Il paraît, toutefois, que «ce dialogue est un effet de mode ou un choix qui exprime un espoir plutôt qu’une réalité. Ce dialogue entre les cultures est entaché de préjugés et d’idées préconçues héritées de plusieurs décennies», pour reproduire les propos de Mohamed Sabila qui soutient l’existence d’un contexte mondial de dialogue des civilisations mais qui demeure, d’un point de vue académique, marqué par des confusions tant en ce qui concerne l’identification de la problématique qu’au niveau de la délimitation du concept lui-même.
Pour sa part, Abdelhay Moudden est convaincu de l’actualité de la guerre des civilisations puisque durant les années 60 et 70, il était plutôt question de la lutte des classes et des nationalismes. N’empêche que « le dialogue des civilisations est une pratique quotidienne qu’il faut entretenir, promouvoir et enrichir». L’enrichir d’autant plus que c’est l’expression même timide d’un besoin humain né des bouleversements accélérés qui secouent la scène internationale. De fait, l'humanité traverse aujourd'hui une phase critique de son histoire, où le dialogue doit être érigé en option stratégique pour relever les défis majeurs qui se dressent devant la communauté internationale. La coexistence entre les peuples et les nations en étant un idéal et pas des moindres, le dialogue s'avère être le moyen le plus sûr pour matérialiser cet idéal en dissipant les causes des tensions et des antagonismes à l'origine des crises internationales. Dans cet esprit, les participants à cette table ronde ont soulevé la centralité du conflit israélo-palestinien dans ce dialogue civilisationnel. Tant que les Palestiniens demeurent sous l’occupation israélienne et que la communauté internationale n’arrive pas à imposer une paix juste et équitable, ce dialogue restera un mythe et la dimension ainsi que la réflexion sur les politiques adoptées par les Nations unies constituent une démarche marketing et trompeuse. En somme, l’Alliance des civilisations est un concept qu’il faut relancer mais qui ne doit pas «démasquer le vrai débat sur les tragédies du monde», comme l’a bien signalé André Azoulay qui a insisté sur la nécessité de commencer préalablement par « rétablir les termes d’une équation de vérité». Ce dernier s’est posé plusieurs questions en rapport avec ce débat : Comment nous en sommes arrivés là ? Cette régression, ce recul, ces archaïsmes que nous avons partagés ne risquent-ils pas de nous rendre des spectateurs passifs et de continuer dans cette logique régressive? L’autre débat est de se demander, d’après André Azoulay, s’il n’y a pas de fatalité à une logique de rupture, de confrontation ou de distance entre l’Islam et l’Occident. « Là aussi, c’est une sorte de prétexte dont on a usé pour stigmatiser une partie de notre monde par rapport à un autre. Il a fallu là aussi déconstruire toutes ces théories qui, pendant des mois et des années ont, de mon point de vue, déformé, pollué et dénaturé les relations internationales ». Partant de son parcours personnel, il conclut : «Dans mon histoire, il y a le judaïsme qui est arrivé un peu plus d’un millénaire avant l’islam au Maroc et où il a rencontré la grande civilisation berbère. Donc, je suis riche à la fois de mon judaïsme, de ma berbérité et de mon appartenance à l’univers du monde arabe et à une grande mouvance à la fois spirituelle, culturelle, historique et philosophique qui est celle de l’islam. C’est cette addition complexe qui m’a permis de replacer cette perspective de l’Alliance des civilisations dans une vision qui est celle de la synthèse plutôt que de la rupture, de l’ouverture aux autres plutôt que du repli idéologique, de l’Alliance plutôt que du choc».