LibéSPort








Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager

Entretien avec Jean-François Jodar ex-entraîneur du Hassania d’Agadir

“On m’a dit que c’était uniquement des problèmes de communication avec les joueurs”

Vendredi 2 Avril 2010

Entretien avec Jean-François Jodar ex-entraîneur du Hassania d’Agadir
Libé : Dites-nous un peu ce qui s’est passé.

J.F.J: Ce qui s’est passé, c’est qu’il y a eu quelques petits problèmes après le match contre le Wydad. C’est vrai, que je me suis un petit énervé avec certains dirigeants qui ont dit des choses qui me déplaisaient un petit peu. C’est ce qui peut arriver d’ailleurs dans un match que l’on perd dans les dernières minutes. Donc, il y a des choses qui sont dites parfois et qui déplaisent.

Et après ?

Je suis rentré tranquillement chez moi. Et puis personne ne m’a appelé. Le lendemain à 13 heures, j’ai été convoqué par le président du Hassania. Donc, je lui ai parlé tranquillement du match, et je lui ai dit comment ça s’était passé. J’ai également parlé des petits problèmes que j’avais rencontrés très honnêtement. Voilà, en donnant ma version bien entendu. Je lui ai dit aussi ce que j’avais fait dans le match, les changements et tout le reste, parce que j’ai entendu beaucoup de choses. Je lui ai dit aussi pourquoi j’avais fait cela. C’est mon travail de justifier mes choix auprès du président. Il m’a écouté tranquillement. Il m’a laissé parler pendant un quart d’heure à vingt minutes. Et après, il a commencé à parler. Il m’a dit qu’on arrêtait notre collaboration. J’ai tout de suite posé une question. J’ai dit oui mais en fin d’année puisqu’il ne reste que sept matches. On arrêtera notre collaboration en fin d’année ? Il m’a dit non, tout de suite, ajoutant que la communication ne passait plus entre les joueurs et moi et qu’il ne voulait pas que cela s’envenime davantage. Je lui ai alors demandé si ce n’était pas les incidents avec les dirigeants. Il m’a répondu, que ça faisait un petit peu partie et qu’ils avaient tenu une réunion la veille à ce sujet. Donc il m’a fait part de leur décision. Cela s’est terminé ainsi.

Avez-vous parlé des modalités?

Après, on a discuté, bien sûr, des modalités du divorce. C’était très courtois parce que je ne souhaitais pas que ça soit autrement. On a trouvé un accord. Bien sûr, après j’ai discuté un petit peu avec lui, non plus en tant qu’entraîneur, mais comme quelqu’un qui va donner son opinion sur certaines choses. J’ai quitté le club tranquillement.

Quel est votre sentiment après votre entretien avec le président ?

Bien sûr, j’étais très, surpris, parce que je ne m’attendais pas du tout à ça, parce que ma femme était là depuis quinze jours et que je commençais en fait un peu à préparer la saison prochaine. J’avais un contrat d’une année. Alors, c’est vrai que ces derniers temps, je m’inquiétais un peu. Je me disais que c’était quand même bizarre, un club qui a envie de garder son entraîneur, on est à quarante-cinq jours de la fin du championnat et on me reparle de résilier le contrat. Mais je me disais aussi, peut-être que ce sont les habitudes locales. Donc, j’essayais de me rassurer. Mais les choses ont évolué autrement.

Quel motif a-t-on invoqué pour ce limogeage ?

On m’a dit que c’était uniquement des problèmes de la communication avec les joueurs. J’ai fait remarquer que ça m’embêtait un peu si c’étaient les joueurs qui commandaient, Mais il semblerait que les résultats ne comptent pas énormément. Donc, j’ai émis quelques petites opinions au président en lui disant que dans ma carrière, chaque fois que j’ai eu des dirigeants qui écoutaient beaucoup les joueurs, cela posait beaucoup de problèmes. Mais gentiment.

Donc, on peut dire que c’est une séparation à l’amiable?

Oui. C’est une séparation à l’amiable parce que je ne tiens pas à ce que ça se passe autrement. De toute façon, dans ma carrière, je n’ai jamais été procédurier. Je sais qu’il faut que je retravaille et puis je ne tiens pas à m’engager dans des procédures judiciaires. La seule chose, et je l’ai dite, c’est que je suis très déçu parce que je pensais continuer et qu’au départ, on m’avait dit qu’il fallait former une bonne équipe. Jamais, et je le jure sur la tête de mes enfants, ces dernières semaines, personne ne m’a dit que j’avais des problèmes avec les joueurs. C’est la première fois qu’on me le dit, et puis, c’est définitif. Certes, il y a eu quelques petites prises de bec, mais quand on gère vingt-six personnes, il y en a qui ont des caractères différents qui parfois arrivent en retard, qui ne respectent pas certaines règles…Mais ça peut se passer dans n’importe quelle équipe. Oui, ça fait partie de la vie d’une équipe de football.

Est-ce que le capitaine d’équipe vous en déjà parlé ?

Non. Jamais le capitaine ou le vice-capitaine ou deux ou trois joueurs ne sont venus me dire : « Ecoutez, coach il y a ceci ou cela». S’il y avait eu des problèmes, je pense que des joueurs seraient venus en discuter avec moi. Quand on est sur le terrain, des fois les décisions ne plaisent pas à tout le monde. Et puis, il y a la manière de le dire, surtout de la part des dirigeants qui me disent maintenant qu’il y a des joueurs qui se manifestent. Mais ce que j’aurais aimé, c’est qu’ils me le disent au moment où ces derniers se sont manifestés. Laisser le problème perdurer et venir me dire après : « Ah ! On ne veut pas que ça continue ». Quand il y a un problème, il suffit d’en parler. Donc, c’est pour cela que je suis surpris parce que personne ne m’en a parlé.

Pas même votre adjoint?

Non. J’ai eu de très bonnes relations de travail avec mon adjoint, Lahcen. Et très souvent, je lui demandais de faire l’interprète parce que je ne parle pas l’arabe et que j’ai deux tiers de l’effectif qui ne parlent pas français. Donc, ça aussi quand on me parle de communication, ce n’est déjà pas évident pour un entraîneur étranger. Je disais donc à Lahcen, s’il y a des problèmes avec les joueurs, il faut me le dire pour que je puisse le savoir. Mais jamais Lahcen, lui non plus, ne m’a dit quoi que ce soit là-dessus. Jamais le directeur technique ne m’a dit: « Fais attention parce que les joueurs commencent un petit peu à râler». Je serais intervenu s’il y avait un problème majeur.
Et pourtant, vous aviez perdu trois matches et il n’y a rien eu.
Effectivement. Je n’ai rien vu venir sur le terrain. On peut penser que c’est à ce moment-là qu’on aurait dû avoir des problèmes et que les joueurs ne continuent pas à travailler. Mais au contraire, ils ont continué à travailler. Après, on a pris sept points sur neuf. Bien sûr, on a eu cette défaite à Fès, mais ça peut arriver. Et après, on a vu que l’équipe a redressé la tête. Donc, si les joueurs n’avaient pas envie de collaborer, je pourrais le savoir car j’étais joueur. Quand on n’a pas envie de collaborer, c’est facile. Donc, c’est pour ça que je n’ai rien vu parce que dans le comportement des joueurs au quotidien, tout le monde a travaillé, tout le monde a continué à travailler.

Ne pensez-vous pas que c’est plutôt le fait d’avoir fait match nul contre le WAC dans les toutes dernières minutes qui est à l’origine des problèmes?

Si c’est ça, c’est grave parce qu’à ce moment-là, Fergusson de Manchester, menait un à zéro face au Bayern jusqu’à la soixante-cinquième minute, et puis son club a été battu. Il a fait deux changements et il a perdu le match. Mais aujourd’hui, il est toujours entraîneur. On a joué le leader, et ce n’est pas un match nul forcé à la fin de la rencontre qui devra effacer sept mois de travail. A la limite, je trouve que ça serait catastrophique, si c’était ça. Mais je ne pense pas. Moi, j’ai pensé pendant un moment que c’était un peu les incidents, les petits accrochages qu’on a eus. Mais jusqu’à maintenant, je n’avais pas eu d’incidents majeurs avec les dirigeants qui m’ont toujours laissé travailler sans contraintes, Ça s’était relativement bien passé. C’est la version que je peux vous donner.

On vous reproche surtout le dernier changement. Comment expliquez-vous cela?

Ce que j’ai fait, je peux le réexpliquer, car je sais pourquoi je l’ai fait, et je l’ai fait en connaissance de cause. Après, des fois on gagne, des fois on perd, des fois on a raison et des fois, on a tort.
Quand on me fait le reproche du dernier changement, je m’excuse si à un moment du match où il reste deux minutes, quatre minutes à jouer et qu’on est dominé dans le temps réglementaire, que le WAC pousse pour essayer d’égaliser, qu’on est fatigué, qu’on commence à faire beaucoup de fautes, il y a beaucoup de coups-francs, j’ai plus besoin d’un joueur d’un mètre quatre-vingt-cinq que d’un joueur d’un mètre soixante-dix. Voilà les raisons de mon choix. On m’a dit aussi qu’il fallait gérer le temps. Mais ça veut dire quoi gérer le temps ? Ça veut dire avoir des joueurs qui sont capables de garder le ballon, de le conserver. Mais on n’a pas encore cette capacité-là. D’ailleurs, je l’ai expliqué tranquillement au président (avant mon limogeage). J’ai fait ces choix-là pour telle ou telle raison. Le premier remplacement, Rami, parce que je sais qu’il est capable de jouer cinquante, cinquante-cinq minutes. Car il a été inactif pendant quatre mois. Donc, il n’est pas en grande condition physique. Mais les cinquante, cinquante-cinq minutes qu’il joue, c’est bien, après, on le remplace. C’était à la mi-temps en plus, j’en avais parlé. Il y avait même un dirigeant qui était là. J’ai dit voilà comment ça va se passer. Après on change pour essayer de boucher les couloirs, on essaie de faire rentrer un joueur. Mais j’entends dire tellement de choses. Ce qui me chagrine, c’est qu’on puisse me suspecter d’avoir fait un changement pour faire égaliser le WAC. Vous vous rendez compte, moi, Jean-François Jodar, entraîneur français, je vais faire rentrer un joueur, et je vais lui dire de marquer contre son camp parce qu’il faut que le WAC égalise. C’est un peu du n’importe quoi. Quand j’ai fait le changement avec Lahcen, je lui ai dit qu’on va être dominé. Je fais rentrer un joueur plus grand parce qu’ils vont balancer de très haut ballons. Malheureusement, le joueur fait une faute sanctionnée par un coup-franc à l’entrée de la surface de réparation. Or, depuis le début de l’année, on leur dit de ne pas faire de coup-franc, mais avec la fatigue, la concentration se perd. C’est ce que j’ai dit aux dirigeants, c’est quoi gérer le temps ? Il faut que j’empêche l’arbitre de siffler, il faut que j’empêche celui qui tire le coup-franc de le faire ou que j’empêche les autres de sauter. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Bon, il tire le coup-franc et puis derrière, il y a but, ça fait partie du football.

Vous avez eu des contacts après votre séparation avec le Hassania?

Oui, à partir de cet après-midi (ndlr. mercredi), j’ai eu des contacts avec des clubs. Et puis, j’ai toujours respecté mes contrats. Mon contrat se terminait fin mai. Si on ne m’avait pas limogé, j’aurais fait le maximum. Je suis venu au Hassania d’Agadir pour garnir ma carte de visite. J’ai quand même plus intérêt à finir quatrième plutôt que neuvième.

Des projets en perspective ?

-Non. Depuis deux ou trois jours, j’ai pris un bon coup sur la tête, parce que j’étais en train de m’installer à Agadir, et continuer à bâtir quelque chose. Le président m’avait dit : « Vous allez faire l’inauguration du terrain ». Je ne pourrais pas la faire. J’avais un groupe de joueurs que je connaissais bien et j’avais déjà commencé un petit peu le travail pour la saison prochaine, fixant les dates pour les stages etc. Pour l’instant, tout est tombé à l’eau parce que je suis surpris par cette décision, et surtout par les raisons avancées. Je trouve dommage qu’on ne m’ait pas prévenu avant. Au moins qu’on m’ait laissé une chance. On aurait pu au moins me le dire.

Un dernier mot.

Je suis très déçu parce qu’on ne me laisse pas finir au moins la saison. Je leur ai dit, j’ai fait tous les matches difficiles. Maintenant qu’il reste les sept dernières équipes parce qu’il faut savoir qu’aux matches aller c’est contre ces sept équipes, qu’on a marqué dix-sept points. On a marqué 23 points aux matches aller, et il y a dix-sept points de pris sur les équipes qu’on va jouer maintenant : l’IZK, l’OCK, …Dix-sept points de pris. On ne me laisse pas la possibilité de refaire la même chose et de finir avec 48 points. Je trouve ça frustrant. Franchement, j’ai été, très surpris, à 45 jours et à 7 journées de la fin du championnat et on est septième avec 31 points. Il n’y a eu rien d’extraordinaire. Là, où j’aurais été très déçu, c’est que s’il y avait eu vraiment de gros problèmes et qu’on ne m’ait rien dit. Je trouve que c’est mauvais parce que les discussions se passent entre les dirigeants et les joueurs et qu’ils ne seront pas en mesure de progresser, c’est inquiétant.

Propos recueillis par M’BARK CHBANI

Lu 1484 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.

Dossiers du weekend | Actualité | Spécial élections | Les cancres de la campagne | Libé + Eté | Spécial Eté | Rétrospective 2010 | Monde | Société | Régions | Horizons | Economie | Culture | Sport | Ecume du jour | Entretien | Archives | Vidéo | Expresso | En toute Libé | USFP | People | Editorial | Post Scriptum | Billet | Rebonds | Vu d'ici | Scalpel | Chronique littéraire | Chronique | Portrait | Au jour le jour | Edito | Sur le vif | RETROSPECTIVE 2020 | RETROSPECTIVE ECO 2020 | RETROSPECTIVE USFP 2020 | RETROSPECTIVE SPORT 2020 | RETROSPECTIVE CULTURE 2020 | RETROSPECTIVE SOCIETE 2020 | RETROSPECTIVE MONDE 2020 | Videos USFP | Economie_Zoom | Economie_Automobile | TVLibe