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Merieme Addou, la réalisatrice, a subtilement braqué les projecteurs sur un phénomène de société qui passe souvent sous les radars de l’opinion publique. Un travail de fond, parfaitement mis en image par Mohamed Ali Essaghraoui, comme une exploration du chemin vers la liberté tortueux et semé d'embûches, parcouru par trois femmes, Ghita, Latifa et Saâdia, dans la ville de Béni Mellal et ses environs. “Je n’ai jamais eu la prétention de réaliser ce film avec pour objectif de faire bouger les choses ou faire avancer la cause des “femmes suspendues"", nous a confié Merieme Addou (voir ci-contre). “Si j’ai décidé de réaliser ce documentaire, c’est principalement parce que les histoires de ces femmes m’avaient énormément touchée. Je voulais uniquement raconter leurs histoires sans forcément changer leurs cours”, a-t-elle précisé.
Coproduit par 2M TV, Iris Prod et Hauts les Mains Production, le documentaire (73 mns) joue tout de même à l'équilibriste. Sur un fil donc, entre la volonté de raconter une histoire axée sur ses protagonistes, tout en prenant le risque de verser quelque peu dans le militantisme. Un risque rapidement évacué par Merieme Addou, qui voyait dans le destin de Ghita, Latifa et Saâdia, principalement “des histoires humaines qui comportaient également un ensemble d'éléments cinématographiques, avec notamment un arc narratif prépondérant”.
L’émouvant décès de l’une des protagonistes plaide en ce sens. Mais pas seulement. La disparition de Latifa pendant la période du tournage prouve l’absurdité de la situation : des femmes abandonnées par leurs maris depuis 10, 15 ou 20 ans, et qui sont toujours dans l’incapacité de reprendre leur vie en main et avancer pour ne pas sombrer dans la tristesse et le désespoir. En cause, des procédures judiciaires d’un autre temps et qui ne se soucient guère des destins de celles qu’elles retiennent en otages. Des femmes dont le quotidien est d’une morosité sans nom, rythmé par des métiers journaliers et harassants, comme tisseuses ou cuisinières. Avec pour boulet accroché au pied, l’analphabétisme.
Pendant trois ans, Merieme Addou et son équipe ont mis en image les trop nombreux moments de peine et les très rares moments de joie de ces femmes dans une quête de dignité, de liberté et de bonheur, qui se sont envolés avec l’usure du temps. Le symbolisme utilisé à de multiples reprises a délicatement allégé une atmosphère lourde émotionnellement. Les moments de silence par alternance en sont le reflet. Une façon de mettre aussi en avant l'omerta qui règne autour de ce sujet de société. “Je tenais à avoir ces moments pour contrebalancer les moments où la parole est donnée aux protagonistes”, nous a expliqué Merieme Addou.
Bon lui en a pris. Le documentaire est plus que jamais dans l’air du temps. Les femmes qui n’ont plus eu signe de vie de la part de leurs maris depuis des décennies, on en connaît tous une, de près ou de loin. Mais grâce à la diffusion du film “Les femmes suspendues”, les téléspectateurs ont certainement dû prendre conscience qu’une femme dont le statut marital reste indéterminé, c’est une maman, une tante ou une soeur dont le destin s’inscrit malheureusement et indéfiniment en pointillé. A la fin du documentaire, seule une des trois protagonistes a réussi à obtenir gain de cause, tandis que l’une est décédée, et la troisième toujours dans l’expectative.
Chady Chaabi
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