Droits d’une langue : Faire avancer le débat


Par Youcef Hdouch *
Samedi 30 Novembre 2013

Droits d’une langue : Faire avancer le débat
La langue amazighe était d’une grande valeur sur le plan politique et socio-économique. Mais pour des raisons historiques (l’islamisation du Maroc), cette langue a été reléguée au second plan. Selon des chercheurs (Boukouss, 2010; Youssi, (2013), les locuteurs de cette langue constituent  28% à 30% de la population marocaine. Par conséquent, on peut considérer  l’amazigh comme langue de minorité ou langue minorée. Le présent article portera sur le droit de cette langue à la revitalisation, tout en examinant les différents postulats, critiques et positions sur le plan académique.
Le développement des droits linguistiques comme un paradigme académique est devenu une réalité. D’une part, l’articulation des droits linguistiques est maintenant
bien établie dans les disciplines de la sociolinguistique, la sociologie du langage,
et la politique linguistique et de planification. Sa présence est
démontrée par trois mouvements académiques distincts.
Le premier est le mouvement de l’écologie des langues, traçant les liens
entre la linguistique et l’écologie, tout en les situant dans un cadre écologique plus large : la perte exponentielle d’un grand nombre de langues du monde nous pousse à protéger les langues en voie de disparition.
Le deuxième est le mouvement des droits humains linguistiques  qui lutte, souvent, sur ​​la base de prémices de l’écologie des langues, pour une plus grande protection institutionnelle des langues minorées dans des contextes nationaux et internationaux.
Ces arguments sont également articulés dans un troisième domaine du
discours juridique académique qui s’est développé en général à l’égard des droits de groupes minoritaires, avec un accent croissant sur la mise en œuvre spécifique des droits linguistiques des minorités en droit national et international.
D’autre part, l’articulation académique des droits linguistiques, avec ses conséquences sociales et politiques, fait de plus en plus face à des critiques. Ces critiques sont exprimées à deux niveaux différents:
- une remise en cause fondamentale des fondements intellectuels du mouvement des droits de la langue ;
- une critique de son application pratique, ou plutôt les limites de celle-ci, dans des contextes linguistiques réels.
Les critiques intellectuelles ont tendance à se regrouper autour de trois thèmes principaux:
1- Le «problème de l’inévitabilité historique» (pourquoi résister aux forces inexorables de la
modernisation linguistique?)
 2- Le «problème de l’essentialisme» (pourquoi lier une langue inéluctablement à l’identité ethnique?
3- Le «problème de la mobilité et de l’usage» (pourquoi délimiter activement la mobilité des locuteurs de la langue des minorités en insistant qu’ils continuent à parler une
langue d’usage limité et, par conséquent,  d’une  valeur limitée?).
Les préoccupations concernant l’application des droits linguistiques dans des contextes de la vie réelle ont tendance à se concentrer sur deux question clés:
1-Les implications pour la stabilité sociale et politique au sens large (les droits linguistiques déstabilisent inutilement les contextes sociaux et politiques, en mettant en évidence la différence  et la promotion des revendications axées sur les droits différentiels des groupes) ;
2- Le décalage entre les arguments juridiques en faveur des droits des langues des minorités et les politiques linguistiques en cours dans de nombreux Etats-nations (les revendications morales au profit des droits linguistiques, en particulier dans le droit international, sont toutes légitimes, mais n’influencent pas les politiques linguistiques nationales);
Le but n’est pas de démanteler le paradigme des droits linguistiques, comme le font certains sceptiques et critiques, mais plutôt de voir de quelle manière les arguments académiques pour les droits linguistiques peuvent être développés et renforcés davantage pour répondre à ces critiques existantes.
Pour répondre aux problèmes dont souffre le paradigme des droits des langues, il faut se pencher sur les  lacunes pour mieux articuler les droits des langues.
Le problème de l’histoire : études synchroniques négligeant l’histoire des langues des minorités.
L’affirmation des avantages de modernisation linguistique - un processus de modernisation, d’ailleurs, qui est liée inéluctablement à des langues majeures.
La mise en place des langues nationales est  un acte politique délibéré. En imposant une langue, l’Etat montre une nette préférence pour
certains individus sur la base de la langue.
En d’autres termes, l’imposition d’une langue unique pour une utilisation dans les activités et les services de l’Etat n’est en aucun cas un acte neutre, puisque la langue choisie par l’Etat devient une condition pour accéder à un certain nombre de services, de ressources et de privilèges, tels que l’éducation ou l’emploi.
Ce n’est sûrement pas déraisonnable d’interroger de manière critique les
processus historiques qui ont accordé à une langue le statut
et le prestige des langues «nationales- officielle- centrale ou supercentrale» (le cas de l’arabe standard, V. Youssi, 2013)), tandis que d’autres langues se sont vu accorder un  statut inférieur voire stigmatisé (l’amazigh).
En effet, c’est seulement quand une analyse diachronique des droits linguistiques est adoptée que nous pouvons arriver à une compréhension critique de la façon dont les idéologies linguistiques sont particulièrement créées en premier lieu et ensuite politiquement légitimées (Blommaert
1999), à la fois par la puissance de l’Etat et, peut-être encore, par les instruments de la société civile, notamment l’éducation.
Dans le cas du Maroc, l’arabe jouit d’un statut privilégié. La raison derrière cette situation est selon Youssi (2013):
 « … il s’agit là d’une question où l’aspect idéologique (1- symbolique de «l’Unité arabe» ; 2, sacralité de la langue du religieux et par glissement, credo de l’adéquation, voire la« supériorité» de cette langue classique pour l’expression de l’intellection et de la finesse de la pensée scientifique’’.
Le français a plus ou moins le même statut que l’arabe standard. La légitimé acquise par une langue nationale /officielle doit être elle-même mise en question, argumentent les adeptes de la théorie du conflit de la langue comme Bourdieu, 1991. La question à poser est la suivante : pourquoi ne pas conférer à la langue amazighe les mêmes fonctions juridiques, éducatives, intellectuelles et institutionnelles  que l’arabe ou le français?
Pour répondre à cette question la nouvelle Constitution a bien accordé un statut juridique à l’amazigh. Mais deux lois après les lois organiques ne sont pas encore votées.
Une autre perspective pour approcher le statut d’une langue dans un contexte donné est de considérer l’inégalité dans les rôles joués par les langues dans une situation multilingue comme le Maroc. Ici il faut considérer deux caractéristiques essentielles :
Le degré de diffusion de la langue (locale, régionale, nationale, supercentrale et hypercentrale) (Voir le modèle gravitationnel développé par De Swaan (2002) et appliqué au paysage linguistique marocain par Messaoudi (2011) et par Boukous (2010) : le degré de l’utilisation d’une langue en dehors d’un seul pays.
 Le statut socioéconomique : les langues ne jouent pas le même rôle dans les échanges économiques. Quels rôles pourrait jouer l’amazigh à l’échelle nationale, régionale et internationale?
Le rôle de l’amazigh dans l’éducation : vu le statut local des variétés de l’amazigh et sa fonction (communication orale) et le statut ambigu de l’amazigh standardisé par l’IRCAM (avec ces néologismes et emprunts de toutes les variétés créant des difficultés même pour les natifs), quel rôle pourrait-il jouer dans l’acquisition du savoir, dans le développent scientifique, vu les urgences et la compétition à l’échelle internationale ? Faut-il attendre des décennies avant qu’on forme une génération de locuteurs compétents en langue amazighe?
La situation actuelle montre que le ministère de l’Education a adopté ce que Bamgbose de l’Université d’Ibadan appelle “the early exit model’’ (le modèle de la sortie précoce) où la langue maternelle est utilisée juste au primaire. Quel futur peut-on envisager pour l’amazigh au niveau du collège, secondaire et université? La crainte est qu’elle soit utilisée dans l’enseignement des sujets ‘soft’ comme l’histoire et la religion.
Voilà un ensemble de challenges qui nécessitent une réflexion  tout en tenant compte du fait que ce qui fait la force du Maroc c’est la marocanité et non l’amazighophonie, l’arabophonie ou la francophonie.

* Professeur  Faculté des
lettres- Kénitra


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1.Posté par Mohamed EL BAKI ( mohamedelbaki) le 30/11/2013 13:57
Toutes les langues aussi minoritaires soient elles doivent être protégées,sauvegardées et enseignées.Elles sont l'héritage du pays,des peuples,des éthnies et des femmes et hommes sans distionction.
C'est aussi un patrimoine mondial toutes ces lagues,patois et autres dialectes.Ce sont les histoires,les civilisations et les identités des peuples.
Au Maroc,l'Amazighité dans sa grande diversité (Achelhiye,Arifiye ,le dialecte marocain "Addarija" etc... sont notre patrimùoine commun que l'on soit d'origine arabe ou berbère,et n'oublions les familles arbo-berbères/berbèro-arabes : la mixité à toujours existé dans notre Maroc.La renaissance de l'Amazighité au Maroc et dans l'ensemble des pays de l'Afrique du Nord et des zones subsahariennes ne peut être qu'un plus dans l'interculturalité de nos pays.Notre diversité éthniques,linguistique,nos coutumes ou traditions régionales ne doivent pas être un obstacle,mais disons le haut et fort,cette diversité c'est notre force,notre héritage et notre richesse à toutes et tous.

Mohamed EL BAKI
Retraité S N C F.
Haute-Savoie FRANCE. 30 novembre 2013.

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