Femmes, je vous aime : Il va sans dire que vous valez beaucoup plus qu’une journée par an

La rose des vents d’un 8 Mars aux couleurs nationales


Ahmed Saâïdi
Jeudi 8 Mars 2018

Encore un 8 Mars ? L’interrogation est certes provocatrice, mais elle a au moins le mérite de nous rappeler à l’ordre en ce jour où nous mettons la femme sur un piédestal que nous ne  manquons jamais de lui retirer sous les pieds sitôt le lendemain venu.
Et pourtant, nous continuons, l’année durant, à user à tort et à travers de certaines formules consacrées, mais usées à la corde à force d’avoir été ressassées. Egalité, progrès, parité, … égrènent, au fil des jours, tant les discours officiels que les inaugurations de chrysanthèmes dont certains responsables se sont fait une spécialité.
Les questions qui devraient s’imposer de fait à ce propos sont les suivantes : la femme marocaine est-elle un homme comme un autre, le deviendra-t-elle ou ne le sera-t-elle jamais ?
A ces interrogations gigognes, fait pendant une autre qui fleure bon les temps jadis.
En ces temps-là, on qualifiait en effet la femme d’avenir de l’Homme en se complaisant, entre deux volutes de tabac noir,  à rappeler à l’envi que le grand Aragon disait que «l'avenir de l'homme est la femme », « la couleur de son âme », « sa rumeur et son bruit » et que « sans elle, il n'est qu'un blasphème ».
Ce fut le temps du muguet triomphant et des beaux idéaux d’une gauche dont tout le monde espérait récolter les bienfaits sans pour autant s’engager dans le nécessaire combat que celle-ci menait à son corps défendant pour que le monde devienne meilleur que ce qu’il était.
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis lors.
Nombre de luttes épiques, de belles réussites mais aussi de lancinantes déceptions ont marqué ces intenses moments où la fraîcheur de la jeunesse empêchait d’entrevoir un futur qui avançait drapé d’une burqa au noir dessein et qui, à petits pas feutrés, nous a menés droit vers une idéologie qui a fait de la violence son fonds de commerce et de la haine des femmes son sacerdoce.
Une régression grave et fortement dommageable si l’on tient compte du fait qu’en pleine période du Protectorat et à un jour du discours historique de  Feu Mohammed V à Tanger en 1947, S.A.R la Princesse Lalla Aicha est apparue en public, à visage découvert, et a prononcé une allocution au cours de laquelle elle avait plaidé  pour la scolarisation et l’émancipation de nos concitoyennes.
« Notre Sultan, que Dieu le glorifie, attend de toutes les femmes marocaines qu’elles persévèrent sur la voie de l’enseignement. Elles sont le baromètre de notre renaissance », avait-elle déclaré en substance.
Le cap a été certes maintenu depuis lors, mais certaines conditions objectives, notamment à caractère culturel et sociétal, ont non seulement ralenti la marche vers l’émancipation des femmes, mais elles l’ont même aiguillée vers des horizons que personne ne souhaitait.
La lutte pour la parité et l’égalité à tous les niveaux, y compris salarial, n’en est devenue que d’autant plus âpre qu’elle n’est pas encore arrivée à bon port. Loin s’en faut.
A preuve, toutes les statistiques officielles font office de mauvais augures et prennent le contrepied des discours lénifiants qu’on a l’habitude d’entendre. Mises bout à bout, elles indiquent que malgré les efforts consentis, beaucoup reste à faire pour rendre justice à ces femmes qui constituent quasiment  la moitié de la population marocaine.
Le rapport du HCP sur la situation du marché du travail en 2017 précise, à cet effet, qu’elles sont les principales victimes d’une inactivité endémique que la faiblesse du taux de croissance rend de plus en plus préoccupante.
Les taux de chômage les plus élevés y sont relevés parmi elles avec 14,7% et l’écart des taux d’activité entre les deux sexes est de 49 points (respectivement 71,6% et 22,4%).
La même institution  a également indiqué en octobre dernier que sur les 7.313.806 ménages recensés en 2014, 1.186.901 étaient dirigés par des femmes, soit près d’un ménage sur six (16,2%).
65% de ces femmes chefs de ménage sont analphabètes, soit presque le double de leurs homologues masculins (34% environ), alors que 67% d’entre elles n’ont aucun niveau scolaire contre 35% pour les hommes et que 17% ont fréquenté le secondaire ou le supérieur contre 32% parmi la gent masculine.
Ces femmes chefs de ménage sont faiblement intégrées au marché du travail, leur taux d’activité étant de 30% contre 81% pour les hommes.
Concernant l’administration publique où les femmes sont pourtant majoritairement cadres et ne représentent que 10% du personnel d’exécution, leur accès aux postes de responsabilité et aux instances de décision demeure très faible puisque seulement 13% d’entre elles occupent le poste statutaire de directeur, 7,41 % celui d’inspecteur général et 12% celui de secrétaire général.
Il y a pire, puisque même l’avenir de celles qui sont appelées à construire ce Maroc égalitaire que nous espérons de tous nos vœux ne semble pas aussi radieux qu’il devrait l’être.
En effet, des statistiques également rendues publiques en octobre dernier par le même HCP indiquent qu’une fille âgée entre 7 et 12 ans sur dix est non scolarisée en milieu rural et 14,8% des jeunes filles de 15 à 24 ans sont analphabètes contre 7,2% des garçons du même âge.
Autre constat dressé par la même institution, 24,6% des filles de 15 à 17 ans ne travaillent pas, ne sont pas à l’école et ne suivent aucune formation contre seulement 5,1% parmi les garçons.
Pis, les filles demeurent les principales victimes du mariage des mineurs avec une proportion de 94,8% du total des mineurs mariés. En plus, 32,1% de ces filles ont déjà au moins un enfant.
En outre, 29,2% des jeunes femmes de 15 à 24 ans ont déjà contracté un premier mariage contre 3,8% des jeunes hommes et la grande majorité des filles non célibataires (87,7%) sont des femmes au foyer.
Qu’en dire ? Que la femme est l’avenir de l’homme ? Rien ne semble l’attester hormis le combat que les ONG féminines mènent sans répit depuis des années.
Signe annonciateur d’une espèce de découragement que les médias officiels ont observé à la veille de ce 8 Mars : l’agence MAP a dressé plusieurs portraits de femmes qui ont réussi. Dans le lot diffusé à deux jours de la date fatidique, il y a fort peu de Marocaines du Maroc et beaucoup de Marocaines du monde. Comme si pour réussir sa vie, une Marocaine devrait s’expatrier.
Ce qui est archi-faux. Croire le contraire, c’est prendre des vessies pour des lanternes puisque celles qui sont restées sur le territoire national font aussi bien, sinon plus que leurs compatriotes résidant à l’étranger. C’est-à-dire supporter avec stoïcisme le mal que les hommes leur font chez-elles en tant que maris irresponsables et sur la voie publique en tant que harceleurs invétérés ou hérauts de politiques qui les privent, au final, des fruits d’une répartition équitable des richesses nationales et du droit de bénéficier, sans bourse délier,  d’un enseignement adéquat, d’un lit d’hôpital aux normes et d’un emploi décent où il n’existerait pas de plafond de verre.
Croire qu’il leur faille obligatoirement tourner le regard vers d’hypothétiques cieux cléments pour se réaliser équivaut, de fait, à priver de leurs droits les plus élémentaires ces millions de mères, sœurs, épouses, ouvrières, cadres, etc. qui ont fait vœux de ne s’épanouir ou briller de mille feux que sur le terreau fertile qui a vu  naître leurs glorieuses ancêtres que furent, entre autres, Kenza d’Awraba, Fatima Al Fihriya, Hafsa Rakounia, Essayida Al Hourra, Zaydana,  Dawiya, Zineb Ennafzaouya, Rquia Bent Hadidou, Kharboucha, Aïcha Bent Abi Ziane, Mamat Al Farkhania, Aïcha Al Ouarghalia, Haddhoum Bent Al Hassan, Aïcha Al Amrania, Touria Sekkat, Zhor Zarqa, Touria Chaoui, Malika El Fassi et tant d’autres.
En ce jour où elles sont fêtées à travers le monde, un tel cri du cœur semble être le meilleur moyen de souscrire à une tradition d’offrande propre au 8 Mars.
Alors, en guise de roses, offrons à toutes les Marocaines, cette citation de René Barjavel selon laquelle «les hommes rêvent, se fabriquent des mondes idéaux et des dieux. Les femmes assurent la solidité et la continuité du réel ». En effet, sans vous Mesdames, nous ne serions point et sans vous notre avenir ne sera jamais aussi rose que la couleur des habits dont on a l’habitude de vous emmitoufler à la naissance.


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