marocaine des arts
plastiques
en partenariat avec
la Coalition marocaine de la culture et des Arts. Ce carrefour
des expériences et des parcours croisés dont
le commissaire est
l'artiste peintre Lahbib M'seffer est marqué par la participation d'un parterre distingué
d'artistes peintres. Rencontre avec M'seffer, l'artiste
chercheur, l'acteur
associatif et l'homme
de savoir d'une
modestie digne des grands intellectuels.
Libé : Comment Lahbib M'seffer est venu à la peinture ?
Lahbib M'seffer : Devant le refus d'un nombre de collaborateurs de se former (j'étais directeur des ressources humaines), j'ai voulu vérifier si à l'âge adulte, et après dix à quinze ans de travail, on pouvait encore apprendre. Ce besoin d'expérimentation m'avait poussé en 1981, avec mon ami Azeddine El Hilali, à suivre des cours sur l'art dispensés par le peintre et professeur Abdelkébir Rabi. C'est ainsi que j'ai remporté le gros lot : j'ai par conséquent constaté que la volonté et la persévérance ouvrent toutes les portes (la formation est possible à tout âge), la Banque m'a confié la responsabilité de la Fondation en plus de mes charges, je suis devenu également peintre et j'ai surtout gagné l'amitié exceptionnelle de Rabi, doublée par celle aussi sincère et riche de Moulim El Aroussi, esthète.
La Revue Esprit a publié en juin 1992 un article de Khair-Eddine sous le titre « Lahbib M'seffer peintre bucolique » suivi en 1994 du livre « M'seffer vu par Khair-Eddine ». Parlez-nous de votre rapport exceptionnel avec ce grand écrivain visionnaire qui a eu la capacité poétique de dire l'insaisissable?
En avril 1988, Mohamed Khair-Eddine voulant faire un papier sur le mécénat au Maroc, était venu me voir pour s'enquérir de la première expérience au Maroc lancée dans ce domaine par Wafabank (contrairement à ce qu'avaient prétendu certains). Depuis lors nous nous sommes souvent revus pour discuter de mécénat, d'art et de philosophie. Chaque rencontre nous rapprochait et créait une amitié sincère, devenue durable. A cette époque, Khair-Eddine se déplaçait souvent entre le Maroc et la France et me tenait au courant de ses activités.
Dans sa correspondance du 10 mars 1990, il écrivait concernant « Mémorial » : « En vingt jours, j'ai composé deux grands poèmes… ces poèmes paraîtront, l'un chez Jean Oriset, et l'autre en édition de luxe avec une illustration de Kotbi ». Sa lettre du 11 septembre m'annonçait qu'il venait « d'achever la correction des épreuves de Résurrection des fleurs sauvages à paraître aux Editions Silex », et me dédiait le poème « Récurrences ». Ce poème qui clôt l'ensemble du recueil, pose la problématique de la création et la définit explicitement.
Khair-Eddine disait par ailleurs : « Au départ il n'était guère question pour moi d'écrire quoi que ce soit sur la peinture. C'est le travail intense de M'seffer qui a fait son chemin dans mon inconscient…De longues années se sont écoulées sans que j'écrive un mot sur les toiles du peintre. Mais petit à petit l'inspiration a explosé… le premier texte naît fulgurant à Paris en 1992 ». La Revue Esprit le publiera en juin de la même année sous le titre Lahbib M'seffer, peintre bucolique. D'autre part, Khair-Eddine précisait : « Je m'en suis aperçu à maintes reprises, le travail de M'seffer avait nécessairement des résonances dans l'arrière-fond de mes propres œuvres. C'est là le vrai déclic».Le 4 décembre 1994, il m'écrivait à propos de notre livre en préparation : « Tout doit être net. Rien de bâclé. Nous sommes là pour ça que diable…En tout cas je sais que tu veilles au grain. Moulim aussi, Rabi également. Nous sommes vraiment les trois Mousquetaires. Ils étaient quatre, et nous sommes quatre ». Et ce fut M'seffer vu par Khair-Eddine, publié en mars 1995 aux Editions Arrabeta, avec une préface de Moulim El Aroussi, et nos portraits de la main de Abdelkébir Rabi.
Quand j'ai pris connaissance de cet écrit, je fus surpris par la sensibilité et la vision de Khair-Eddine qui m'a fait découvrir mes travaux sous une nouvelle lecture. Je me suis rendu compte de l'importance du regard du poète et de sa capacité de trouver les mots justes pour dire l'insaisissable, que je fixais sur mes toiles en arrêtant le temps.
Lahbib M'seffer est décrit par Moulim El Aroussi comme le pasteur de la lumière et l'héliotrope qui guide le soleil, l'accompagne à son coucher et le guette le matin au lever du jour. Comment vous interprétez cette passion pour la lumière physique qui demeure un prétexte pour traduire la lumière intérieure, voire spirituelle?
La vie est lumière. L'obscurité, ce sont les ténèbres, la mort. La recherche de la lumière est une quête continue de la vérité, de la foi et de soi. L'homme est faible, sa force est dans sa croyance en une puissance divine qui le guide et préside à sa destinée. La vie reprend à chaque lever de jour où chacun est appelé à réaliser les actes qui lui reviennent, bons ou mauvais. Evidemment, le souci de la lumière investit continuellement mon travail : je suis né au lever du jour (à 7 heures du matin) en un mois ensoleillé (mai), au bord de la mer (El Jadida). Comment ne pas s'accrocher au ciel et à sa lumière ? Comment ne pas s'intéresser à la source de la vie tant physique que spirituelle ? Comment ne pas chercher sa place dans cet univers ? Si ce n'est dans l'amour de l'Autre et dans une prosternation devant le Créateur, Maître des cieux et de la terre !
Dans vos œuvres qui relèvent de la philosophie romantique, la nature marocaine reprend ses droits et se présente comme un miroir de l'âme. Quel intérêt portez-vous à la quintessence de la beauté du paysage dans sa majestueuse immensité et dans la luminosité de la voûte céleste?
S'il est vrai que, spirituellement, je suis porté sur la philosophie romantique, sur le plan de la peinture j'admire les impressionnistes. Cela -ajouté au lieu et au moment de ma naissance- ne peut que me mettre dans mon environnement naturel. Qu'y a-t-il de plus beau qu'une mer bleue sous un ciel tout aussi serein qu'un cœur plein d'amour ? Qu'y a-t-il de plus merveilleux qu'un désert au sable doré par un soleil aux couleurs chatoyantes ? Traversez le Maroc de Tanger à Lagouira, de Figuig à l'Atlantique, vous verrez la diversité et la beauté de cette terre merveilleuse et de ses lumières exceptionnelles. Les Delacroix, Matisse, Khair-Eddine, Paul Bowles et bien d'autres ont saisi cet insaisissable qui a influencé la peinture mondiale et marqué l'esprit de tant d'intellectuels. Comment, nous qui sommes nés sur cette terre bénie, ne puissions-nous pas tirer et nous extasier de la quintessence de sa beauté?
Où en sont les arts plastiques au Maroc ?
Aujourd'hui, les arts plastiques vivent un grand tournant. Nous connaissons et sommes reconnaissants de l'intérêt que Sa Majesté le Roi Mohammed VI porte à l'art et aux artistes. L'attribution par Sa Majesté des premières cartes aux artistes professionnels ainsi que la remise des suivantes au sein du Parlement sont des actes solennels qui donnent toute la valeur aux acteurs de la culture dans notre pays. Nous comptons de grands noms de renommée internationale. Nos artistes ne sont plus de simples autodidactes ou des amateurs travaillant en cachette ; ils sont des diplômés supérieurs formés aussi bien au Maroc que dans les écoles les plus réputées dans le monde, ils sont également des chercheurs qui ne se contentent pas d'une technique pratiquée machinalement. La qualité de nos artistes n'est plus à faire.
Vous figurez parmi les acteurs de référence qui ont contribué à la promotion de « la jeune peinture ». Quel regard portez-vous sur cette nouvelle sensibilité ?
Initiée par la Fondation Wafabank avec un groupe de travail composé de Abdelkébir Rabi, Moulim El Aroussi et moi-même, la Première rencontre de la jeune peinture eut lieu en 1989. Le jury était présidé par Edmond Amran El Maleh. Parmi les retenus, figuraient des noms bien connus aujourd'hui. Je cite feu Omar Afous, Amal Bachir, Abderrahmane Banana, Dibaji, Abdelkarim El Azhar, El Mourabit, Fatna Gbouri, Ahmed Jalibe, Tibari Kantour, Ahmed Mjidaoui, Hassan Moukdad, Nouiga…
La notoriété de ces rencontres a été telle que la revue Cimaise consacra un numéro spécial pour la cinquième édition. Je conclus en disant que la relève est assurée tant par le nombre que par la qualité.