En Inde, on se soigne toujours en faisant couler le "sang impur"


AFP
Jeudi 5 Septembre 2013

En Inde, on se soigne toujours en faisant couler le "sang impur"
Sur un trottoir du Vieux Delhi, Lilavati Devi se fait ouvrir les veines d'un coup vif de lame de rasoir: en Inde, la saignée continue de défier la médecine moderne, parfois par croyance, le plus souvent par pauvreté.
Mère de trois enfants, Lilavati confie à Mohammed Gyas, son vieux "docteur", la tâche d'extraire "le sang impur" qu'elle tient responsable de son arthrite.
"La science et la médecine moderne ont échoué", assure-t-elle à l'AFP tandis qu'un assistant du praticien verse de l'eau froide sur ses mains sanguinolentes et les badigeonne d'une poudre d'herbe grise.
La saignée "est la seule façon de soulager mes douleurs articulaires", soutient-elle, les yeux brillant de reconnaissance pour l'octogénaire de confession musulmane.
La saignée est utilisée depuis des millénaires pour soigner toute sorte de maladies mais elle a été abandonnée dans la majeure partie du monde avec les progrès de la médecine moderne.
En Inde, elle survit auprès des plus pauvres et dans des régions isolées où l'accès à la médecine est trop coûteux, les listes d'attente trop longues, les praticiens diplômés suspects.
Une cinquantaine de patients se pressent chaque jour pour recevoir les soins de Mohammed Gyas au pied de la plus grande mosquée du pays, la Jama Masjid.
De la paralysie au diabète, la saignée peut tout guérir, affirme-t-il. Même le cancer de l'utérus.
"Le principe fondamental de la thérapie est la croyance que le sang impur est la source de tous les maux. Débarrassez-vous du sang impur et vos problèmes de santé seront résolus", justifie Mohammed Gyas. Son père lui a transmis l'art de la saignée et lui-même exerce depuis 40 ans. "Savoir identifier le chemin du sang impur est la première qualité requise. On n'incise pas au hasard, chaque veine doit être vérifiée".
Avant la consultation, M. Gyas demande à ses patients de se tenir environ 40 minutes sous le soleil de plomb, jambes et bras fermement bandés pour faire affluer le sang à la surface de la peau.
Canards et chèvres errent tout autour, parmi les vendeurs d'agneau au curry, de chapelets de prière et de calottes. L'hygiène est douteuse.
Mohammed Gyas affirme ne pas faire payer ses services à ses patients souvent pauvres. Ces derniers donnent néanmoins 40 roupies (50 centimes d'euro) à ses assistants, environ 10 fois moins que le tarif d'un homéopathe, une alternative aux médecins généralistes relativement populaire en Inde.
"Les gens qui viennent me voir ont peu d'argent. Qu'est-ce que je peux leur prendre?", s'interroge le "docteur" Gyas qui lui-même dépend d'un de ses fils commerçant, tandis qu'un autre se forme à la saignée à ses côtés.
"Notre traitement n'est pas différent des autres formes de médecine traditionnelle. Nous ne sommes pas des médecins à but lucratif parce que ce qui nous importe, c'est le bien-être des gens", assure Mohammad Iqbal.
Les médecins patentés, eux, dénoncent une pratique de charlatan.
Le diabétologue Rajesh Keswari rappelle par exemple que "le diabète doit être contrôlé strictement, dès qu'il est diagnostiqué". "Beaucoup de gens, surtout des gens non éduqués, pauvres, vont voir ces charlatans et reçoivent des traitements qui évidemment ne produisent aucun effet", et parfois sont à l'origine de complications, s'indigne le médecin.
L'Inde possède des hôpitaux propres et modernes, mais de nombreux indigents n'ont pas les moyens de s'y faire soigner.
Une décennie de croissance rapide a permis au gouvernement d'accélérer sa lutte contre la pauvreté mais le système de santé publique reste très insuffisant pour 1,2 milliard de personnes, selon un rapport de l'ONG Oxfam publié cette année.


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