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établis entre la maison bourgeoise, son quartier et la ville, évaluer son mode d’habitation, telles sont les grandes lignes du dernier livre de Mouna
M’hammedi : « Habitat de la bourgeoisie marocaine».
Mouna M’hammedi
est architecte, diplômée
de l’Ecole nationale
d’architecture de Rabat en 1997, docteur en géographie urbaine en 2009 (Université Mohammed V) et professeur et responsable du
Département patrimoine
à l’Ecole nationale
d’architecture de Rabat. Entretien.
Libé : Tout d’abord, ce thème est-il un choix délibéré ou un sujet de thèse imposé ?
Mouna M’hammedi : Le sujet de la bourgeoisie est un choix personnel et nullement imposé, bien au contraire. Beaucoup de personnes ont essayé de me dissuader de travailler sur cette catégorie sociale arguant que la priorité au Maroc est de connaître les couches sociales les plus défavorisées. Mais de longues discussions avec mon directeur de thèse Jean-Pierre Frey, architecte-sociologue, m’ont convaincu du contraire. Car il est impensable de prétendre connaître une société si on n’est pas au fait de toutes les composantes de celle-ci, et la bourgeoisie en fait partie. D’autant plus qu’au Maroc cette catégorie est très présente, surtout dans le milieu urbain, et les grandes villes. C’est une présence remarquable dans la mémoire collective, dans le quotidien, dans la rue et la radio, dans la télé et la presse spécialisée, dans les boutiques, les malls et l’habitat bien sûr. En fait, l’objet est socialement construit, bien connu de la population qui le reconnaît bien et situe cette bourgeoisie dans un quartier distinctif de la ville et dans une typologie spécifique, notamment la villa.
Avez-vous été heurtée par quelques réticences quant à cette intrusion ?
Intrusion est bien le terme qu’il faut ! Car c’est une catégorie sociale très fermée, qui entretient un entre-soi bien particulier ! Pour faire ce travail, il a fallu la coopération active de cette bourgeoisie. D’ailleurs la méthodologie de travail est particulière ! Je n’avais pas du tout un échantillon aléatoire, comme pourraient l’enseigner les sciences sociales, mais je me suis référée entre autres au travail de Pincon-Charlot spécialistes de la bourgeoisie française, et responsables d’un laboratoire de recherche au CNRS en France, qui travaillent exclusivement sur la bourgeoisie. Ces chercheurs prennent un échantillon choisi, ou recommandé. Car on ne peut frapper à la porte de cette catégorie sociale et se faire inviter si on n’est pas connu ou recommandé ! Le terrain, je le connais, je n’allais pas vers des découvertes époustouflantes. Mais plutôt vers une connaissance méthodologique et scientifique d’une partie de la société, de son milieu de vie, de l’appropriation de son territoire et de son mode de vie. Dans ce sens, j’ai eu des réticences quant à la reconnaissance de certains à posséder des biens divers les catégorisant dans cette couche sociale. D’ailleurs je suis partie au début de mon travail, qui se fait essentiellement sur Rabat dans le quartier Souissi, sur un échantillon de plus de 300 demeures et de familles. Au final, je n’ai pu travailler véritablement que sur un échantillon de 73 maisons. Cela était dû surtout au refus de certains de répondre à un certain nombre d’interrogations. Mais enfin, j’étais sur une démarche d’enquête qualitative et non quantitative et mon analyse pouvait se suffire du nombre final car il balayait au niveau de la typologie architecturale toute la deuxième moitié du XXème siècle, et au niveau des origines familiales les différentes régions du Maroc.
Quelle expérience tirez-vous de ce contact avec un monde réputé réservé et fermé ?
Ce n’était pas un premier contact comme je vous l’ai dit, mais c’est plonger dans ce monde avec une vision structurée, une méthode de travail déterminée au départ qui m’a permis de faire le lien entre une catégorie sociale et son habitat, à travers des observations et une recherche historique, qui a démontré que cette catégorie a gardé des réflexes, des gestes qu’elle reproduit dans l’espace au fil des siècles. Comme le fait de se préserver de l’extérieur, de chercher à être ensemble de créer un entre-soi, qui finalement n’est pas particulier au Maroc, mais qui se retrouve de manière récurrente chez cette catégorie sociale à travers le monde. C’est une catégorie qui est très fermée, mais une fois que vous êtes à l’intérieur, les langues se délient et l’ébauche de l’expérience peut commencer. Enfin, ce qui est particulier, au-delà d’une sociabilité, d’une culture et d’un bon goût constamment recherché, cette catégorie se construit un monde bien à elle, qui s’étend tentaculairement dans l’espace urbain et souvent bien au-delà des frontières, et qui est largement partagé par tous.
Vous avez fait dans votre livre un tour d’horizon sur de nombreux aspects qui touchent le mode d’habiter de la bourgeoisie marocaine, de l’appropriation et de l’organisation spatiale en passant par le choix du quartier et le rôle de l’architecte, mais rien concernant la vie intime, les us et coutumes de cette catégorie de la population.
Au début de l’ouvrage, j’ai un chapitre qui s’intitule « Mondes et mondanités, le meilleur des mondes ? », dans lequel je parle de ce monde qui est à la fois très mystérieux et intriguant et qui s’étale paradoxalement dans beaucoup de supports de presse ou de communication visuelle. Mais il est vrai aussi que ce n’était pas non plus le but de mon travail, je n’étais pas dans une position de simple observatrice mais dans la posture d’un chercheur qui est avant tout spécialiste de l’espace, et donc toutes mes observations devaient me relier à mes objectifs de départ, ceux de définir la catégorie sociale par son espace. Cela n’empêche pas qu’il y ait beaucoup d’anecdotes et de situations causasses que je relate et qui sont très significatives de cette catégorie sociale.
Pour conclure, quels arguments pouvez-vous mettre en avant afin d’inciter nos lecteurs à lire votre livre ?
Je pense que cet ouvrage, sans prétention aucune, est précurseur dans son approche qui relie à la fois l’espace et le contenu social au Maroc, d’autant plus que cette catégorie c’est la bourgeoisie. C’est une première porte entrouverte pour un grand champ de recherche qui est quasiment inexploré au Maroc. Car le fait de déterminer une catégorie sociale par son habitat et essayer de la connaître à travers son appropriation de l’espace, nous donne non pas une photographie à un instant donné, mais déroule un scénario cinématographique sur l’évolution de cette bourgeoisie dans le temps et l’espace.