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Fatima Bartali : Une idylle aussi captivante qu’étonnante

Mercredi 1 Mai 2019

Fatima Bartali : Une idylle aussi captivante qu’étonnante
La scène se déroule au stade municipal de Témara, un 29 avril 2018. Le Raja de Béni Mellal vient de perdre piteusement (2-0) contre le Widad local et voit, par la même occasion, son rêve d’accession à la première division fondre comme neige au soleil. Dans les travées du stade, une jeune femme sourit. Mais pas de joie. Le sourire nerveux qu’elle arbore est plutôt le prolongement des sentiments entremêlés qui l’animaient à ce moment. « Même si je me disais que ce n’était pas grave, je reconnais avoir pris une énorme claque. C’était difficile de perdre en l’espace de 90 minutes les efforts de toute une année. Je ressentais énormément d’amertume et de dégoût. J’en voulais à la terre entière », se remémore-t-elle. Elle, c’est Fatima Bartali. Agent de circulation aiguilleuse à la SNCF, elle est française d'origine marocaine, a 27 ans et vit à Paris. Dès qu’elle le peut, elle n’hésite pas à parcourir les 2.000 km qui la séparent de la région natale de ses parents, pour encourager son équipe de cœur, le Raja de Béni Mellal. Club champion du Maroc en 1974 et grand pourvoyeur d’internationaux pour l’équipe nationale.
Si Fatima est devenue fan du club mellali, ce n’est pas le fruit du hasard. Née d’une famille originaire d’Aghbala, une commune rurale de la province de Béni Mellal-Khénifra, haut perchée dans le Moyen Atlas, son amour pour le RBM confine, pour elle, à l’évidence. « En France, quand on me demande mes origines, je réponds Mellalia. Pour nous originaires d’Aghbala, Béni Mellal c’était un peu notre petit paradis. Donc, quand j’ai commencé à m’intéresser au football pendant mes années de collège, mon cœur a tout naturellement choisi le Raja de Béni Mellal», explique-t-elle fièrement. Idylle intense mais idylle à distance. Jusqu’au jour où elle a pris place dans les gradins  pour la première fois : « Je me suis assise aux côtés des ultras et c’est là que nous avons noué des liens. C’était lors d’un déplacement et ils étaient aux petits soins avec moi. J’ai passé un moment inoubliable. Les ultras qui m’ont accompagnée ce jour-là, jamais je n’oublierai ce qu’ils ont fait pour moi».
Depuis, Fatima est un membre encarté et fidèle des ultras du futur pensionnaire de D1, les « Star Boys ». Une fidélité sans faille et à l’épreuve des déceptions. « J’ai souvent été en colère. J’ai aussi pleuré plusieurs fois. Mais à aucun moment je me suis dit : « C’est fini je lâche, j’en ai marre ». Jamais. Quand tu te prends d’amour pour une équipe, tu l’as dans la peau pour toujours. Au contraire, c’est quand ça allait mal que je me suis sentie obligée d’être là et de soutenir le club et les joueurs», insiste-t-elle avec conviction.
Cette compassion n’est en réalité qu’un infime aperçu d’une personnalité qui en fait «une belle personne », décrit Rachid Housni. Champion du Maroc sous les couleurs du Wydad de Casablanca, passé également par la Renaissance sportive de Berkane, le milieu de terrain franco-marocain de l’IRT a rencontré Fatima il y a près d’une décennie, lorsqu’elle s’est intéressée à lui, dans le cadre d’une autre incarnation de sa passion pour le football, le journalisme. Autodidacte, elle a brillamment appris le métier de journaliste sur le tas, grâce notamment à un site d’informations sportives, créé en collaboration avec sa sœur, « Maroc football ». « Au départ, notre relation était de nature professionnelle. Ensuite, de fil en aiguille, on a sympathisé et on est devenu de très bons amis», se souvient Rachid Housni avant de concéder : « Normalement, j’ai du mal à être proche des gens. Mais avec Fatima, ça a collé dès le premier jour, car elle est respectueuse, loyale et très drôle». Laïla, sa grande sœur, ne dit pas autre chose : « Fatima est animée par un esprit d'équipe, une bonne humeur et un enthousiasme qui ne peuvent qu'apporter de la chaleur et de la motivation aux personnes qu'elle fréquente. C'est également quelqu'un de très généreux ».
Fière de son attachement au pays de ses ancêtres, la famille de Fatima n’est pourtant pas toujours en phase avec ses envies. «J'avoue que parfois elle est incomprise par ses proches. Ils se demandent si elle n'en fait pas un peu trop. Cela dit, nous sommes conscients que ce qui l'anime est plus fort que tout et que son bonheur passe par là. Et c’est ce qui nous importe le plus, qu’elle soit heureuse », nous confesse Laïla. Rachid Housni abonde dans ce sens : « Je n’ai jamais été passionné à ce point, je ne peux pas savoir exactement ce qu’elle ressent. Mais d’après ce que je vois, son amour pour le football, le Raja de Béni Mellal et le Maroc en général, est très fort». Et de nuancer : « Mais je lui ai demandé plusieurs fois de se calmer. Que ce n’était pas raisonnable de faire autant d’allers-retours. Mais en parallèle, je sais que c’est un moyen pour elle de respirer. Le rythme de vie à Paris peut être usant. Ce n’est pas tout le temps amusant. Du coup, quand elle suit son équipe de cœur, elle a l’impression de se ressourcer».
Pour Fatima, les sacrifices qu’elle consent et les difficultés qu’elle endure dans le cadre de sa passion sont largement contrebalancés à l’aune de l’excitation qu’elle ressent dès son arrivée au stade. Quand elle s’installe au milieu de ses amis ultras. Justement, les stades au Maroc, elle en a écumé énormément, et quand bien même elle avoue avoir vu des vertes et des pas mûres, elle ne se départit pas pour autant du bonheur d’être là où son cœur l’a guidée. «Même quand on galère, qu’on n’arrive pas accéder au stade ou qu’il y a des échauffourées, le club et les chants des supporters te font tout oublier», explique-t-elle.
Dans son style caractéristique, Fatima refuse de s’attarder sur le mauvais côté des choses et donne plutôt l’impression qu’elle verra à jamais le verre à moitié plein. Dans les replis de sa mémoire, il n’y a de la place que pour les souvenirs heureux. Comme cet après-midi à Fès, qu’elle nous raconte passionnément : «C’était il y a quelques années On affrontait le WAF. Sur le banc adverse se trouvait notre entraîneur de l’année précédente, Madihi. Et il voulait absolument nous battre car c’est un enfant de Béni Mellal et le RBM était la première équipe qu’il avait coachée. Mais à son grand dam, nous les avions battus. Il n’a pas arrêté de râler en prétextant que le but de la victoire était invalide. Pendant ce temps-là, moi je jubilais ».
Un épisode extatique auquel s’ajoute désormais celui de samedi dernier. Après sa victoire (2-1) contre l’AS Salé, le Raja de Béni Mellal va enfin retrouver la lumière de l’élite après sept années passées loin des projecteurs et des caméras, en D2. Fatima qui avait évidemment fait le déplacement, tutoyait le ciel de bonheur, à quelques kilomètres de la ville qui a été, une année plus tôt, le berceau de son chagrin. « Je n’ai pas encore remis les pieds sur terre. Je suis très contente surtout après la claque de l’an dernier. Ça faisait tellement longtemps qu’on attendait ça. Incroyable. On l’a fait», s’est-elle délectée, tout en pensant aux futurs déplacements et stades qu’elle ambitionne de conquérir avec ses potes ultras « A nous le stade Mohammed V, le Complexe Prince Moulay Abdellah, le Grand stade de Tanger ». Et on parie que dans le pire des cas, si la saison prochaine n’est pas à la hauteur de ses attentes « le Raja de Béni Mellal pourra toujours compter sur le soutien d'une supportrice dévouée et exceptionnelle», conclut sa sœur Laïla.

Chady Chaabi

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