Fenêtres … : Revisiter la pensée de Khatibi

Biologiquement, Abdelkébir Khatibi  a tiré sa révérence. Symboliquement, sa voix continue de retentir parmi nous. Elle continue de nous interroger sur le devenir de nos différences dans un monde régi essentiellement par les lois des métaphysiques identitaires. Revisiter la pensée de Khatibi, c’est retracer le cheminement des déconstructions qu’il a entreprises dans ses travaux afin de déblayer les relations interculturelles des embûches raciales et identitaires bloquant leur épanouissement.  Double critique et pensée-autre forment, justement, l’ossature de la vision du monde de Khatibi imposant qu’Orient et Occident se doivent de remettre en question leurs plénitudes identitaires afin de créer un terrain d’entente assurant Pluralité, Différence et Disparité. Ainsi la logique de la pensée de Khatibi s’inscrit-elle dans la perspective des philosophies de la différence, philosophies selon lesquelles le droit d’être différent est sacré. D’Emmanuel Lévinas à Paul Ricœur, de Jacques Derrida à Abdelkébir Khatibi, le travail de déconstruction de la clôture des identités se poursuit. Il s’agit particulièrement ici d’un double effort. D’une part, le dépassement des certitudes identitaires ancrées dans l’inconscient collectif des individus, de l’autre leur remplacement par la simple et sage vérité historique optant pour le devenir identitaire. Khatibi a le juste mot  étayant ces propos-ci : « l’identité n’est pas close, dit-il. Elle est la trace du temps. Elle est en devenir».  Aussi est-il de toute évidence que le devenir de l’identité programme non seulement son inachèvement puisqu’elle est inscrite dans la logique du temps, mais surtout son enrichissement comme structure/expérience ouverte sur d’autres structures/expériences du monde. Hybride et composite, la pensée de Khatibi secoue le joug de la finitude identitaire tout en ébauchant les contours de  son infinitude. Son socle n’est autre, désormais,  que le Pluriel, le Différent et le Divers.
Variant les registres du dire, Khatibi passe tour à tour de la pensée pure à la littérature. Il opère, par ce faire, un passage décisif de la langue raisonnée à la langue du corps et de la mémoire.  Logos et mythos, en effet,  favorisent, pour Khatibi, l’expérience de l’exotisme comme rencontre de l’étranger. L’étranger qui vit en nous et celui qui constitue notre dehors.  Dans ce sens, l’écriture de Khatibi se propose d’explorer les énigmes et intrigues de l’être comme corps et comme sujet. Elle le pense dans différentes situations et suivant différents espaces/temps. C’est une écriture qui sonde l’inconnu que recèle l’expérience d’être-dans-le-monde. A travers ses écrits (essais, romans ou autres), Khatibi interroge l’identité en l’inscrivant dans les horizons de l’Universel. Tout se passe ici comme si de l’identité jaillissait l’altérité, et de l’altérité provenaient Diversité, Hétérogénéité et Hospitalité.
Reste à dire que la pensée de Khatibi s’impose  à notre conscience collective aujourd’hui comme matière on ne peut plus riche à (re) travailler et à revisiter incessamment pour nous y ressourcer. C’est là les traces d’une pensée mystique car son fondement est Amour…