Dossier nucléaire iranien Les enjeux d’un accord

II- Les différentes phases d’un bras de fer (Suite et fin)


Par le Pr. Abdelkarim Nougaoui
Mercredi 4 Décembre 2013

Dossier nucléaire iranien Les enjeux d’un accord
Après 1979, un autre résultat de la révolution fut le refus de la France de fournir de l’uranium enrichi à l’Iran. Les Etats-Unis étaient aussi engagés à livrer du combustible nucléaire à l’Iran en accord avec un contrat signé avant la révolution. Les Etats-Unis n’ont livré ni le combustible, ni rendu les milliards de dollars de paiement qu’ils avaient déjà reçus. A son tour, l‘Allemagne a aussi refusé d’exporter les équipements pour les réacteurs de Bushehr qui ont été endommagés par les multiples frappes aériennes irakiennes entre 1984 et 1988. Ces prises de position ont été à l’origine de l’arrêt du programme nucléaire. En 1990, l’Iran a commencé à chercher d’autres partenaires, cependant, à cause d’un climat politique complètement différent et des sanctions économiques américaines, peu de candidats existaient alors.
En 1995, l’Iran a signé un contrat avec la Russie afin de compléter le travail sur la centrale partiellement construite de Bushehr, installant dans le bâtiment déjà existant  un réacteur nucléaire d’une capacité de 1000 MW. Il n’existe actuellement pas de projet pour finir le réacteur Bushehr II.
En 1996, les Etats-Unis ont essayé, sans succès, d’empêcher la Chine de vendre à l’Iran une usine d’enrichissement de l’uranium. La Chine a aussi fourni à l’Iran le combustible  nécessaire pour tester le processus d’enrichissement de l’uranium.
Le 14 novembre 2004, le responsable iranien des négociations sur la question du nucléaire a annoncé une suspension temporaire et volontaire de son programme d’enrichissement d’uranium (l’enrichissement n’est pas une violation du TNP) sous la pression de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne agissant au nom de l’Union européenne (UE). La mesure était alors décrite comme une mesure permettant de rétablir la confiance, limitée à une période de temps raisonnable, 6 mois étant cités comme référence. Le 24 novembre, l’Iran a cherché à amender les termes de cet accord avec l’UE pour exclure certains équipements de cet accord afin de continuer certains travaux de recherche. Cette requête a été rejetée quatre jours plus tard.
Les 8 et 10 août 2005, le gouvernement iranien a repris la conversion de l’uranium à l’usine d’Ispahan, seulement cinq jours après l’élection de M. Ahmadinejad, les activités d’enrichissement étant toujours officiellement suspendues. Cela a poussé (le 19 septembre 2005) l’UE à faire pression sur l’AIEA afin de porter le dossier du programme nucléaire iranien devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Le 4 février 2006, les 35 membres du Conseil des gouverneurs de l’AIEA ont voté, à 27 voix contre 3 (dont 5 abstentions): le transfert du dossier de l’Iran devant le Conseil de sécurité de l’ONU. La mesure était proposée par la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne, soutenues par les Etats-Unis. Deux membres permanents du Conseil, la Russie et la Chine, ont donné leur accord pour ce renvoi à la condition que le Conseil ne prenne aucune décision avant mars.
Le 11 avril 2006, le président iranien Ahmadinejad annonce que l’Iran a enrichi avec succès de l’uranium, et lors d’un discours télévisé depuis la ville de Mashhad, il a dit : «J’annonce officiellement que l’Iran a rejoint le groupe de ces pays qui ont la technologie nucléaire». L’uranium a été enrichi à 3,5% en utilisant plus d’une centaine de centrifugeuses. A ce niveau, il pourrait être utilisé dans un réacteur nucléaire si la quantité en était suffisante; sachant que l’uranium pour la bombe nucléaire devrait être enrichi à 90 % et plusieurs milliers de centrifugeuses devraient être construites et utilisées.
Le 13 avril 2006, alors que le Conseil de sécurité devait prendre des mesures draconiennes afin de pousser Téhéran à renoncer à son ambition nucléaire, le président Ahmadinejad a affirmé que l’Iran n’abandonnerait pas l’enrichissement de l’uranium et que le monde devrait considérer l’Iran comme une puissance nucléaire, en ajoutant : «Notre réponse à ceux qui sont mécontents que l’Iran réussisse à maîtriser complètement le cycle du combustible nucléaire se résume à une seule phrase. Nous disons : Soyez en colère contre nous et mourrez de cette colère », parce que « nous ne discuterons avec personne à propos du droit de la nation iranienne à enrichir de l’uranium ».
Le 14 avril 2006, l’Institut pour la science et la sécurité internationale (ISIS) a publié une série de photos satellites des installations nucléaires iraniennes à Natanz et Ispahan. Sur ces photos, on peut voir un nouveau tunnel d’entrée dans l’installation de conversion d’uranium à Ispahan, et une construction continue au site d’enrichissement de Natanz. De plus, une série d’images datant de 2002 montre les bâtiments d’enrichissement et leur couverture par de la terre, du béton et d’autres matériaux.
Revenons donc à la déclaration du mois d’août 2013, avec laquelle nous avons introduit ce point, à savoir que l’Iran possède 18.000 centrifugeuses dont 10.000 en activité. La puissance nucléaire iranienne est donc devenue à jamais une discussion politique à la fois en Iran et dans les pays occidentaux. Un fossé considérable s’est creusé entre les vues politiques des Iraniens et celles de l’Occident. Le public iranien voit la puissance nucléaire comme un moyen de moderniser et de diversifier les sources d’énergie, et ce même public, pratiquement tous les candidats politiques et le gouvernement actuel sont unanimes sur ce point : l’Iran devrait développer son industrie nucléaire civile. Les gouvernements occidentaux pensent que le programme nucléaire civil possède des intentions cachées, dont l’introduction possible d’armes nucléaires.
Israël s’inquiète de la possible acquisition de l’arme atomique par «un régime relativement imprévisible et instable». Israël est dans l’impossibilité d’effectuer un raid aérien et de supprimer le programme nucléaire iranien, comme il l’a fait pour le programme nucléaire irakien en 1981, puisque certains des plus importants sites iraniens sont enterrés, et à l’abri des missiles. Les seuls missiles capables de percer ces protections sont les missiles nucléaires israéliens... De plus, si un réacteur explose, les risques de retombées sur les pays voisins, à cause des vents, sont grands. Ces voisins ne sont pas n’importe qui, car c’est de chez eux que 70% des exportations mondiales de pétrole et de gaz ont lieu et l’Occident en est bien conscient.
Les Iraniens veulent être connus et considérés comme un Etat moderne, en développement, possédant une base industrielle moderne et en pleine croissance. Au cours des derniers siècles, l’histoire des relations entre l’Iran et l’Occident a inclus le développement par l’Iran de plusieurs avancées technologiques et industrielles afin que les Iraniens se prouvent à eux-mêmes et dans un effort de convaincre le monde entier, qu’ils sont en fait un pays moderne en pleine croissance.
La Maison Blanche, qui est en train d’empêcher l’Iran de développer sa propre capacité nucléaire et qui refuse l’éventualité d’une action militaire contre l’Iran, oublie continuellement que ce sont les Etats-Unis qui furent les initiateurs du programme nucléaire iranien il y a 30 ans. Ce sont les Etats-Unis qui avaient même fourni à l’Iran 5 kg d’uranium enrichi à 19,7 % avant la révolution. C’est cette participation qui donnait aux pays étrangers l’opportunité de garder un œil sur le programme iranien, mais depuis 1979 l’investissement étranger dans ce programme est quasi nul.
Les politiques iraniens comparent leur traitement en tant que signataires du TNP avec trois autres nations qui n’ont pas signé le TNP: Israël, Inde et Pakistan. Chacune de ces nations a développé une capacité nucléaire militaire nationale: Israël (1967), l’Inde (1974) et le Pakistan  (1990).
 C’est un dossier qui ne cesse de rebondir tous azimuts, l’Occident, en étant sûr que ses sanctions économiques ont mis à genoux l’économie iranienne avec une inflation de plus de 50% et un taux de chômage de plus de 20% parmi sa population active,  demande encore plus à la République islamique. Celle-ci est pourtant consciente que l’Occident ne pourra rien contre elle sur le plan militaire, après les échecs cuisants des deux guerres d’Afghanistan et d’Irak. L’une des dernières propositions faites par les six est le rapatriement de tout l’uranium iranien enrichi vers un pays tiers, en échange de fournir cette matière par l’un de ces pays. L’arrivée d’un président qualifié de réformiste a montré de grands signes de fléchissement sur un possible arrêt de l’activité nucléaire. Jusqu’à la fin du mois d’octobre, c’est le statu quo, mais  il faut s’attendre à des bouleversements dans l’avenir.
En fait, si bouleversements il y a, c’est bien l’accord du 24 novembre, signé à Genève. En effet, selon cet accord entre les six d’un côté et l’Iran de l’autre, nous pouvons dire que décidément, l’actualité politique nous réserve des fois bien des surprises. Un dossier qui a stagné pendant longtemps à cause d’une ligne politique dure et arrogante, finit bien par connaître une espèce de dénouement dû à un changement de ligne.  C’est un dossier qui a connu  un vrai bouleversement ces derniers jours. Des tractations tous azimuts ont failli déjà aboutir à un accord entre les six et l’Iran, mais le retard d’une semaine était nécessaire aux délégués de ces pays pour se concerter avec leurs gouvernements respectifs pour l’adoption d’une résolution finale. Le 24 novembre 2013, à Genève, un accord a bel et bien été signé, comportant l’arrêt du réacteur d’Arak près de Téhéran et obligeant l’Iran à limiter le taux d’enrichissement à 5%. L’embargo économique a eu des effets : changement de gouvernement et l’éloignement de l’aile dure du clergé représenté par l’ex-président    Ahmadinejad. Les pays arabes de la région ont reçu la nouvelle avec beaucoup de scepticisme, pensant par là, qu’il s’agirait de manœuvres de Téhéran, pour  sortir de son isolement et de la crise économique qui secoue le pays depuis l’annonce de l’embargo par l’ONU. Pour ces mêmes pays, signer un tel accord n’est toujours pas suffisant, tant que l’Iran continue à s’ingérer dans les affaires intérieures de plus d’un pays voisin. Passant par Bahrein, le soutien au régime de Bachar Al-Assad et au Hezbollah libanais, l’Iran n’hésite pas à apporter son soutien à tous les mouvements chiites dans le monde arabe.

 * Directeur du Laboratoire
de recherche en
physique à l’Université
Mohammed Ier d’Oujda


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