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Histoire du dormeur éveillé


Libé
Samedi 7 Septembre 2013

Histoire du dormeur éveillé
Nous ne pouvons prévoir ni vous ni moi, dont il pourra me délivrer? » Comme le raisonnement d’Aladdin paraissait assez juste, sa mère n’eut rien à y répliquer. « Mon fils, lui dit-elle, vous pouvez faire comme vous l’entendrez : pour moi, je ne voudrais pas avoir affaire avec des génies. Je vous déclare que je m’en lave les mains et que je ne vous en parlerai pas davantage.»
 Le lendemain au soir, après le souper, il ne resta rien de la bonne provision que le génie avait apportée. Le jour suivant, Aladdin, qui ne voulait pas attendre que la faim le pressât, prit un des plats d’argent sous sa robe et sortit du matin pour l’aller vendre. Il s’adressa à un juif qu’il rencontra dans son chemin. Il le tira à l’écart, et en lui montrant le plat, il lui demanda s’il voulait l’acheter. Le juif, rusé et adroit, prend le plat, l’examine, et il n’eut pas plutôt connu qu’il était de bon argent, qu’il demanda à Aladdin combien il l’estimait. Aladdin, qui n’en connaissait pas la valeur et qui n’avait jamais fait commerce de cette marchandise, se contenta de lui dire qu’il savait bien lui-même ce que ce plat pouvait valoir, et qu’il s’en rapportait à sa bonne foi.
Le juif se trouva embarrassé de l’ingénuité d’Aladdin. Dans l’incertitude où il était de savoir si Aladdin en connaissait la matière et la valeur, il tira de sa bourse une pièce d’or, qui ne faisait au plus que la soixante-deuxième partie de la valeur du plat, et il la lui présenta. Aladdin prit la pièce avec un grand empressement, et dès qu’il l’eut dans la main, il se retira si promptement, que le juif, non content du gain exorbitant qu’il faisait par cet achat, fut bien fâché de n’avoir pas pénétré qu’Aladdin ignorait le prix de ce qu’il lui avait vendu, et qu’il aurait pu lui en donner beaucoup moins.
Il fut sur le point de courir après le jeune homme pour tâcher de retirer quelque chose de sa pièce d’or ; mais Aladdin courait, et il était déjà si loin qu’il aurait eu de la peine à le joindre. Aladdin, en s’en retournant chez sa mère, s’arrêta à la boutique d’un boulanger, chez qui il fit la provision de pain pour sa mère et pour lui, et qu’il paya sur sa pièce d’or, que le boulanger lui changea. En arrivant, il donna le reste à sa mère, qui alla au marché acheter les autres provisions nécessaires pour vivre eux deux pendant quelques jours. Ils continuèrent ainsi à vivre de ménage, c’est-à-dire qu’Aladdin vendit tous les plats au juif, l’un après l’autre jusqu’au douzième, de la même manière qu’il avait fait le premier, à mesure que l’argent venait à manquer dans la maison. Le juif, qui avait donné une pièce d’or du premier, n’osa lui offrir moins des autres : de crainte de perdre une si bonne aubaine, il les paya tous sur le même pied.
Quand l’argent du dernier plat fut dépensé, Aladdin eut recours au bassin, qui pesait à lui seul dix fois autant que chaque plat. Il voulut le porter à son marchand ordinaire, mais son grand poids l’en empêcha. Il fut donc obligé d’aller chercher le juif, qu’il amena chez sa mère ; et le juif, après avoir examiné le poids du bassin, lui compta sur-le-champ dix pièces d’or, dont Aladdin se contenta. Tant que les pièces d’or durèrent, elles furent employées à la dépense journalière de la maison. Aladdin cependant, accoutumé à une vie oisive, s’était abstenu de jouer avec les jeunes gens de son âge depuis son aventure avec le magicien africain. Il passait les journées à se promener ou à s’entretenir avec des gens avec lesquels il avait fait connaissance ; quelquefois il s’arrêtait dans les boutiques des gros marchands, où il prêtait l’oreille aux entretiens de gens de distinction qui s’y arrêtaient ou qui s’y trouvaient comme à une espèce de rendez-vous ; et ces entretiens peu à peu lui donnèrent quelque teinture de la connaissance du monde. Quand il ne resta plus rien des dix pièces d’or, Aladdin eut recours à la lampe.
Il la prit à la main, chercha le même endroit que sa mère avait touché, et comme il l’eut reconnu à l’impression que le sable y avait laissée, il la frotta comme elle avait fait, et aussitôt le même génie qui s’était déjà fait voir se présenta devant lui; mais comme Aladdin avait frotté la lampe plus légèrement que sa mère, il lui parla aussi d’un ton plus radouci. « Que veux-tu ? lui dit-il dans les mêmes termes qu’auparavant. Me voici prêt à t’obéir comme ton esclave, et de tous ceux qui ont la lampe à la main, moi et les autres esclaves de la lampe comme moi. » Aladdin lui dit : « J’ai faim, apporte-moi de quoi manger. »
Le génie disparut, et peu de moments après, il reparut chargé d’un service de table pareil à celui qu’il avait apporté la première fois. Il le posa sur le sofa, et dans le moment il disparut. La mère d’Aladdin, avertie du dessein de son fils, était sortie exprès pour quelque affaire afin de ne pas se trouver dans la maison dans le temps de l’apparition du génie. Elle rentra peu de temps après, vit la table et le buffet très-bien garnis, et demeura presque aussi surprise de l’effet prodigieux de la lampe qu’elle l’avait été la première fois. Aladdin et sa mère se mirent à table, et après le repas, il leur resta encore de quoi vivre largement les deux jours suivants. Dès qu’Aladdin vit qu’il n’y avait plus dans la maison ni pain, ni autres provisions, ni argent pour en avoir, il prit un plat d’argent et alla chercher le juif qu’il connaissait pour le lui vendre.
(A suivre)


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