Karim Ziad : "Je suis né en Algérie où, parallèlement aux études, je jouais dans un orchestre de bal.
Ce qui m'a donné l'amour du rythme, c'est une troupe comme celle avec laquelle je vais jouer ce soir [Tyour Gnaoua d'Essaouira - NDLR]. J'avais 4 ans et j'ai assisté à un mariage où il y avait un orchestre de Diwan [c'est la même chose que Gnaoua, Gnaoua étant le terme marocain] et quand j'ai écouté les crotales et le guembri, ça m'a vraiment marqué. Je me rappelle encore la sensation que j'ai ressentie.
Donc voilà, j'ai aimé le rythme et plus tard, j'ai commencé à jouer avec un groupe de bal en Algérie. C'était une très bonne école, parce qu'un groupe de bal ou un groupe de mariage qui travaille en Algérie se doit de tout connaître: la musique algérienne, la musique occidentale, la musique africaine, toutes les musiques sud-américaines et les musiques de nos voisins marocains et tunisiens - qui sont d'ailleurs très proches. On doit savoir tout jouer et on doit rendre toutes ces musiques avec des instruments modernes.
En 1998, à l'âge de 22 ans, je suis venu en France et je me suis perfectionné au niveau théorique (lecture, solfège...) au conservatoire pendant trois ans et dans une école privée pendant un an.
Au départ, j'étais venu à Paris avec l'idée d'étudier puis de retourner en Algérie pour y enseigner.... mais à cause de la situation politique, je suis resté en France. C'est la vie !
C'est vrai qu'en Algérie en ce moment la musique n'a pas lieu d'être. Bien sûr, les gens sont assoiffés de musique, mais pour ceux comme moi qui vivent de musique, il est impossible de vivre en Algérie, ou alors il faudrait que je sois quelqu'un d'autre et j'ai préféré rester moi-même."
Rencontres et expériences à Paris...
"Quand je suis arrivé en France, j'ai intégré des groupes maghrébins, comme l'OLB ou le groupe de Cheb Mami - avec qui je joue toujours. J'ai fait aussi beaucoup de mariages maghrébins en arrivant. C'était dur de le faire en France, mais en même temps, il le fallait pour gagner ma vie et commencer à me faire connaître en tant que musicien, le temps de terminer mes études.
Mais toutes les expériences sont enrichissantes. Le fait d'avoir joué avec Cheb Mami m'a appris à contrôler la scène ainsi que mon son. Joe Zawinul -que Dieu ait son âme - qui m'a appelé parce qu'il avait écouté un disque que j'avais fait avec Nguyên Lê - m'a appris à faire swinguer un peu la musique américaine... et jouer avec Bojan Z, c'est encore une autre approche... qui fait évoluer les musiciens parce que c'est toujours différent, donc on est tout le temps dans la création".
Le jazz...
"J'ai toujours écouté du jazz, depuis très jeune, autant que la musique traditionnelle de mon pays.
C'est toujours une musique assez complexe que j'aime beaucoup. C'est, disons, la musique des musiciens. Pour bien la jouer, il faut vraiment une vie de pratique.
Ce que j'appelle jazz, c'est la musique américaine, avec piano, contrebasse et batterie, jouée avec une fraîcheur nouvelle. Pour vraiment s'exprimer, il faut travailler à fond. Je ne me lasse pas d'écouter des gens comme Chick Corea ou Keith Jarrett. Leur musique est toujours aussi belle, mais cela ne m'intéresse pas franchement d'être uniquement dans le jazz, parce que c'est une musique qui appartient déjà à des gens avec une certaine culture. Si je dois jouer cette musique, je la jouerai plus avec ma culture, bien sûr en respectant la culture des autres, mais j'essaierai d'aborder le rythme et cette musique avec mon bagage musical. C'est aussi ce que je fais avec les groupes avec lesquels je joue, le trio de Louis Winsberg, avec Bojan Z et Julien Lourau et même avec mon groupe, Ifrikya. J'essaie aussi de prendre beaucoup de plaisir, et c'est le principal !"
Ifrikya...
"J'essaie de faire une musique qui me plaise, une musique un peu "légère", sans écriture complexe. J'ai fait ce disque avec l'aide de mes amis musiciens et j'ai tout arrangé tout seul à l'exception d'un titre arrangé par Nguyên. Nguyên est comme un frère musical. On se complète. A nous deux, nous formons un super musicien. Un seul ! Je ne suis pas très calé en harmonie, mais ça vient du cœur et ça me fait plaisir de le faire. Si j'écoutais un disque comme Ifrikya, je le trouverais bien. Ce n'est pas parce que c'est moi qui l'ai fait, mais disons que dans la fusion de la musique maghrébine et du son moderne, ça tombe toujours dans le kitch ou dans la superproduction. Je n'ai pas encore trouvé une production qui soit nouvelle et qui ne présente pas seulement la musique d'une région mais toute la musique du Maghreb. C'est ce que je cherche à faire, dans des musiques du Maghreb que l'on ne connaît pas et que j'essaye de faire sonner un peu comme j'aurais aimé que quelqu'un le fasse!
C'est un disque qui a été fait très vite...
On a enregistré et mixé en dix jours. C'était très spontané. Bien sûr, j'avais écrit toute la musique d'abord et puis les musiciens sont venus et ont fracassé tout ça. Mon grand plaisir a été de voir des musiciens jouer cette musique et lui donner tout son sens. Ce disque, je l'ai fait parce qu'il n'y a jamais eu de pont entre la musique traditionnelle et les harmonies - sans même aller jusqu'au jazz. Généralement, ce sont des harmonies très simples dans de belles mélodies. Bien sûr la simplicité est superbe, mais il y a aussi une autre facette des arrangements que je voulais essayer dans Ifrikya».