonce à traiter une des questions centrales des sociétés modernes : la mobilité des personnes. Par inaction, le Conseil européen laisse également un champ d’expression aux idées sans fondements ni avenir des partis et groupes pour lesquels la migration est plus un problème qu’une chance. Enfin, l’absence de réflexion sur cet enjeu décisif à des effets sur les partisans de la construction européenne. Ceux-là mêmes qui portent au quotidien l’espoir de voir l’Union être un acteur central et crédible des migrations internationales se sentent aujourd’hui tristes.
 
* Députée de la Sarthe - 
Analyste senior 
à l’European Policy Centre et responsable du programme Migration européenne 
et diversité
Fondation Jean-Jaurès


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1.Posté par dembo diaby le 17/01/2014 01:50 (depuis mobile)
IL faut aider les immigres car nous n avons pas dautre choix que d aller vers les payes developes apre
s avoir divise notre belle continent afrique plein de richesse mais piée par lautre continent j ai mal

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