En Syrie, le pouvoir Chareh face aux défis sécuritaire et politique


Libé
Lundi 3 Février 2025

La chute de Bachar al-Assad a peut-être mis fin à un demi-siècle de dictature et à une guerre dévastatrice, mais aujourd'hui en Syrie un seul homme concentre tous les pouvoirs, le président intérimaire Ahmad al-Chareh, pour piloter la fragile transition.

"Nous dépendons désormais des intentions de la (nouvelle) autorité", dit à l'AFP l'avocat Ezzedine al-Rayaq. "Va-t-elle réellement porter le pays vers la démocratie, les droits de l'Homme, la séparation des pouvoirs?", s'interroge ce militant syrien.

Ancien combattant jihadiste à la tête d'un groupe islamiste radical sunnite, Hayat Tahrir al-Sham (HTS), toujours classé terroriste en Occident, M. Chareh a troqué l'habit militaire pour le costume cravate.
Et ce, après avoir dirigé une coalition de factions rebelles islamistes sunnites qui a renversé le 8 décembre M. Assad et pris le contrôle d'une vaste partie du territoire à la faveur d'une offensive éclair.

Soutenu par la Turquie, l'Arabie saoudite et le Qatar, deux riches monarchies du Golfe, M. Chareh a été nommé mercredi président par intérim lors d'une réunion à huis clos du "Commandement général des opérations militaires", sa coalition de groupes armés.

"Nous oeuvrerons à former un gouvernement de transition élargi, représentatif de la diversité syrienne (...), chargé de construire les institutions de la nouvelle Syrie, en vue d'élections libres et transparentes", a promis le lendemain M. Chareh.
Justifiant sa nomination, il a assuré qu'elle était le fruit de "consultations intensives" avec des juristes.

"On aurait pu souhaiter que cette nomination se fasse de manière plus démocratique, plus participative", reconnaît M. Rayaq. Comme par exemple via un "dialogue national" qui aurait permis l'élection d'un président, "peut-être M. Chareh ou un autre".
"Mais si nous voulons être réaliste et pragmatique, c'était peut-être la seule manière de procéder."

La nomination de M. Chareh "aurait pu être négociée différemment: c'est comme si les chefs armés des différents groupes l'avaient choisi", concède le politologue libanais Ziad Majed.
Dans une Syrie écrasée des décennies durant par un parti unique Baas, le nouveau pouvoir a abrogé la Constitution, dissous le Parlement fidèle à M. Assad et démantelé l'armée.
Il a aussi annoncé la dissolution des groupes armés, y compris HTS, pour leur intégration dans un appareil sécuritaire attendant d'être reconstruit.

"La majorité de ces groupes armés reconnaissent le leadership de M. Chareh", dit l'universitaire Ziad Majed. "Il reste évidemment des questions à négocier avec les brigades du Sud et de Soueida, et avec les forces kurdes."

Durant la guerre ayant morcelé le pays, les forces kurdes, appuyées par Washington, ont installé une administration autonome dans le Nord-Est. Dans le Sud, des groupes armés, y compris ceux de la communauté druze, restent prudents face aux initiatives de M. Chareh.
L'objectif de "Chareh et ses proches" sera de "consolider leur contrôle territorial et leur contrôle des groupes armés", affirme M. Majed.

Autres priorités selon lui: le "sauvetage économique" du pays, mais aussi "la question sécuritaire" et le "défi confessionnel", c'est-à-dire éviter des "actes de vengeance" contre des membres de la communauté alaouite -branche de l'islam chiite dont est issu le clan Assad qui s'appuyait sur l'appareil sécuritaire pour terroriser la population et torturer les opposants.

Le flou est total quant à la durée de la transition.
M. Chareh a estimé qu'il faudrait attendre jusqu'à quatre ans pour organiser des élections et que l'adoption d'une nouvelle Constitution pourrait durer "deux ou trois ans".
En attendant, il a promis une "déclaration constitutionnelle" et "un conseil législatif restreint".

M. Rayaq se dit en faveur du regroupement "sous un seul pouvoir, quel qu'il soit" des factions armées "différentes en termes d'idéologie et de radicalité". "Si l'expérience réussit, on aura laissé derrière nous la guerre civile."

A Damas la parole s'est libérée, mais des inquiétudes demeurent. Une soixantaine d'intellectuels, écrivains, juristes, cinéastes ont signé une pétition réclamant la restauration "de la liberté de réunion, de manifestation, d'expression et de croyance".
"L'ère de la tyrannie est révolue", martèle le texte, réclamant le droit de former des partis et des syndicats indépendants.

Dans un parc d'un quartier huppé de la capitale, Majd, Syrien de 35 ans père de trois enfants, est surtout préoccupé par l'effondrement économique du pays, asphyxié par des sanctions internationales.

"Les prix ont baissé, mais les gens n'ont pas d'argent à dépenser", explique ce vendeur de pièces de rechange automobiles, qui préfère taire son nom de famille.
 


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