Comme à l’accoutumée, le Moussem, qui cette année a élu le Portugal comme invité d’honneur, a offert une programmation riche et variée en matière de concerts, d’animations et d’arts plastiques via ses célèbres fresques murales et ses ateliers : Exposition « Peintres d’Asilah», colloque sur « La coopération arabo-afro-ibéro-latino-américaine : les gouvernements et la société civile », cinq autres colloques sur « Le Portugal et l’Afrique », « La dimension culturelle et l’Union Pour la Méditerranée : Le Maghreb et l’Europe », « Le prix Cheikh Zayed dans l’espace culturel universel », « La globalisation et le développement : l’impact de la crise économique sur l’aide publique aux pays africains », « La femme arabe dans les médias arabes », hommage posthume à deux figures emblématiques de son action culturelle, à savoir le poète palestinien Mahmoud Darwish et l’écrivain soudanais Tayeb Saleh, des concerts de musique, en provenance d'Allemagne, du Chili, d'Autriche, d'Espagne, d'Italie, du Japon, du Portugal, de Syrie, de Tchéquie, de Tunisie, du Sénégal, du Mexique et du Maroc.
Dans ce cadre, cette nouvelle édition placée sous le signe « culture et art au service du développement » a été marquée par la conception et la réalisation d’un nombre de fresques portant la signature d’un parterre distingué d’artistes peintres, en l’occurrence Mohammed Mourabiti, Abdelkader Laaraj, Larbi Cherkaoui et Leila Cherkaoui.
Nouvelle expérience plastique, la fresque de Leila Cherkaoui vient articuler un prolongement qualitatif par rapport à son parcours artistique dont les œuvres picturales et sculpturales nous révèlent son regard intérieur et ses états d'âme à travers les gestes spontanés mais combien recherchés : représentation de scènes et de personnages estompés par une technique mixte de touches et un procédé de nuances qui suggère la vie intrinsèque des formes et crée l'élan du mouvement.
Allégorie et métamorphose
Artiste hypersensible et discrète, Leila capte les mystères de la lumière et transcende les apparences du réel pour nous dévoiler l'esthétique des états épurés et le désir de spiritualiser la peinture néo-figurative, tout en traduisant des éléments latents et nostalgiques de notre vécu qui font référence aux rêves.
Sur son acte plastique qui se veut une quête intérieure éclatante de vérité, Driss Alaoui Mdaghri, professeur universitaire et poète, avait écrit : « Leila Cherkaoui est un être de lumière. Cela sourd avec une aveuglante clarté de ses tableaux lumineux qui invitent, de prime abord, à voyager dans le temps et dans l’espace. Des voûtes et des arcades qui vous font remonter à quelque Andalousie perdue que l’imaginaire du peintre restitue, ou, plus près de nous, à une médina déployée, font accéder d’emblée à un univers chargé de sens. Regardez-les plus attentivement et c’est l’aventure intérieure d’une artiste à la sensibilité exceptionnelle que vous apercevrez. Vous êtes alors pris par la grâce des formes, l’art subtil du maniement des couleurs et la beauté épurée du langage. Allez donc plus loin. Sa quête en effet, pour être intérieure, n’en est pas moins éclatante de vérité, Leila Cherkaoui n’ayant cure des artifices et de l’académisme surfait si souvent à l’honneur. Sa peinture traduit, avec un bonheur rare ses sensations, ses pensées, ses états d’âme et ses élans et vous entraîne dans son sillage vers des jardins secrets et des émotions profondes. Le noir et le blanc s’allient ici avec élégance pour soulever, sans fioritures, un coin du voile. Des bleutés jaillissent là pour déboucher sur un ciel d’espérance. Des flamboiements orangés, ailleurs, vous communiquent l’énergie vitale qui se dégage de leur danse. Leila Cherkaoui, vous aurez fait ma joie. Vous ferez également la joie de tous ceux qui viendront admirer vos œuvres» .
Pour sa part, Abdelkader Mana, anthropologue, nous confirme : « Leila Cherkaoui peint ce qu’elle ressent. Il s’agit d’exprimer ce qui est enfoui en elle. Ses œuvres portent sur l’architecture. Une architecture bien fragmentée... Une peinture gestuelle. Il y a un côté soufi dans ces anciennes bâtisses où la lumière descend d’en haut. Et toujours ces personnages en point sur les « i » qui nous interpellent. Des formes mi-abstraites, mi-concrètes qui constituent surtout une invitation à la méditation et à la rêverie. Des formes parfois complexes, parfois sobres mais n’en disent pas moins. Une inspiration d’un vécu transfiguré par un regard singulier. Dans ses toiles, les formes représentent une attente : on a l’impression d’être en présence de l’allégorie même du temps suspendu en plein mouvement. A partir d’un point et d’un trait, notre regard est pour ainsi dire captivé vers des profondeurs autrement infinies qu’évoquent la succession des arcades ainsi que les arcs en ciel. Symboliquement, l’arc-en-ciel fait d’une manière tangible et colorée, le lien entre la terre et le ciel. Entre l’ici-bas et l’au-delà. Entre l’artiste et ceux de ces ancêtres qui ont rejoint l’éternité. Dans la cosmogonie touaregue, l’arc-en-ciel est l’image même de la métamorphose. Il apparaît, dit-on, lorsqu’après les éclairs et le tonnerre, la pluie n’a pu tomber. Cet avortement de l’orage est dangereux, perturbant l’harmonie entre la terre et le ciel. En se transformant en arc-en-ciel, multicolore qui « tend la jambe » au-dessus d’une fourmilière (symbole du monde ici-bas), l’énergie gaspillée de l’orage crée la courbe d’un univers transitoire. Ce troisième monde éphémère est capable d’apaiser le désordre instauré par l’absence de pluie, négation des rapports d’échange entre les deux parties antagonistes et complémentaires de l’univers : la terre et le ciel.