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Histoire du dormeur éveillé


Libé
Mardi 3 Septembre 2013

Histoire du dormeur éveillé
Selon toutes les apparences, on ne devait plus entendre parler d’Aladdin. Mais celui-là même qui avait cru le perdre pour jamais n’avait pas fait attention qu’il lui avait mis au doigt un anneau qui pouvait servir à le sauver. En effet, ce fut cet anneau qui fut la cause du salut d’Aladdin, qui n’en savait nullement la vertu ; et il est étonnant que cette perte, jointe à celle de la lampe, n’ait pas jeté ce magicien dans le dernier désespoir. Mais les magiciens sont si accoutumés aux disgrâces et aux événements contraires à leurs souhaits, qu’ils ne cessent, tant qu’ils vivent, de se repaître de fumée, de chimères et de visions. Aladdin, qui ne s’attendait pas à la méchanceté de son faux oncle, après les caresses et le bien qu’il avait faits, fut dans un étonnement qu’il est plus aisé d’imaginer que de représenter par des paroles.
Quand il se vit enterré tout vif, il appela mille fois son oncle en criant qu’il était prêt à lui donner la lampe ; mais ses cris étaient inutiles, et il n’y avait plus moyen d’être entendu. Ainsi il demeura dans les ténèbres et dans l’obscurité. Enfin, après avoir donné quelque relâche à ses larmes, il descendit jusqu’au bas de l’escalier du caveau pour aller chercher la lumière dans le jardin où il avait déjà passé. Mais le mur, qui s’était ouvert par enchantement, s’était refermé et rejoint par un autre enchantement. Il tâtonne devant lui, à droite et à gauche par plusieurs fois, et il ne trouve plus de porte. Il redouble ses cris et ses pleurs, et il s’assied sur les degrés du caveau, sans espoir de revoir jamais la lumière, et avec la triste certitude, au contraire, de passer des ténèbres où il était dans celles d’une mort prochaine.
Aladdin demeura deux jours en cet état, sans manger et sans boire. Le troisième jour enfin, en regardant la mort comme inévitable, il éleva les mains en les joignant, et, avec une résignation entière à la volonté de Dieu, il s’écria : « Il n’y a de force et de puissance qu’en Dieu, le Haut, le Grand. » Dans cette action de mains jointes, il frotta, sans y penser, l’anneau que le magicien africain lui avait mis au doigt et dont il ne connaissait pas encore la vertu.
Aussitôt un génie d’une figure énorme et d’un regard épouvantable s’éleva devant lui comme de dessous terre, jusqu’à ce qu’il atteignît de la tête à la voûte, et dit à Aladdin ces paroles : «Que veux-tu? Me voici prêt à t’obéir comme ton esclave et l’esclave de tous ceux qui ont l’anneau au doigt, moi et les autres esclaves de l’anneau». En tout autre temps et en toute autre occasion, Aladdin, qui n’était pas accoutumé à de pareilles visions, eût pu être saisi de frayeur et perdre la parole à la vue d’une figure si extraordinaire. Mais, occupé uniquement du danger présent où il était, il répondit sans hésiter; « Qui que tu sois, fais-moi sortir de ce lieu si tu en as le pouvoir.»  A peine eut-il prononcé ces paroles que la terre s’ouvrit, et qu’il se trouva hors du caveau et à l’endroit justement où le magicien l’avait amené. On ne trouvera pas étrange qu’Aladdin, qui était demeuré si longtemps dans les ténèbres les plus épaisses, ait eu d’abord de la peine à soutenir le grand jour. Il y accoutuma ses yeux peu à peu, et en regardant autour de lui, il fut fort surpris de ne pas voir d’ouverture sur la terre; il ne put comprendre de quelle manière il se trouvait si subitement hors de ses entrailles. Il n’y eut que la place où les broussailles avaient été allumées qui lui fit reconnaître à peu près où était le caveau.
Ensuite, en se tournant du côté de la ville, il l’aperçut au milieu des jardins qui l’environnaient, et il reconnut le chemin par où le magicien africain l’avait amené. Il le reprit en rendant grâce à Dieu de se revoir une autre fois au monde après avoir désespéré de y revenir jamais. Il arriva jusqu’à la ville, et se traîna chez lui avec bien de la peine. En entrant chez sa mère, la joie de la revoir, jointe à la faiblesse dans laquelle il était de n’avoir pas mangé depuis près de trois jours, lui causa un évanouissement qui dura quelque temps.
Sa mère, qui l’avait déjà pleuré comme perdu ou comme mort, en le voyant en cet état, n’oublia aucun de ses soins pour le faire revenir. Il revint enfin de son évanouissement, et les premières paroles qu’il prononça furent celles-ci : «Ma mère, avant toute chose, je vous prie de me donner à manger ; il y a trois jours que je n’ai pris quoi que ce soit.» Sa mère lui apporta ce qu’elle avait, et en le mettant devant lui : «Mon fils, lui dit-elle, ne vous pressez pas, cela est dangereux; mangez peu à peu et à votre aise, et ménagez-vous, dans le grand besoin que vous en avez. Je ne veux pas même que vous me parliez.
Vous aurez assez de temps pour me raconter ce qui vous est arrivé quand vous serez bien rétabli. Je suis toute consolée de vous revoir après l’affliction où je me suis trouvée depuis vendredi, et toutes les peines que je me suis données pour apprendre ce que vous étiez devenu, dès que j’eus vu qu’il était nuit et que vous n’étiez pas revenu à la maison. » Aladdin suivit le conseil de sa mère, il mangea tranquillement et peu à peu, et il but à proportion.
Quand il eut achevé : « Ma mère, dit-il, j’aurais de grandes plaintes à vous faire sur ce que vous m’avez abandonné avec tant de facilité à la discrétion d’un homme qui avait dessein de me perdre, et qui tient, à l’heure que je vous parle, ma mort si certaine, qu’il ne doute pas ou que je ne sois plus en vie, ou que je ne doive la perdre au premier jour. Mais vous avez cru qu’il était mon oncle, et je l’ai cru comme vous.
(A suivre)


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